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Entretien avec Richard Vassakos pour France 3 Occitanie

jeudi 7 avril 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié le 16 octobre 2021 sur le site de France 3 Occitanie.

Béziers :
Robert Ménard et Éric Zemmour en croisade pour « réécrire l’histoire de France »

Dans son dernier livre, l’historien Richard Vassakos montre que le maire de Béziers interprète au gré de ses intérêts politiques des pans entiers de l’histoire de France. Tout comme le polémiste Éric Zemmour, en visite à Béziers ce samedi. Entretien avec l’auteur de La Croisade de Robert Ménard.
Le maire de Béziers, Robert Ménard accueille le polémiste et candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2022 Éric Zemmour pour la promotion de son dernier livre
La France n’a pas dit son dernier mot (Rubempré) ce samedi 16 octobre. Les deux hommes se disent amis tout en échangeant régulièrement des petites phrases assassines.

Robert Ménard qui a affiché son soutien à Marine Le Pen pour la présidentielle de 2022 reçoit Éric Zemmour, potentiellement candidat à ces mêmes élections et donc adversaire de la présidente du Rassemblement national. Ce n’est pas contradictoire ?  
Richard Vassakos. Cette visite s’inscrit dans l’offensive culturelle menée par le maire de Béziers depuis son élection : Éric Zemmour est déjà venu à Beziers deux fois, comme Alain de Benoist et d’autres figures de l’extrême droite. Mais il est vrai qu’à l’approche de la présidentielle, le positionnement de Robert Ménard est plus ambigu. Depuis début septembre, il apporte son soutien à Marine Le Pen et a même voulu les recevoir tous les deux à Béziers pour qu’ils trouvent un modus vivendi. Il s’agit peut-être aussi, sans le dire, de ne pas insulter l’avenir, au cas où finalement Éric Zemmour serait un meilleur candidat que Marine Le Pen ? Ce qui est sûr, c’est que les deux hommes ont une proximité idéologique plus grande entre eux qu’avec Marine Le Pen.

Vous venez de publier un ouvrage sur la façon dont Robert Ménard instrumentalise l’histoire de France, La Croisade de Robert Ménard (éditions Libertalia). C’est un point commun avec Éric Zemmour ?
Robert Ménard et Éric Zemmour utilisent tous les deux le passé pour introduire les thèmes du présent et faire un portrait apocalyptique et décliniste de la société française actuelle. En fait, ils ont un fond idéologique assez proche et sur la forme, c’est la même mécanique : la rengaine, la répétition des mêmes thématiques pour en faire des vérités, qui n’ont rien d’historiques.

Ils sont interchangeables ? Robert Zemmour et Éric Ménard, blanc bonnet et bonnet blanc ?
Non, ils ont quand même des différences. Si tous deux réécrivent l’histoire de Vichy, Éric Zemmour va beaucoup plus loin dans la minimisation du rôle du gouvernement de Philippe Pétain dans la déportation des Juifs. Robert Ménard ne va pas sur ce terrain-là. Il réécrit l’histoire du régime de Vichy en insistant sur la présence de l’extrême droite nationaliste et des disciples de Charles Maurras auprès du général de Gaulle à Londres en 1940. Il met en avant Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin dans la Résistance, qui était royaliste et admirateur de Charles Maurras. Mais il passe sous silence que Cordier est devenu un fervent républicain pendant la guerre. Alors que le ban et l’arrière-ban de l’Action française étaient dans le gouvernement de Vichy. D’ailleurs, le fond idéologique de la « révolution nationale » chère au Maréchal Pétain se fonde sur les thèmes développés par Charles Maurras. C’est du relativisme permanent.

Vous montrez dans votre livre l’évolution de Robert Ménard sur la guerre d’Algérie. C’est un autre point sur lequel les deux hommes diffèrent ?
Ils sont tous deux contre la repentance, la reconnaissance par la France de sa responsabilité dans les crimes commis lors de la guerre d’Algérie. Mais la guerre d’Algérie, c’est surtout le cheval de bataille de Robert Ménard. C’est même la matrice de sa vision du choc des civilisations. Il a complètement changé d’avis sur cette question. Il y a dix ans, il estimait que chez lui, quand il était enfant, on tenait « des propos racistes et à vomir ». Aujourd’hui, il explique que lâcher l’Algérie en 1962, c’était lâcher la rive sud et que maintenant l’invasion est sur la rive nord, c’est-à-dire sur le territoire français. Le choc des civilisations et le grand remplacement sont suggérés par cette affirmation. Dans son action de maire, il a débaptisé la rue du 19 mars 1962, date des accords d’Évian et de la fin de la guerre d’Algérie, et lui a donné le nom d’un officier partisan de l’Algérie française, le commandant Élie Denoix de Saint-Marc. C’est lié à son histoire personnelle, puisque son père a appartenu à l’OAS, organisation de l’armée secrète, groupe clandestin et violent d’extrême droite qui défendait une Algérie française. 

Une autre différence entre les deux hommes, c’est que l’un des deux est un élu de la République. La vision de l’histoire de Robert Ménard n’a pas qu’un impact médiatique.
En tant que maire, Robert Ménard transforme l’espace public. Il y inscrit sa vision de l’histoire. Depuis 2014, il a fait installer une dizaine de statues dans la ville, Jeanne d’Arc évidemment, mais aussi Jerzy Popieluszko, prêtre polonais ou Jan Palach, étudiant tchécoslovaque, tous deux victimes de l’URSS communiste. Il n’hésite pas à « détourner » Jean Jaurès, figure historique de la gauche. Sa statue sur la place du même nom à Béziers ne précise pas qu’il était socialiste, pacifiste et qu’il a été assassiné par Raoul Villain, un nationaliste exalté, dans la mouvance de l’Action française.

Alors que la réécriture de l’histoire par Éric Zemmour et Robert Ménard est régulièrement dénoncée par les historiens, leurs thèses ont un fort impact dans la population. Comment le professeur d’histoire que vous êtes l’explique-t-il ?
Les enseignants font le travail mais dans un temps restreint et avec un programme vaste : 1h30 d’histoire et 1h30 de géographie au lycée. C’est peu. Ensuite, tous les « historiens médiatiques », comme Stéphane Bern ou Lorant Deutsch, ne s’intéressent qu’à l’histoire des grands hommes, des princes et ils éludent les faits qui ne cadrent pas avec leur vision idéalisée de l’histoire de France. Les historiens sérieux n’ont pas un accès aussi aisé aux médias. À la différence d’Éric Zemmour et de Robert Ménard. Le maire de Béziers est par exemple intervenu 70 fois dans les télés et radios entre le 1er janvier et le 30 juin 2021. Ils surfent sur un vieux fond d’histoire glorieuse de la France, font vibrer la corde sensible au détriment de la vérité historique. Tout cela ne concourt pas à ce que les dernières avancées de la recherche historique touchent le plus grand nombre.

Propos recueillis par Carine Alazet