Le blog des éditions Libertalia

Une culture du viol à la française sur Mediapart

lundi 25 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié sur Mediapart, le 22 février 2019.

« Dénoncer des violences sexuelles en France, c’est devenir traître à la nation »

Des récits bibliques à la série américaine « Game of Thrones », la féministe Valérie Rey-Robert, qui tient le blog Crêpe Georgette, déconstruit les préjugés sexistes. Et en France, elle pointe l’alibi patrimonial d’amour courtois ou de libertinage qui invisibilise les violences sexuelles. 

« C’est comme chausser des lunettes qu’on ne peut plus enlever », expliquait l’élue écologiste Elen Debost, l’une des femmes à avoir témoigné publiquement de violences sexuelles, dans l’affaire Baupin. Ce sont ces lunettes que nous invite à mettre la féministe Valérie Rey-Robert pour débusquer un sexisme si ancré dans nos mentalités qu’il en devient invisible au premier abord. Vous ne lirez plus Choderlos de Laclos du même œil.
Des récits bibliques à la série américaine « Game of Thrones », son essai Une culture du viol à la française, du « troussage de domestique » à la « liberté d’importuner » (Libertalia, février 2019) questionne nos préjugés sexistes qui nourrissent ces violences sexuelles. Cadre dans une entreprise de modération sur Internet, Valérie Rey-Robert, 44 ans, a exercé sa pensée sur le forum des Chiennes de garde à la fin des années 1990, avant de créer son blog féministe Crêpe Georgette en 2008. Ce qui lui a d’ailleurs valu de subir des attaques de membres de la Ligue du LOL, ce groupe Facebook privé créé en 2009 dont des membres ont harcelé des internautes, principalement femmes. « Nous condamnons fermement le viol… jusqu’au moment où nous nous rendons compte que le violeur correspond peu à l’image mentale que nous nous étions construite », écrit-elle. Entretien.

Pourquoi l’affaire de la Ligue du LOL ne concerne-t-elle pas qu’un cercle restreint, celui des journalistes parisiens ?
Valérie Rey-Robert : Elle décrit des mécanismes de domination plus large. Le sociologue américain Michael Kimmel a décrit la socialisation des jeunes garçons blancs hétérosexuels aux États-Unis à travers les violences sexuelles, dans Guyland : the Perilous World Where Boys Become Men. Le « guy code » – « code des mecs » – se manifeste par trois faits : la misogynie, le fait de couvrir les actes des agresseurs, ce qui leur assure un sentiment d’impunité, et le culte du silence, car les témoins ont peur d’être à leur tour agressés.
On retrouve ces trois éléments dans la Ligue du LOL. Admettons qu’à l’époque, à la fin des années 2000, le sexisme ait pu ne pas être bien identifié, il y avait aussi des « blagues » racistes et antisémites, qui n’ont pas plus été prises en compte. Cela montre une profonde tolérance à l’égard des actes délictueux ou criminels commis par de jeunes hommes. On considère qu’ils font des conneries et puis ça s’arrête.

Au fil des combats féministes apparaissent de nouvelles notions pour désigner des réalités jusqu’alors passées sous silence, comme le patriarcat, le sexisme, etc. Comment le terme « culture du viol » est-il apparu aux États-Unis dans les années 1970 et à quoi sert-il ?  
Les féministes s’attaquent assez tardivement aux violences sexuelles dans les années 1970. Auparavant, elles se sont préoccupées du droit de vote, de l’accès à la contraception, etc. Elles collectent des témoignages épars, si nombreux qu’ils font sens au-delà du fait divers. Les féministes américaines vont employer le terme de « rape culture » pour faire changer les lois sur la question du viol. Le viol conjugal va progressivement être reconnu. Le terme « rape culture » signifie alors que le viol est extrêmement présent dans toute la culture américaine.
Puis ce terme disparaît presque pendant environ trente ans. Il resurgit en 2013 pour qualifier plusieurs événements très différents : deux viols de lycéennes aux États-Unis, la chanson « Blurred Lines » avec ses paroles « I know you want it, but you’re a good girl » accusées de glorifier le viol, et le viol brutal qui a entraîné la mort d’une jeune femme en Inde. Sa définition a évolué : c’est l’ensemble des idées reçues sur le viol qui concourt à culpabiliser les victimes, à déresponsabiliser les violeurs et invisibiliser les viols.
Le terme culture choque, car il est perçu de façon positive et restreinte, notamment en France. On parle d’homme cultivé. Mais il s’agit bien d’une culture du viol, car les idées reçues sur les violences sexuelles se transmettent de génération en génération, évoluent avec le temps et imprègnent la société.
L’image mentale du viol que beaucoup ont est la suivante : une jolie jeune femme court-vêtue rentrant chez elle tard le soir, violée par un inconnu dérangé mentalement et armé d’un couteau. Or, selon les études, le viol n’est pas une question de beauté, ni de tenue, et il a davantage lieu dans un espace privé commis par un proche.

