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Benjamin Péret l’astre noir du surréalisme sur Zones subversives

mardi 2 janvier 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié le 22 Décembre 2016 sur Zones subversives.

Benjamin Péret, surréaliste et révolutionnaire

Le surréalisme tente de relier poésie et politique, révolte et créativité. C’est Benjamin Péret qui incarne le mieux cette démarche originale, à travers sa vie et ses écrits.

Le mouvement surréaliste bénéficie d’une notoriété importante. Parmi ce groupe d’artistes et de poètes devenus célèbres, Benjamin Péret reste le moins connu. Ce surréaliste est toujours resté fidèle à sa démarche révolutionnaire. Il refuse les honneurs, la reconnaissance et la respectabilité bourgeoise. C’est sans doute celui qui a le mieux incarné le projet surréaliste de relier la créativité et la politique, de transformer le monde pour changer la vie. Barthélémy Schwartz propose une biographie du poète dans son livre Benjamin Péret l’astre noir du surréalisme.

Une poésie dadaïste et surréaliste

Benjamin Péret est né en 1899. Il rejette rapidement l’institution scolaire. Pour lui, « l’école est une lourde sujétion, une sorte de prison dont l’enfant est libéré chaque soir ». En 1919, il s’installe à Paris et fréquente les milieux avant-gardistes de la capitale. Il rencontre Francis Picabia et participe à la revue Littérature. Il découvre d’autres jeunes poètes révoltés par la barbarie guerrière. Ce groupe va s’inscrire dans le mouvement Dada. Les soirées dadaïstes cherchent à provoquer et à déstabiliser le public pour le sortir de son rapport passif au spectacle. Les journalistes reproduisent les canulars de Dada, comme les fausses adhésions de Charlie Chaplin, D’Henri Bergson ou du prince de Monaco.
Benjamin Péret apprécie l’esprit Dada, avec le scandale et la contestation. Mais le provincial reste marginalisé au sein d’un groupe habitué à fréquenter les salons littéraires. L’humour de Benjamin Péret traduit une insolence de classe contre les bourgeois. « Il ridiculisait les têtes fortunées qui se pressaient au vernissage dada comme on se rend à l’Opéra », décrit Barthélémy Schwartz.

La mise en scène du procès de Maurice Barrès doit dénoncer la trahison morale de cet écrivain. Mais Benjamin Péret déboule sur scène pour interpréter un soldat. Il dénonce le militarisme et le nationalisme, ce qui provoque la fureur du public. Les interventions de Benjamin Péret apportent un contenu politique à cette révolte artistique. Benjamin Péret pratique l’injure public. Il n’hésite pas à insulter les curés et les pères de familles. Il rejette toutes les figures de l’autorité et peut injurier dans un café le moindre supposé stalinien.
L’écriture automatique permet de se libérer de la rationalité. Pour Benjamin Péret, cette pratique poétique doit surtout permettre de désinhiber la pensée pour contourner les contraintes sociales. L’écriture automatique propose un nouveau rapport social et culturel au langage. « Au-delà, elle remettait implicitement en question l’organisation même de la société », souligne Barthélémy Schwartz.

Un rejet de l’ordre social

Benjamin Péret attaque toutes les formes d’autorité et les valeurs bourgeoises. Il déteste la religion, avec sa fonction sociale autoritaire qui réprime la liberté.
Dans le recueil poétique Je ne mange pas de ce pain là, Benjamin Péret lance une charge violente et comique contre l’ordre social. « Il annonçait, par l’insolence de son contenu, les occupations d’usines du Front populaire et la révolution espagnole qui éclateront quelques mois plus tard », observe Barthélémy Schwartz. Le poète attaque les hommes politiques, les industriels, les hommes d’Eglise et les militaires.
L’humour de Benjamin Péret annonce la colère. Il invente des images incongrues pour sortir de la normalité sociale. Il développe également des insultes, des transgressions, dans un langage direct et cru.

L’engagement politique des surréalistes les conduits à adhérer au Parti communiste. Ils estiment que le changement passe par une révolution sociale. Néanmoins, le communisme demeure un programme « minimum ». Les surréalistes veulent élargir la révolution aux questions liées au langage, à l’inconscient ou au désir.
Benjamin Péret est le premier surréaliste à adhérer au Parti communiste. Il collabore au journal L’Humanité. Il écrit des articles pour dénoncer les valeurs bourgeoises du monde des arts et des lettres. Il publie une série d’articles sur le cinéma, pour évoquer des films populaires. Il tient également une rubrique pour critiquer l’armée et l’Église.
Mais, dès la première sanction, Benjamin Péret quitte discrètement le Parti communiste. Il partage les idées de l’opposition de gauche, animée par l’ancien surréaliste Pierre Naville. Les trotskystes dénoncent le stalinisme et préconisent une révolution internationale.
Benjamin Péret tombe amoureux de la jeune cantatrice brésilienne Elsie Houston. Le couple s’installe au Brésil. Le poète découvre le mouvement anthropophage qui mêle les avant-gardes artistiques européennes avec les traditions noires et indiennes. Ce mouvement culturel rejette les traditions issues du colonialisme.

