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Six mois rouges en Russie dans Le Monde des livres

vendredi 27 octobre 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Le Monde des livres, 27 octobre 2017.

« Des féministes à Petrograd »

Les reportages de Marylie Markovitch (Pocket) et de Louise Bryant (Libertalia), ainsi qu’un livre de Jean-Jacques Marie (Le Seuil), racontent la révolution au féminin.

L’une, française, est complètement oubliée. Envoyée spéciale du Petit Journal et de la Revue des Deux Mondes à Saint-Pétersbourg dès 1915, Marylie Markovitch (1866-1926, à l’état civil Amélie de Néry), poète et féministe, parlait aussi bien l’arabe que le perse et le russe. L’autre, américaine, Louise Bryant (1885-1936), socialiste et féministe, reste essentiellement dans les mémoires grâce au livre de son mari de l’époque, John Reed, auteur du célèbre Dix jours qui ébranlèrent le monde (1920 ; il vient d’être réédité en poche en Points et chez Mercure de France, « Le temps retrouvé »), et au film de Warren Beatty, Reds (1981), qui narra leur épopée dans la Russie révolutionnaire. Le livre de Marylie Markovitch est republié à l’occasion du centenaire de la révolution et celui de Louise Bryant est pour la première fois traduit en français. Ces deux témoignages majeurs, opposés et complémentaires, ont en commun un sens du concret rendant à cet événement toute son épaisseur humaine.
« Petrograd bouillonne comme une cuve après la vendange et c’est nous qui sommes le raisin noir », s’enthousiasme Marylie Markovitch, comparant sans cesse les journées de février et le début de la révolution au « grand 1789 ». Ayant ses entrées au palais et s’étant rendue sur les fronts, la reporter du Petit Journal raconte de l’intérieur la fin d’un monde et veut croire que la Russie de Kerenski restera dans la guerre par fidélité à ses alliés, d’autant qu’elle ne croit guère à ce Lénine, « petit homme sans majesté ». Malade, épuisée, elle quitte la Russie à l’été 1917 au moment même où arrive la journaliste Louise Bryant.

De magnifiques portraits
« Je ne suis pas en train d’écrire en tant que socialiste mais comme une profane s’adressant à d’autres profanes », expliquait celle-ci. C’était un esprit indépendant, une féministe fervente aussi, qui brouilla les lignes, par la suite, au point d’épouser un diplomate américain de bonne famille. Ses reportages n’en racontent pas moins le grand rêve révolutionnaire avec finesse et lucidité. Elle va tous les matins à Smolny, d’où Lénine et Trotski organisent la révolution. Le second la fascine davantage, plus humain et d’un abord plus facile que le chef du Parti. Mais, surtout, elle donne toute sa place aux femmes, dressant de magnifiques portraits de Catherine Breshkovski, la « babouchka [grand-mère] de la révolution », aristocrate et « Jeanne d’Arc conduisant les masses vers l’émancipation », ou de la très brillante Alexandra Kollontaï, devenue ministre des Affaires sociales, première femme dans le monde à occuper un maroquin.
La révolution russe fut en effet aussi une affaire de femmes, comme le rappelle l’historien Jean-Jacques Marie dans le premier ouvrage spécifiquement consacré au sujet. Il raconte les héroïnes « populistes » de la génération précédente, les femmes du peuple dans la révolution de 1905, les militantes professionnelles de 1917. Elles furent les grandes oubliées de l’histoire officielle – mais pas seulement. Ce fut pourtant une grande manifestation d’ouvrières du textile dans la banlieue de Saint-Pétersbourg qui donna le signal de la révolution de février.

Marc Semo