Contrairement aux États-Unis, le mouvement #MeToo en France a rapidement été étouffé par des polémiques sur ses dérives, ses excès, le risque de remettre en cause un « amour courtois » à la française. Pourquoi parlez-vous de culture du viol à la française ? Quelle est sa spécificité ? 
C’est typique d’une confusion entre les violences sexuelles et le sexe. Quand Donald Trump se vante « d’attraper les femmes par la chatte », ses soutiens américains tentent de justifier ses propos sur le mode : « Vous n’y comprenez rien, c’est du sexe. Il est lourd, on le sait bien. » En France, les justifications sont différentes. Certains éditorialistes vont revendiquer le fait que nous avons une longue tradition d’amour hétérosexuel fondé sur la domination masculine, où les relations entre hommes et femmes sont asymétriques et empreintes d’une certaine violence. Et que c’est très bien ainsi.
Au moment de l’affaire Dominique Strauss-Kahn [en mai 2011, l’ex-directeur du FMI avait été accusé d’agression sexuelle, de tentative de viol et de séquestration par Nafissatou Diallo, une femme de chambre du Sofitel de New York – ndlr], on retrouve cette divergence entre la sociologue française Irène Théry et l’historienne américaine Joan Scott. Irène Théry parlait de la « surprise délicieuse des baisers volés ». C’est quand même une position très particulière pour une féministe d’affirmer que le non-consentement fait partie de l’excitation !
Parler de culture du viol à la française, ce n’est pas dire que nous sommes plus tolérants aux violences sexuelles qu’ailleurs. Mais que lorsqu’on parle de violences sexuelles, aussitôt elles sont justifiées en France au nom de cette asymétrie naturelle des relations amoureuses entre hommes et femmes, qui ferait partie de notre patrimoine. Cette notion de patrimoine, d’identité nationale française, est revenue dans chacun des débats autour d’accusations de violences sexuelles.
Dans le débat sur l’affaire DSK, beaucoup d’éditorialistes ont décrété que ces rustres d’Américains ne comprenaient rien aux relations amoureuses et ne pouvaient nous donner des leçons. Dans #MeToo, à nouveau on a retrouvé cet argument de l’identité française, quand certains ont comparé les féministes aux collabos durant la Seconde Guerre mondiale. Cette comparaison est très forte, car elle nous assimile à des personnes aujourd’hui considérées comme des traîtres à la nation. Si nous dénonçons des violences sexuelles, nous devenons des traîtres à la nation, car nous mettons à bas des traditions françaises multiséculaires.

