Le blog des éditions Libertalia

Le Grand Nord exige l’entraide

vendredi 13 décembre 2013 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Article publié dans Le Monde libertaire, 5 décembre 2013

Les Éditions Libertalia récidivent. Après Le Mexicain, Grève générale et Un steak, voilà qu’elles publient à nouveau du Jack London. Intitulé Construire un feu, le texte, rédigé au début du siècle dernier, avait déjà vu le jour chez Phébus en 2007. Le voici donc à nouveau publié, mais dans une traduction inédite – qu’on ne peut que saluer – commandée pour l’occasion et signée Philippe Mortimer. Dans cette édition, Libertalia propose deux versions d’une – presque – même histoire : une rédigée en 1902, l’autre, plus longue, en 1908. Si mes faveurs vont davantage à la seconde (qui est la première de l’ouvrage), les deux méritent d’être lues, d’autant que l’auteur y apporte vraiment quelques variations.

À la lecture, les deux textes semblent tenir davantage de la fable que de la nouvelle, comme souvent chez London, du moins lorsqu’il se frotte à la forme courte – qui lui sied si bien. Mais peu importe, après tout, ces considérations formelles, la question étant surtout de savoir ce que l’auteur cherche à nous dire à travers l’histoire de cet homme solitaire, et quelque peu trop sûr de lui, qui marche dans un Yukon (territoire canadien frontalier de l’Alaska) glacial dans l’espoir de trouver des endroits où, le printemps venu, récupérer du bois de chauffage et de construction. Les pieds trempés suite à une chute dans un lit de rivière, l’homme se voit obligé de construire un feu pour sécher chaussettes et mocassins et, ainsi, éviter que ses pieds ne gèlent, sinistre prélude à sa propre mort. Sous le regard inquiet et impatient de son chien, un husky plus souvent fouetté que caressé, l’homme parvient à allumer le feu salutaire. Mais le soulagement n’est que de courte durée, le précieux foyer étant brusquement éteint par la neige tombant des branches d’un sapin. À nouveau exposé au grand froid, l’homme, contraint de construire un second feu, rencontrera de plus en plus de difficultés, les moins soixante degrés ayant rapidement raison de ses mains et de ses pieds, provoquant l’arrivée d’une série de problèmes…

Haletante, l’histoire sera aussi l’occasion, pour le lecteur, d’en apprendre un rayon sur les erreurs à éviter dans pareille situation, ce qui n’est pas sans donner au livre un petit côté « guide de survie dans le Grand Nord » très sympathique. Mais l’intérêt de l’ouvrage, on s’en doute, réside surtout ailleurs, dans son message. Car si les deux textes proposent un dénouement différent, le discours tenu par London reste le même : l’individualisme est une impasse. Une impasse qui peut nous faire frôler la mort, quand elle ne nous conduit pas directement à son chevet. Un message peut-être entendu maintes fois, mais qu’il semble toujours nécessaire de tenir au sein de nos sociétés contemporaines, gangrénées par l’égoïsme et un certain culte de l’individu. Et quand ce message est porté par la plume de l’auteur de L’Amour de la vie, il est sans doute en mesure de percer les nuées des plumitifs médiatiques pour se faire entendre, espérons-le, du plus grand nombre. D’autant que cette réédition à l’aube de l’hiver tombe tristement à pic. Car nul doute que, cette année encore, ici même en France, et sans aller chercher dans le Grand Nord, des sans-abri mourront de froid, dans l’indifférence et la solitude – sans avoir choisi, contrairement à l’homme du Yukon, ni l’une ni l’autre, mais ayant, comme lui, manqué des autres, de nous autres.

Guillaume Goutte