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Ma Guerre d’Espagne à moi, dans Le Monde diplomatique

jeudi 12 novembre 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Le Monde diplomatique, novembre 2015

Guerrières du verbe et de l’action

« Vous voulez ressembler aux Muses/Inspirez, mais n’écrivez pas. » La phrase est de Ponce-Denis Ecouchard-Lebrun, homme de lettres sous la Révolution. Sa consœur Constance Pipelet (1767-1845) lui répond en 1797 avec son Epître aux femmes, qui affirme que « différence n’est pas infériorité ». Les femmes qui entendent sortir de la minorité où on les tient lutteront pour s’exprimer ; par leurs écrits, elles communiqueront à leurs sœurs l’aspiration à des lendemains meilleurs. Et c’est dans le combat politique que se gagneront des batailles sans cesse renouvelées.

Louise Michel (1830-1905) fut féministe dans ses actes. Armée, elle transgresse l’assignation à son genre. Ses Mémoires inédits, soixante-dix feuilletons parus dans la presse et qui passaient pour perdus, retracent sa vie, de meetings en manifestations, de ses feuillets de prison à ses articles sur les pendus de Chicago. S’y affirme aussi combien, pour la « vierge rouge », admiratrice de Victor Hugo, la poésie eut de l’importance. Accusée d’appels à l’insurrection, elle compose des vers dans les ergastules (cachots) de la IIIe République. Radicale, au cours de ses tournées dans la vallée de l’Ondaine, aux portes de Saint-Etienne, elle prône la grève générale contre les grèves d’un jour. A Paris, où le souvenir de la Commune n’est pas éteint, elle entend son nom comme une rumeur : « Voilà les anarchistes, il faut fermer la halle, c’est pour voler la volaille avec Louise Michel qu’ils sont là. » Partisane de l’action directe, elle effraya les possédants jusqu’à sa mort. « La v’là. J’te dis que c’est pas elle. Je te dis que c’est elle. Elle n’a pas sa robe rouge. » Elle s’en moque et connaît sa légende. Elle n’oublie pas de rendre hommage à nombre de combattantes de son époque, comme Elise Roger ou Julie Longchamp, et convoque romantiquement les spectres, âmes des disparus.

A 14 ans, en Argentine, Mika Etchebéhère (1902-1992) est membre d’un groupe anarchiste baptisé « Louise Michel ». Entrée au Parti communiste, elle constitue des groupes de femmes dans les usines et dans les champs. Comme Louise Michel ou Rosa Luxemburg – dont l’assassinat, en 1919, fit perdre aux révolutionnaires, comme le souligne Chris Harman dans La Révolution allemande, leur « dirigeante la plus capable et la plus expérimentée » –, elle possède un grand talent d’oratrice, et c’est ce qui la fait connaître. Elle s’engage dans la guerre d’Espagne et devient officier dans la division de l’anarchiste Cipriano Mera. Dans Ma guerre d’Espagne à moi, elle raconte le front, où elle fut capitaine d’une colonne au sein du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM), antistalinien. Enfin publié dans une belle édition critique, avec des photos inédites, son ouvrage, pendant idéal de l’Hommage à la Catalogne de George Orwell – qui fut lui-même aux côtés du POUM –, donne le point de vue d’une femme dans le monde guerrier des hommes et de leurs valeurs.

Monique Piton, ouvrière chez Lip en 1973, quand l’entreprise horlogère connaissait les joies de l’autogestion et de la lutte, raconte son combat avec verve et passion. Citant Louise Michel – « Il faut bien que la vérité monte des bouges, puisque d’en haut ne viennent que des mensonges » –, elle incarne cette voix d’en bas, la voix des femmes dans un conflit où elles eurent à lutter aussi contre leurs propres camarades. Son récit ne nous épargne pas le quotidien des travailleurs : sa vie personnelle, ses tracas financiers scandent l’histoire de la lutte autogestionnaire. Dans sa nouvelle postface à cette réédition, elle regrette que les délégués de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) qui menaient la lutte aient perpétué la domination qui condamne les femmes à un rôle subalterne. Si la formule « Du passé faisons table rase » n’a pas de sexe, c’est encore à elles de débarrasser la table.

Christophe Goby