S’agit-il d’arguments utilisés de façon très cynique ou inconsciemment, parce que le poids de ces préjugés transmis depuis des siècles les rend invisibles ?
Certains assument d’aimer ce genre de relations. La cheffe d’entreprise Sophie de Menthon a par exemple revendiqué : « Si mon mari ne m’avait pas un peu harcelée, peut-être que je ne l’aurais pas épousé. » Nous avons tous et toutes des idées reçues sur le viol. Le problème principal, c’est le refus de l’admettre. Le viol est tellement considéré comme un crime horrible, qu’admettre que nous avons des idées reçues dessus met très mal à l’aise. On ne peut pas lutter contre la culture du viol, sans que les gens se rendent compte qu’ils baignent dedans. Et ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Il y a ainsi une telle sacralisation des œuvres dites classiques, que les gens refusent de reconnaître qu’elles alimentent la culture du viol. Dans le roman Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, le viol de Cécile de Volanges par le vicomte de Valmont est raconté par ce dernier. Il est fier des stratagèmes mis en place. Cette scène est aujourd’hui rarement décrite comme une scène de viol.
Certaines peintures également ont été représentées comme des scènes d’amour, alors qu’il s’agit de scènes de viol. Dans une représentation du viol de Lucrèce par Tarquin, de Luca Giordano en 1663, la scène paraît presque galante, on pourrait croire qu’il s’agit de deux amants. Ou lorsque pour une exposition sur Fragonard amoureux au musée du Luxembourg à Paris en 2015, on choisit une affiche Le Verrou représentant potentiellement un viol. Le débat n’est pas tranché. Mais dans le catalogue d’exposition, le commissaire parle uniquement du « jeu libertin de la femme qui hésite et de l’homme déterminé ».

Et aujourd’hui ?  
Dans les comédies américaines pour adolescents type American Pie, il y a un élément récurrent, censé être comique, qui participe de la désacralisation du viol, jamais présenté comme un crime. C’est la fille qu’on fait boire pour coucher avec.
Il ne s’agit pas de viser des personnes, mais une culture. Dans le film français Gangsterdam sorti en 2017, un des héros pour faire taire le méchant va le forcer à pratiquer une fellation sur un de ses complices et les menace de diffuser la vidéo sur Internet. La scène fait bien rire tout le monde et pas une fois le mot viol n’est prononcé, alors qu’une fellation forcée en est un. Cela alimente de plus l’homophobie, car tout le monde trouve très drôle qu’un homme fasse une fellation à un autre homme. Même si les avis sont partagés, le film Irréversible sorti en 2002 baigne selon moi dans la culture du viol, avec une scène très longue mais esthétisée, des longs plans sur les cuisses de Monica Bellucci. Le violeur est un inconnu un soir dans un tunnel, avec à la fin le petit ami qui se venge dans la plus pure vision patriarcale, bref tous les clichés possibles.

Quelles sont les principales idées reçues sur les auteurs de viols et les victimes ? 
Le violeur, c’est toujours quelqu’un de très différent. Si la norme est l’homme blanc hétéro, il y aura toujours une mise à distance : le pauvre, le chômeur, le moche, le difforme, le malade mental, l’homme racisé.
Les idées reçues sur les violeurs sont aussi homophobes. Dès qu’on parle d’adoption par des couples homosexuels, existe toujours cette suspicion chez les réactionnaires homophobes en sous-texte qu’ils vont violer les enfants. Comme si aimer et désirer des hommes adultes avait quoi que ce soit à voir avec le fait d’éprouver du désir pour des enfants !
La victime parfaite, elle, n’existe pas : si on est trop jolie, on l’a bien cherché. Si on est trop moche, c’est une chance. Si on est pauvre et violée par un homme riche, c’est aussi une chance. Si on n’a pas de blessure grave, c’est qu’on a probablement menti. Si on a été alcoolisée, intoxiquée ou qu’on a une maladie mentale, on n’est pas crédible. Bref, les victimes se voient attribuer la totale responsabilité de ce qu’elles ont subi.

Parmi les préjugés les plus dangereux, vous évoquez celui de la résistance féminine qui ferait partie intégrante du jeu amoureux.  
On part du principe qu’une femme qui se respecte ne doit pas exprimer un désir sexuel de façon trop claire, mais envoyer des signaux que les hommes interprètent. C’est un jeu extrêmement pervers, car quoique dise la femme, l’homme en face entend toujours oui. Il faut apprendre aux adolescents garçons de s’arrêter si la fille n’a pas dit un oui franc et massif. Un adolescent m’a raconté que face à une fille qui disait non, il s’était arrêté, puis la fille l’avait engueulé : « Il fallait que tu continues. » Même dans ce cas, il ne faut jamais prendre ce risque !
Il faut vraiment transformer les relations et apprendre aux adolescentes à exprimer leur désir sexuel de manière claire. Une étude américaine montre que les femmes utilisent souvent des refus détournés pour repousser des avances sexuelles, comme « peut-être pas cette fois ». Et que lorsqu’elles utilisent ces périphrases pour autre chose que le sexe, les hommes comprennent très bien le refus et n’insistent pas. Sauf pour le sexe ! Si les hommes comprennent le refus des femmes mais ne veulent pas l’entendre, toutes les campagnes à base de « Non, c’est non » ne fonctionnent pas. La campagne devrait plutôt être : « Il faut que vous acceptiez qu’une femme vous dise non. »

