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Emprisonnées dans Breizh Femmes

jeudi 21 novembre 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Breizh Femmes, 6 novembre 2024.

Ces chemins qui mènent les femmes en prison

Ce que Audrey Guiller aime d’abord dans son travail de journaliste c’est « aller chercher les personnes qui n’ont jamais accès à la parole publique et leur donner une tribune ».
S’il en est qui sont plus que d’autres encore invisibles, ce sont bien les femmes détenues. Et c’est à elles justement que la journaliste rennaise a choisi de donner la parole, d’abord à la prison des femmes de Rennes puis plus largement.
Avec Emprisonnées paru aux éditions Libertalia, elle offre un recueil de témoignages de dix femmes dans dix pays différents à travers le monde.
 
Au début de l’aventure, Audrey Guiller avait des idées très arrêtées sur ces femmes derrière les barreaux. « Je me disais qu’elles étaient sorties du droit chemin – se souvient-elle aujourd’hui – puis en écoutant leur histoire j’ai compris que c’était leur chemin justement qui les menait tout droit en prison et je me suis posé la question : à leur place, aurais-je pu, moi, m’en sortir ? »
C’est toute cette humanité qui traverse le travail d’Audrey Guiller : onze ans d’abord comme intervenante à la prison des femmes de Rennes où elle animait le projet « Citad’Elles » puis trois ans pour collecter les témoignages et écrire son livre Emprisonnées.
Ces femmes de la marge, elle a su les comprendre et ose dire désormais qu’on « a énormément de choses à apprendre de ces voix qu’on n’entend pas ». Elles le lui rendent bien, saluant avec émotion son ouvrage ; « celles qui en ont connaissance – dit-elle – sont très touchées que leurs histoires puissent intéresser des gens qui ne vont ni les critiquer ni les juger mais juste les écouter ».
 
« Je me surprends à faire et à vouloir des choses que je ne me serais jamais permises avant. Je repousse mes limites (…) Je deviens celle que j’aurais dû être » Capucine (France)
 
L’incarcération n’est pas un sujet très porteur et celle des femmes encore moins, reconnaît volontiers Audrey Guiller qui a dû s’adresser à plusieurs éditeurs avant de signer avec Libertalia. Pourtant, depuis la sortie de son livre en juin dernier, les retours sont unanimes. Ces femmes qui témoignent de leurs dérapages dans des sociétés aussi diverses que le Mali ou le Japon, la Nouvelle-Zélande ou le Brésil en passant par la France, le Cambodge ou le Canada, sont autant de personnalités attachantes, à la fois coupables et victimes.

La journaliste a lancé une quarantaine de pistes pour aboutir à un recueil de dix témoignages écrits après quatre à dix entretiens pour chacune. Représentant moins de 7 % de la population carcérale totale dans le monde, ces femmes sont plus qu’une minorité, « une invisibilité ». Elle a su « s’effacer derrière » leurs mots, derrière leur « je » pour livrer une série de textes d’où ressortent « la force et la lumière ». Sous la violence et les épreuves, brillent quelques récits de reconstruction, quelques histoires de sororité. « La prison ne m’a rien appris – dit Enaam la Syrienne – mais les autres prisonnières m’ont tout appris. » « Si je n’avais pas été au fond du trou, me serais-je rendu compte combien je suis forte ? » s’interroge Merry l’Indonésienne.
La prison, dans la plupart des pays, reste aujourd’hui encore « un lieu de vengeance, d’humiliation, de dévalorisation » regrette Audrey Guiller qui a voulu « rencontrer chaque femme en tant que femme et pas en tant que détenue » même si dit-elle il ne s’agit «  pas les déresponsabiliser de l’acte qu’elles ont commis ».
Les conditions de détention en disent long sur l’état de la démocratie dans chaque pays. En Iran, elle a dû interrompre sa correspondance avec une prisonnière qui aurait couru trop de risques à témoigner ; aux États-Unis, elle a entamé quatre échanges qui n’ont pu aboutir. Parfois, les détenues demandaient un paiement pour livrer leur histoire… De tous les pays parcourus, c’est la Norvège, une fois encore, qui fait figure de modèle, se positionnant comme premier pays à avoir désormais plus de personnes condamnées à des peines hors incarcération que de personnes emprisonnées. Au même moment en France, on reparle de construire de nouvelles prisons ; « c’est bien connu – estime Audrey Guiller – plus on construit de places de prisons, plus on incarcère ! »
 
« Ma famille ne me rend jamais visite. Elle n’est pas venue à mon procès non plus. (…) Les femmes sont considérées comme détentrices de la morale de la famille. L’image de la prison leur colle à la peau » Kadiatou (Mali)
 
Audrey Guiller en avait l’intuition avant d’entamer son travail ; les échanges avec les détenues lui ont confirmé : « la notion de genre impacte vraiment la détention ». Presque toutes les femmes qu’elle a approchées ont connu violences et traumatismes avant leur emprisonnement. « La société – dit-elle – emprisonne à un moment des femmes qu’elle n’a pas su protéger à un autre moment. » Les parcours racontés sont jalonnés d’histoire de violences sexistes et/ou sexuelles, d’un vécu qui a rendu ces femmes vulnérables et « favorise le passage à l’acte illégal ou délictueux ». « Ma famille n’en avait rien à foutre de moi, le système n’en avait rien à foutre de moi. Donc, j’en avais rien à foutre de moi » raconte Ina de Nouvelle-Zélande.
Si depuis 2020, la population carcérale féminine connaît une augmentation assez phénoménale – plus 60 % contre plus 22 % chez les hommes – c’est notamment, explique encore Audrey Guiller, à cause de la place grandissante des femmes dans les trafics de drogue où elles jouent les rôles de « mules », plus exposées que les hommes, et deviennent consommatrices pour « anesthésier les violences qu’elles ont subies ».
Dans tous les cas de figure, « la prison désocialise beaucoup plus rapidement les femmes que les hommes » défend encore Audrey Guiller. Si l’incarcération peut parfois être valorisante pour un homme, elle ne l’est jamais pour une femme qui se retrouve généralement privée de tout soutien extérieur. « Les femmes soutiennent les hommes en prison, mais pas l’inverse  » écrit Audrey Guiller.
Moins de possibilités de se former ou de travailler en prison, moins de visites ou d’aide financière, une réinsertion plus difficile encore à la sortie, la détention est un monde fait « par les hommes et pour les hommes » ; c’est aussi pour les femmes une forte culpabilisation de ne plus pouvoir s’occuper des enfants, des parents, etc. Certains pays ont compris que mettre les femmes en prison coûte cher financièrement et socialement et commencent à chercher des alternatives à la détention pour les femmes.

Geneviève ROY