Un engagement révolutionnaire

Les surréalistes se soumettent à la séparation de l’art et de la politique. Ils privilégient la spécialisation dans le domaine culturel et intellectuel. Ils luttent à l’intérieur du Parti communiste pour combattre un art de propagande. En revanche, les surréalistes acceptent de laisser les bureaucrates staliniens se préoccuper des questions économiques et sociales. Les artistes se désintéressent des questions politiques et se contentent de rester des spécialistes culturels dans des organisations hiérarchisées.
Benjamin Péret participe à des groupes révolutionnaires en tant que simple militant. Il n’adopte pas la posture de l’intellectuel et ne revendique aucun statut. Il s’intéresse réellement à la théorie marxiste et aux luttes sociales. Néanmoins, il cloisonne ses activités politiques et surréalistes, sans rechercher à relier ses deux aspects. « Cette double attraction qu’exerçaient sur lui le surréalisme et la politique ne se traduisait pas, cependant, par des tentatives de sa part pour unifier ses parcours parallèles en une démarche "unitaire", comme le tenteront, à leur manière, les situationnistes par la suite », observe Barthélémy Schwartz.

En 1936, Benjamin Péret rejoint Barcelone insurgée. Il savoure l’intensité de la vie dans le contexte de la révolution espagnole. « La révolution créait de nouveaux rapports sociaux qui modifiaient la perception de chacun », décrit Barthélémy Schwartz. Des comités révolutionnaires se créent, sans attendre les consignes des organisations, pour prendre en charge la vie sociale à la place des anciennes municipalités. Les entreprises sont occupées par les ouvriers, et les terres prises par les paysans.
Benjamin Péret combat aux côtés des militants du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste). Mais le gouvernement et les staliniens répriment cette révolte spontanée. Benjamin Péret rejoint alors la colonne Durruti qui regroupe les anarchistes les plus radicaux. Mais il dresse un bilan critique des limites de la révolution espagnole. Il critique les anarchistes qui prétendent dénoncer les partis pour mieux valoriser les « minorités agissantes ». Les anarchistes dénoncent l’Etat et l’autoritarisme mais participent à un gouvernement aux côtés des staliniens.

Un marxisme marginal

Benjamin Péret, sous l’occupation allemande, est jeté en prison. Il décide de fuir vers le Mexique. Mais il déplore l’influence du stalinisme. Il se sent isolé. Les surréalistes sombrent dans le mysticisme et s’éloignent du matérialisme comme base de pensée critique. Ensuite, les écrivains et poètes liés à la Résistance développent des idées nationalistes et réactionnaires. Benjamin Péret dénonce cette littérature de propagande dans Le Déshonneur des poètes.
Benjamin Péret ne cesse de valoriser les cultures populaires. Comme Walter Benjamin, il dénonce la barbarie qui existe dans la culture des vainqueurs. Sa sensibilité de poète se tourne vers les cultures négligées et persécutées par les classes dominantes. Benjamin Péret « privilégiait la force subversive des cultures marginalisées, sourdement porteuses de traces de contestation toujours présentes », souligne Barthélémy Schwartz.

Benjamin Péret reste lié à des révolutionnaires exilés au Mexique, notamment Grandizo Munis et les trotskistes espagnols. Benjamin Péret propose une analyse critique des organisations comme les partis et les syndicats. Il valorise les comités ouvriers qui se créent dans la lutte de manière autonome. Mais il observe également leur limite et leur bureaucratisation à travers l’influence des organisations. Il publie des articles qui seront diffusés dans le contexte des années 1968 sous un titre percutant : Les Syndicats contre la révolution.
Benjamin Péret s’éloigne également du trotskisme autoritaire, tout comme Munis et Natalia Sadova la veuve de Trotsky. Il dénonce l’URSS comme un véritable « capitalisme d’État » et non plus comme un « État ouvrier dégénéré ». Il critique également le rapprochement des trotskistes avec les partis communistes. Ce marxisme critique influence notamment Cornélius Castoriadis qui va participer à la création de la revue Socialisme ou Barbarie.