La culture du viol implique aussi, selon vous, que les principales victimes de violences sexuelles, les femmes, ont très peu de chances d’être considérées comme crédibles. En France, les premières réactions d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe à #BalanceTonPorc furent qu’il fallait prendre garde aux possibles excès et mensonges. Pourquoi ?
Selon moi, le viol découle de la construction du sexisme qui attribue des qualités et défauts propres aux hommes et aux femmes. Les qualités des hommes sont profondément enviables, celles des femmes moins. Les défauts des femmes rejoignent parfaitement les préjugés sur le viol : les femmes seraient perverses, elles voudraient le malheur de l’humanité, elles mentiraient. Elles ne seraient pas droites comme les hommes.
Le mythe fondateur d’Ève [qui a cédé à la tentation et poussé Adam à manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, entraînant leur expulsion du paradis – ndlr] est repris dans toute la littérature et la philosophie. Quand une telle image des femmes a été inculquée depuis des millénaires, c’est extrêmement difficile ensuite de penser que les femmes qui subissent le viol ne sont pas des menteuses. Car nous avons tous été élevés dans l’idée que les femmes sont menteuses et perverses. De là découlent des lois a minima. Au Moyen Âge, pour prouver le viol, il fallait que la résistance de la victime ait été vue et entendue par des témoins, qu’il y ait eu une force extrême de la part des violeurs garantissant qu’elle n’avait pas d’autre choix.
Ces lois continuent à imprégner les mentalités avec le soupçon éternel que les femmes mentent sur les allégations de viol, ce qui prouve bien leur perversité. Dans les années 1940, on voit ainsi apparaître dans le cinéma américain le stéréotype de la femme fatale, qui cause le malheur des hommes.
Les conséquences sont mécaniques. Une victime de viol, élevée dans la croyance qu’il y a beaucoup de fausses allégations de viols, va minimiser les faits : « Ce n’est pas vraiment un viol, j’exagère » ou se taire par crainte de ne pas être crue. Dans les deux cas, elle ne dénoncera pas le viol.
Côté police et justice, la conséquence est de ne pas croire les victimes quand elles témoignent. Jusque dans les années 1980, « l’avertissement Hale » du nom d’un juge anglais du XVIIe siècle était encore utilisé lors des procès pour viol aux États-Unis : « Le viol est une accusation facile à faire, difficile à prouver et dont il est difficile de se défendre quand on en est accusé, même si on est parfaitement innocent. » Pourtant, aux États-Unis, une étude a montré que comparativement aux hommes accusés de meurtre à tort et envoyés en prison, très peu d’hommes ont été envoyés à tort en prison pour viol. Entre 1989 et 2017, cela représente 52 cas contre 790 pour meurtre. Et plusieurs études dans différents pays ont montré qu’il y avait moins de 10 % de fausses accusations de viol.
On peut aussi relever que pas mal de personnes ont fait de faux témoignages après les attentats en France, soit pour attirer l’attention sur eux, soit pour obtenir de l’argent. Heureusement, cela n’a pas abouti à ce que toutes les victimes d’attentat soient tout à coup considérées comme des menteurs et menteuses potentielles ! Il y a aussi beaucoup d’escroqueries et de fausses déclarations aux assurances, sans créer cette suspicion généralisée.
Il faut se demander : une femme a-t-elle aujourd’hui rationnellement intérêt à mentir sur le fait qu’elle a été violée ? Elle va être traînée dans la boue, les dédommagements au civil sont minimes, c’est une procédure qui coûte beaucoup d’argent, donc il n’y a vraiment aucun intérêt à mentir. Il existe des mensonges, mais cela ne sert à rien de généraliser.

