Le blog des éditions Libertalia

Antifa sur le blog Bibliothèque Fahrenheit 451

mercredi 14 novembre 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur le blog « Bibliothèque Fahrenheit 451 », 24 octobre 2018

Bernd Langer, militant de longue date, raconte un siècle d’antifascisme allemand et donne des clés pour comprendre comment l’opposition au nazisme, puis au néonazisme, s’est construite hors des partis institutionnels. L’histoire de l’Allemagne sert bien évidemment de toile de fond, avec l’accession au pouvoir des nazis, rapportée étape par étape, la guerre puis la guerre froide, jusqu’à la réunification. Il évoque aussi le mouvement antinucléaire, le mouvement des squats, les mobilisations contre l’extension de l’aéroport de Stuttgart.
En automne 1922, le Komintern, abandonnant l’objectif de révoltes armées, fixe comme stratégie le « front uni » aux partis communistes qui devront chercher à s’allier à d’autres partis ouvriers, sans pour autant former de coalition, mais en cherchant à les dominer et à « gagner les masses à l’idée de révolution mondiale ». Après l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises et belges le 11 janvier 1923, le courant nationaliste-bolchevik « Radek-Schlageter » du KPD (Parti communiste allemand) défend une alliance avec l’extrême droite, avec ce prétexte. Cependant, de nombreux rassemblements antifascistes sont organisés et les Centuries prolétariennes sont armées en Saxe et en Thuringe. Après le putsch hitlérien raté du 9 novembre 1923 à Munich, la République de Weimar décide la création d’un corps de réservistes de la police et de l’armée qui comptera un million de membres. Des pans entiers du KPD avaient des réticences à l’égard de l’uniforme en raison du mouvement antimilitariste qui s’était opposé à la Première Guerre mondiale.
Le 26 avril 1925, Hindenburg est élu chancelier avec 3 % d’avance, les communistes ayant refusé une alliance avec les sociaux-démocrates, considérés comme des « fascistes-sociaux » et qu’ils tiendront très longtemps pour les ennemis principaux. Le NSDAP (parti national socialiste) est de nouveau autorisé depuis février, mais reste confidentiel, ne recueillant que 2,6 % des voix en 1928. Hitler, dans l’incapacité d’être élu car apatride, ne semble pas dangereux, plutôt ridicule, jusqu’en 1933. La crise économique mondiale s’abat sur l’Allemagne en 1929 et le nombre des chômeurs représente 16,3 % de la population en février 1932, soit 6,12 millions ! Le NSDAP, clouant au pilori « la mise en esclavage de la patrie par les puissances étrangères », prend son essor à partir de 1930 jusqu’à devenir un mouvement de masse, passant de 810 000 électeurs en 1928 à 6,4 millions. En 1931, le KPD soutient le référendum imposé par les mouvements d’extrême droite contre le gouvernement de Prusse ! Les 17 et 18 octobre 1931, Hitler, pour se démarquer des autres mouvements d’extrême droite, organise la « marche des 100 000 » à Brunswick, immense défilé paramilitaire dans une commune de 150 000 habitants, dans une ambiance de guerre civile. C’est le gouvernement de Brunswick qui lui procura la nationalité allemande en 1932. Après une campagne électorale extrêmement violente, causant 86 morts, le NSDAP devint le premier parti du Reichstag avec 37,3 % des voix. Le 30 janvier 1933, le président Hindenburg nomma Hitler chancelier. Le SPD s’en tient à sa démarche légaliste, et le KPD appelle à la grève générale, mais seul un de ses membres sur neuf a encore un emploi ! Profitant de l’incendie du Reichstag le 27 février, Hitler criminalise puis interdit le KPD, annulant tous ses mandats électoraux, même si le « Livre brun de l’incendie du Reichstag et de la terreur hitlérienne », publié à Paris, coupe l’herbe sous le pied à la propagande mensongère des nazis. La déclaration de neutralité des syndicats ne servit à rien, en mai leurs locaux furent occupés, leurs cadres arrêtés et leurs fonds saisis. Le 22 juin, le SPD disparut, sans direction clandestine, à cause de son entêtement à rester dans la légalité. Le KPD avait organisé une structure clandestine mais son centralisme se révéla fatal lorsque tous ses cadres furent arrêtés en même temps début mars, puis 60 000 militants entre 1933 et 1934.
L’amélioration de la situation économique s’avéra plus longue et difficile que prévue et les SA, service d’ordre composé de 4,5 millions de miliciens en 1934, instrument essentiel du NSDAP dans sa marche au pouvoir, devinrent source d’insécurité et d’instabilité politique. Hitler n’hésita pas à les sacrifier pour concentrer le pouvoir, en arrêtant et exécutant la hiérarchie du mouvement.
« La prise de pouvoir par les nationaux-socialistes dans le Reich allemand renforça les tendances fascistes dans toute l’Europe, et l’antiracisme devint un phénomène de masse. » En France, après la manifestation du 6 février 1934, un pacte d’action antifasciste formel fut conclu entre les partis communiste, socialiste et radical qui aboutira au gouvernement de Front populaire. La même évolution se dessina en Espagne. 5 000 émigrants allemands rejoignirent les Brigades internationales. La plus grande trahison faite à l’antiracisme restera la signature le 23 août 1939 du pacte germano-soviétique de non-agression qui rencontra l’incompréhension et le refus de beaucoup de membres et de sympathisant.es.
