Le blog des éditions Libertalia

Skalpel, un rappeur fils et fier du 93

vendredi 4 février 2011 :: Permalien

Le chanteur de La K-Bine fêtera la sortie de Chroniques de la guerre civile, son nouvel album le 12 mars au local du 33 rue des Vignoles. À ne pas rater !

Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de la musique ? Ton histoire personnelle ? Ton environnement familial et social ?

C’est le côté engagé et revendicatif du rap qui m’a donné envie d’écrire des textes et de les rapper. Je me suis mangé une claque en découvrant cette musique à l’âge de 13 ans. Elle me ressemblait et décrivait bien l’environnement dans lequel je vivais. Je pouvais mêler des revendications personnelles du fait de mon statut de fils de réfugié politique et des histoires propres à mon quotidien dans un quartier populaire du 93, en l’occurrence les 3 000 à Aulnay-sous-Bois. Je suis un fils d’employés plus que modestes et précaires ; nous étions – je pense – dans la catégorie des gens « pauvres » de la France et comme disait ma mère, cela ne nous a jamais empêchés de rester dignes et lucides. Nous avions très peu de choses, mais paradoxalement beaucoup de livres. Nous étions une famille d’immigrés du 93 avec des parents qui militaient jour et nuit.

Être un rappeur conscient, ça signifie quoi ?

Le terme « conscient » est un peu galvaudé, mais en gros, être un rappeur engagé, ça veut dire écrire des textes revendicatifs et les assumer au quotidien. Au boulot, en concert, en manif… Ça veut dire être le plus cohérent possible entre les morceaux que tu chantes et la vie que tu choisis de mener, même au niveau intime. C’est admettre comme une certitude que tout est politique ; même des choses comme l’amour et les rapports humains les plus ordinaires. Le premier devoir d’un rappeur militant, c’est d’être un militant. Le reste est secondaire…

Tu es un enfant du 93, tu parles même d’indépendance de la Seine-Saint-Denis, pourquoi ? Qu’est-ce qui te lie à ce département ?

Réclamer l’indépendance de la Seine-Saint-Denis, c’est utiliser une revendication chargée d’utopie pour dénoncer les maux dont souffre notre département. Pour ceux d’en haut, c’est le pire ; pour nous, c’est le plus populaire, celui où vivent des gens qui ont légitimement le droit de se révolter et remettre en cause le système. C’est celui où se concentre la population qui est la plus touchée par les attaques menées en ce moment par Sarkozy. Je lisais l’autre jour que c’est en Seine-Saint-Denis que les suppressions de postes dans l’éducation vont être les plus élevées et pourtant, c’est là qu’il y a le plus grand besoin de moyens… Au niveau sécuritaire c’est pareil, la police y mène une guerre larvée contre les jeunes des quartiers populaires, ce n’est pas un hasard si ce sont les cités du 93 qui se révoltent souvent en grand nombre.

Tu as déjà monté des projets avec une classe de LP à Noisy-le-Sec. Tu peux nous en dire davantage ?

En fait, avec Akye et Géraldine, nous avons mené un projet d’atelier d’écriture avec des mômes scolarisés dans un lycée pro, en France depuis peu de temps. Ils ont des difficultés à s’exprimer en français. Nous avons écrit et enregistré un morceau de rap tous ensemble. Il y avait six mômes, et le morceau est en six langues (dtamoul, arabe, bambara, roumain, français…). C’était une belle expérience qui, dans mon cas, me touche particulièrement car souvent un certain nombre d’enfants sont arrivés en France pour des raisons politiques et ont dû fuir, comme certains Afghans ou Tchétchènes, du coup ça me renvoie à ma propre histoire (Skalpel est fils de Tupamaros uruguayens, Ndlr).

Ce journal est diffusé dans l’ensemble des établissements scolaires du 93. Qu’aimerais-tu dire aux enseignants qui te liront ?

Alors, je ne sais pas si je dois être méchant ou pas… Déjà, faites grève ! (Ça, c’est pour tous les profs…) Et faites preuve d’humilité dans les rapports que vous entretenez avec les autres personnes qui ont des emplois précaires et que vous côtoyez dans vos établissements (surveillants, Atos, etc.). Ensuite, interrogez-vous sur la fonction sociale de votre travail, surtout pour les années à venir, en gros et je suis désolé si certains se sentent choqués, posez-vous la question de savoir ce que vous allez faire pour que votre fonction ne se convertisse pas en celle de simples matons chargés de surveiller ceux qui sont destinés, par leur statut social, aux boulots les plus durs… Bref, plus de pédagogie et moins de revendications sécuritaires… même dans le 9.3 !

Propos recueillis par N. N.
Première publication, Le Chat du 9.3, n° 18, janvier-février 2011.