Cela concerne aussi les féministes ?  
Les féministes ne sont toujours pas considérées comme des expertes. Les gens continuent à tenir des discours ineptes sur les violences sexuelles alors qu’ils n’ont jamais lu une étude. Ça participe du sexisme, comme l’immense majorité des féministes sont des femmes, elles ne peuvent pas avoir une expertise sur un sujet. Quand on dit que, selon les études, les violeurs sont des messieurs tout le monde, c’est inaudible pour la plupart des gens.

Vous remarquez que les victimes des deux affaires de violences sexuelles sur mineures qui ont suscité l’indignation en 2018 étaient toutes deux des petites filles noires. En quoi est-ce pertinent pour analyser ces affaires ?  
Beaucoup de journaux français avaient évoqué le fait que ces deux enfants paraissaient plus que leur âge. Déjà, cela devrait mettre mal à l’aise n’importe qui de décrire le corps d’une gamine de 11 ans. Selon une étude américaine, les petites filles africaines-américaines, dès l’âge de 5 ans, sont vues comme beaucoup plus adultes, en particulier en matière de sexe, que les petites filles blanches. Pour les femmes noires, il y a une sexualisation très rapide des enfants. Si vous vous mettez en tête que ces gamines sont « prêtes » pour l’amour, comme le disent certains pédocriminels, cela participe à des violences sexuelles. Il y a aussi ces fantasmes coloniaux et postcoloniaux autour des femmes racisées qui en font des êtres lascifs, érotisés, prêts à l’amour. Il faut réfléchir à la représentation par Gauguin des corps de ces Tahitiennes extrêmement jeunes, avec lesquelles il a eu non des rapports sexuels, mais, pour moi, des viols. Cela reste un angle mort de l’histoire de l’art. Il est donc capital de prendre en compte le fait que ces deux enfants étaient noires dans le fait que l’un des violeurs ait été acquitté, et l’autre en premier lieu jugé pour atteinte sexuelle.

Le gouvernement français a surtout réagi au mouvement #MeToo en durcissant son arsenal pénal contre les violences sexuelles. Les autorités publiques ont conseillé aux femmes victimes de déposer plainte. Mais les condamnations pour viol ont baissé de 44 % cette dernière décennie alors que les plaintes n’ont cessé d’augmenter. Comment lutter ?
Certains voudraient inclure le mot consentement dans la définition légale du viol. Moi, je pense que sur les lois, nous avons grosso modo les outils suffisants. Mais tant qu’il y aura de la culture du viol, tant que les policiers, juges et avocats n’auront pas été formés sur ces idées reçues, le Parlement peut voter toutes les lois, les violences sexuelles ne baisseront pas.
Il faut vraiment restaurer les ABCD de l’égalité à l’école, c’est capital [L’expérimentation de ces programmes de lutte contre les stéréotypes de genre a été abandonnée en 2014 après une polémique sur une prétendue « théorie du genre » – ndlr]. Il y a une telle méconnaissance des violences sexuelles, que même les gens plein de bonne volonté n’y comprennent rien.
Dès le plus jeune âge, les garçons sont poussés à écouter leur individualité, leurs désirs, se sentir supérieurs aux filles, et tout l’inverse pour les filles. Une certaine catégorie de garçons – je ne dis pas tous les hommes sont des violeurs – va considérer que c’est la même chose en matière sexuelle : leur désir vaut plus que celui des filles, il est plus fort et légitime.
Tant qu’on continuera à exercer une éducation genrée et différenciée, il y aura des violences sexuelles. Ça passe aussi par la neutralisation du langage, le fait d’avoir plus de femmes dans les noms de rue, dans les livres pour enfant, dans les programmes scolaires. Cela concourt à l’idée qu’une fille vaut autant qu’un garçon et qu’elle peut faire autant de choses. Cela limite le risque qu’à l’adolescence un garçon se dise que son désir sexuel est plus important que le « non » de la fille. On doit apprendre aux garçons que, non, les hommes n’ont pas besoin de sexe, qu’ils en ont éventuellement envie et qu’une envie ça se refrène.

Propos recueillis par Louise Fessard