Un poète marginal

Benjamin Péret reste un poète marginal. Contrairement aux autres surréalistes, notamment les peintres, il ne parvient pas à vivre de son art. Il travaille comme journaliste puis correcteur. Il reste dans des conditions de précarité.
Benjamin Péret s’attache à relier la poésie à la contestation. Pour lui, le poète est celui qui « prononce les paroles toujours sacrilèges et les blasphèmes permanents ». Le désordre qui bouscule la normalité sociale permet de raviver une force poétique. Mai 68 et ses graffitis sauvages deviennent un exemple incontournable.
« Si la charge poétique perdait sa vitalité dans les périodes d’atonie sociale, elle se ressourçait en revanche dans l’énergie des conflits », souligne Barthélémy Schwartz. Benjamin Péret privilégie les conflits sociaux et politiques. La poésie authentique doit exprimer une rupture avec l’ordre social. La société marchande empêche toute forme de rapport poétique au monde.

La poésie est également considérée comme la médiation indispensable pour l’amour sublime. Néanmoins, Benjamin Péret dénonce la domination des hommes sur les femmes. C’est la première des injustices sociales, celles qui les comprend toutes, et qui perdure dans les sociétés anciennes ou modernes. Cette supériorité supposée de l’homme sur la femme demeure un des fondements de l’ordre social. Trop peu de femmes connaissent l’orgasme sexuel. Pourtant, la satisfaction des besoins sexuels des femmes devient indispensable pour permettre l’épanouissement des relations amoureuses. Benjamin Péret valorise le romantisme et la passion amoureuse contre le monde moderne.
Les surréalistes ont été récupérés par les milieux artistiques et littéraires. Même le situationniste Guy Debord fait l’objet d’une récupération académique. Benjamin Péret est resté dans les marges. Il permet de relier l’utopie surréaliste à l’action politique. « La fascination qu’il a pu exercer sur certains, il la doit d’abord à ce qu’il su concrétiser ses idées surréalistes dans les enjeux de sa vie quotidienne, par une prise de risque dans les mouvements révolutionnaires de son temps », souligne Barthélémy Schwartz.

Un héritage poétique et révolutionnaire

Cette biographie proposée par Barthélémy Schwartz permet de revaloriser un poète resté dans l’ombre et trop méconnu. Son parcours original, au croisement de la poésie et de la révolution, demeure essentiel.
La poésie de Benjamin Péret exprime toute la révolte surréaliste. Il s’oppose à toutes les valeurs bourgeoises comme la famille, l’école, la religion, le travail. Il se révolte contre toutes les formes de contraintes sociales. Il exprime une poésie authentique, directe et vivante, qui s’oppose à l’ordre social. Sa poésie valorise également la spontanéité et la créativité. Elle ne se revendique pas comme un exercice de style littéraire, mais comme l’expression d’une créativité accessible à tous. Benjamin Péret se démarque alors des surréalistes qui finissent par se soumettre aux codes académiques de la peinture ou de la littérature.
Benjamin Péret est également un militant révolutionnaire. Il participe à la plus grande révolte de son temps : la révolution espagnole. Sa trajectoire politique et intellectuelle présente une évolution singulière. Il apparaît d’abord comme un militant marxiste-léniniste. Mais il observe la faillite des organisations, y compris anarchistes. Il estime alors que les révolutions doivent s’appuyer sur la spontanéité et l’auto-organisation des prolétaires. Il rejette toutes les formes d’organisation qui vise à encadrer la révolte.

Néanmoins, Barthélémy Schwartz souligne la grande limite de ce parcours exemplaire. Benjamin Péret sépare ses activités poétiques et son engagement politique. Ce sont deux aspects de sa vie qui restent cloisonnés. Il refuse de dénoncer les illusions des surréalistes à l’égard du stalinisme et du bolchevisme, ni leur quête de reconnaissance artistique. Ensuite, son militantisme politique manque un peu de poésie. Il reste un militant bolchevique qui valorise le sérieux de l’activité politique. Il dénigre les situationnistes qui remettent en cause la routine militante.
Mais Benjamin Péret peut inspirer la révolte d’aujourd’hui. Relier la poésie et la politique permet de valoriser la créativité et la passion qui s’expriment dans toutes les révoltes. La critique de l’exploitation doit se relier avec la critique de la vie quotidienne. Benjamin Péret attaque tous les aspects du monde marchand dans ses différents textes, qu’ils soient poétiques ou politiques. Il insiste sur la nécessité d’une révolution sociale pour rendre la vie passionnante.

Source : Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret l’astre noir du surréalisme, Libertalia, 2016.