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mardi 5 mars 2024 :: Permalien
Publié sur Diacritik, le 28 février 2024.
Au stade Bauer, à Saint-Ouen, une tribune porte son nom. Et ce chant des supporters du Red Star :« Nous sommes les Red Star fans / On vient de la banlieue rouge / Et la Rino s’enflamme / Toujours pour l’Étoile rouge »
Mais qui est Rino Della Negra ? Qui était-il ?
Un jeune ouvrier immigré, footballeur et antifasciste, rayonnant de vie d’après tous les témoignages, qui choisit de combattre au sein des FTP-MOI jusqu’au Mont-Valérien, où il fut fusillé par les nazis à l’âge de 20 ans, avec ses camarades du « groupe Manouchian ».
Rino Della Negra est né le 18 août 1923 à Vimy, dans le Pas-de-Calais. Son père et sa mère, ouvriers, sont originaires du Frioul. En 1926, la famille s’installe à Argenteuil, dans le quartier Mazagran, le quartier « italien ». Bon élève, il quitte l’école élémentaire avec le certificat d’études. Puis, à 14 ans, il travaille, comme ajusteur, aux usines Chausson d’Asnières. En 1938, il obtient la naturalisation française, que sa famille a demandée.
« Mazagrande », comme est appelé le quartier Mazagran, c’est une « petite Italie » au cœur d’Argenteuil, c’est aussi un lieu de politisation, un lieu de combat social et antifasciste. C’est ainsi que des amis de Rino rejoignent en 1938 les Brigades internationales en Espagne, il les retrouvera plus tard dans la Résistance.
Dès 1938, Rino est un espoir, surdoué, du football. Il pratique aussi l’athlétisme. Sa vitesse, onze secondes au 100 mètres, est exceptionnelle : « Quand il avait la balle, les mecs ne le rattrapaient jamais », se souvient un ancien de l’équipe du Red Star. Il joue à Argenteuil. Le Red Star de Saint-Ouen le recrute au début de la saison 1943-1944.
Rino est réfractaire au Service du travail obligatoire (STO) et c’est avec de faux papiers qu’il continue à s’entraîner, à jouer et à voir sa famille. Il rejoint les FTP d’Argenteuil en février 1943, puis le 3e détachement italien des FTP-MOI de la région parisienne, commandé par Missak Manouchian.
Il participe au moins à 15 actions armées entre mai et novembre 1943, dont l’exécution du général Von Apt le 7 juin, l’attaque du siège central du parti fasciste italien le 10, celle de la caserne Guynemer à Rueil-Malmaison le 23 juin. Le 12 novembre, il est grièvement blessé et arrêté lors de l’attaque d’un convoyeur de fonds allemand rue Lafayette. À la suite d’une longue traque de la police française, les combattants du « groupe Manouchian » vont être arrêtés ce même mois de Novembre.
Avant d’être fusillé, Rino envoie deux lettres à sa famille.
Une à son frère :
« Petit frère,
Tu es fort et robuste et je te sais courageux c’est pourquoi je ne veux pas de larmes, t’as compris, hein mon vieux. Embrasse bien fort tous ceux que je connaissais. Tu iras au Club O. Argenteuil et embrasse tous les sportifs du plus petit au plus grand. Envoie le bonjour et l’adieu à tout le Red Star. Embrasse bien Yiyi quand il reviendra et Dédé Crouin. Va chez Toni et faites un banquet. Et prenez tous une cuite en pensant à moi. »
Une à ses parents :
« Chers parents,
Ces deux lignes pour vous dire que je suis condamné à une peine très forte. Je regrette beaucoup de ne jamais vous avoir dit ce que je faisais, mais il le fallait. Faites comme si j’étais au front, soyez tous aussi courageux que moi. Enfin j’embrasse tout Argenteuil du commencement à la fin. Votre fils chéri et qui vous a aimé jusqu’à la dernière minute de sa vie. »
L’aumônier catholique allemand Franz Stock, qui accompagna plus de 1 000 fusillés, écrit sur son carnet, à la date du 21 février 1944, que Missak Manouchian et ses camarades ont crié dans le fourgon qui les amenait à la mort : « Vive le peuple allemand, à bas les nazis ! Nous aimons la musique allemande, nous sommes soldats, œuvrons pour l’Allemagne. La guerre ne va pas durer plus de quatre mois. » Rino Della Negra tombe lors du deuxième peloton d’exécution.
À Saint-Ouen, le stade Bauer (le docteur Jean-Claude Bauer, résistant communiste fusillé par les nazis) « s’enflamme toujours pour l’Étoile rouge », le nom de Rino résonne à chaque match. En 2014, soixante-dix ans après son exécution, une immense bâche recouvre la tribune qui lui est dédiée, avec son portrait accompagné du mot d’ordre « Bauer Résistance ». « Bauer / Rino / Résistance ! » clament les supporters, et sur l’air de Bella Ciao ils entonnent un chant en l’honneur du Red Star.