« Dans les pays occupés ou dominés par l’Allemagne, la cause de la libération nationale se fondit avec celle de l’antifascisme. » En France, en Grèce et ailleurs en Europe, quelques centaines de déserteurs allemands rejoignirent la résistance.
Bernd Langer recense également les résistances en Allemagne pendant la guerre. À Munich, un groupe d’étudiants, Die Weisse Rose, rédigea et distribua six tracts contre le national-socialisme entre juin 1942 et juin 1943, avant d’être arrêtés et guillotinés. D’autres groupes clandestins, les Edelweisspiraten, affrontèrent physiquement les Jeunesses hitlériennes. La bombe installée par Georg Elser à Munich explosa au moment prévu mais manqua Hitler qui partit treize minutes plus tôt.
La RFA créée en mai 1949 fut aussitôt confrontée au néofascisme. Les prémices d’un mouvement antifasciste extraparlementaire existaient dès les années 1960, notamment en 1968 contre les lois sur l’état d’urgence. Dans les années 1970, des « cercles de travail » collectent des informations sur l’extrême droite radicale et, à partir de 1977, des actions coup-de-poing sont entreprises et des manifestations organisées contre les rassemblements du parti néonazi, le NPD, qui réunirent 5 000 personnes à Francfort le 17 juin 1978, puis entre 40 et 50 000 en 1979 à Römerberg. En 1981, une organisation antifasciste à l’échelle nationale commença à émerger, divisée en deux tendances : les militant.es anti-nazi.es et les anti-impérialistes. À partir de 1983, le mouvement des autonomes pratiquant la lutte offensive prit de l’ampleur, à l’occasion du blocage du meeting du NPD à Fallingbostel le 17 juin. Des tracts circulèrent développant la thèse de « l’impérialisme fasciste » : « Pour combattre le fascisme, il faut combattre le système impérialiste ! » Les différents rassemblements sont minutieusement rapporter par l’auteur, partie prenante de ces mouvements : bataille rangée à Nesselwangen en mai 1985 contre la réunion de 600 vétérans SS, les semaines agitées qui suivirent la mort de Günter Sare, écrasé par un véhicule de la police, les actions contre le Volkstrauertag (Jour de deuil pour le peuple) au cimetière militaire de Essel, etc. Une vague de répression suivit la mort de deux policiers pendant une manifestation contre l’extension de l’aéroport de Francfort en novembre 1987.
Avec la dissolution de la RDA en 1989, l’extrême droite refait surface, sous forme d’agressions violentes causant morts et blessés, parallèlement à la naissance du mouvement des squats qui entrent immédiatement en conflit avec les néonazis. En septembre 1991, des commerçants vietnamiens sont attaqués par une poignée de jeunes néonazis à Hoyerswerda, puis 500 personnes attaquèrent un foyer de réfugiés. Une manifestation antifasciste pacifiste rassembla 5 000 personnes. Pourtant quelques mois plus tard, en août 1992, Rostock vécut plusieurs jours d’émeutes racistes rassemblant plus d’un millier d’extrémistes de droite soutenus par 3 000 curieux qui applaudissaient leurs violences, autour d’un foyer pour immigrés surpeuplé.
Le Thüringer Heimatschutz (THS) devint une structure néofasciste de premier plan, avec l’aide et la coopération de l’État qui employait 25 % de ses membres comme agents de renseignement, et donna naissance à une nouvelle cellule terroriste d’extrême droite radicale, le NSU autour de Beate Zschäpe, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt qui commirent une série de meurtres racistes isolés entre 2000 et 2006 que la police et les médias attribuèrent longtemps à des règlements de compte mafieux. 
L’antifascisme devint une doctrine d’État fédératrice mais en présentant l’Allemagne libérée du nazisme en 1945, comme la France ou la Hollande, alors que les Alliés durent se battre village par village pour démanteler militairement le régime national-socialiste.
La conférence de l’OMC à Seattle fut le point de départ du mouvement antimondialisation fin 1999. Un nouveau réseau de groupes d’extrême gauche anticapitaliste se créa fin 2005 qui participera activement au blocage du G8 à Heiligendamm en 2008 réunissant 50 000 personnes avec un Schwatzer Block de plusieurs milliers de militant.es, et des rassemblements en mémoire du bombardement de Dresde en 1945, notamment.
Puis, le 22 juillet 2011 Anders Breivik tua 77 personnes en Norvège, le mouvement Pediga apparut en 2014.
Cet ouvrage avant tout historique interroge des problématiques on ne peut plus actuelles. Son exhaustivité, puisque aucun groupuscule ne semble avoir été oublié, ne rend nullement sa lecture austère, stimulée par ailleurs pas l’abondance iconographique, et interroge la grande diversité des stratégies mises en œuvre face à l’extrême droite.