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Avec tous tes frères étrangers dans Le Monde des livres

vendredi 16 février 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde des livres du 16 février 2024.

Avec tous tes frères étrangers, de Dimitri Manessis et Jean Vigreux, retrace l’histoire des FTP-MOI, auxquels appartenait Manouchian

La panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian vient de loin. Pas seulement d’un long trajet mémoriel qui a imposé leurs figures comme une évidence, avec certaines simplifications, mais aussi d’une histoire complexe, qui naît dans la France de l’entre-deux-guerres, et que retracent Dimitri Manessis et Jean Vigreux dans Avec tous tes frères étrangers. En notre XXIe siècle, où les partis politiques attirent plus de soupçons que de militants, on peine à se figurer la vitalité et l’ancrage social du Parti communiste français dans les années 1920 et, surtout, 1930. Il dispose alors d’adhérents nombreux, d’organisations et de relais sociaux multiples, et d’une structure disciplinée, où les étrangers, tel ce couple d’Arméniens rescapés du génocide, tiennent une place spécifique.

En effet, la France est alors une destination majeure pour l’immigration de travail, après la saignée de la Grande Guerre, mais aussi pour les réfugiés politiques. Pour le jeune parti, intégrer ces travailleurs et exilés combatifs est un enjeu majeur. En 1923 naît une première version de la Main-d’œuvre étrangère (MOE), l’organisation destinée à rassembler ces militants venus d’ailleurs, avec ses subdivisions en « groupes de langue », italien, espagnol, arménien, hongrois, polonais, yiddish, pour les plus importants.

Puissantes solidarités

Non sans une ambiguïté, que relèvent finement les auteurs : la conformité à l’idéologie communiste suppose de dépasser les appartenances nationales et d’éviter l’« autonomisme ». On lutte pour le parti, dans sa langue certes, mais pas pour son identité spécifique. Reste que ces cellules sont le lieu d’élaboration de puissantes solidarités, entre étrangers et avec les militants français, doublement mises à l’épreuve dans les années 1930 : par une vague xénophobe et répressive, lorsque la crise économique fait pointer du doigt ces immigrés (la MOE a été renommée Main-d’œuvre immigrée, MOI, en 1932), et par la guerre d’Espagne, dans laquelle s’engagent beaucoup de membres de la MOI.

La netteté de leur engagement antifasciste se brouille cependant en 1939, avec le pacte germano-soviétique, qui aligne Staline et Hitler. Dans un livre qui procède plus par touches rapides que par analyses exhaustives, ce ne sont d’ailleurs pas les passages les plus précisément étayés : cela reste allusif sur ce que les auteurs nomment, par euphémisme, les « quelques hésitations » du parti en 1940. Il restitue, en revanche, de façon convaincante la phase suivante, celle de la lutte armée contre l’occupant nazi au sein des Francs-tireurs et partisans (FTP-MOI) entre 1941 et 1944. Contre toute tentation de réduire leur combat aux visages que la fameuse Affiche rouge entendait stigmatiser, il en montre bien la dimension collective, géographiquement étendue, avec des actions d’ampleur à Paris, à Marseille ou à Grenoble. Une dernière partie de l’ouvrage relate la mémoire de ces groupes, et les fascinants processus de mythification et de réappropriation qui permettent aujourd’hui l’entrée de révolutionnaires internationalistes dans le temple de la mémoire nationale.

André Loez