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Fille à pédés dans Courant Alternatif

vendredi 14 février 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Courant Alternatif n°297, février 2020.

Un ouvrage rafraîchissant, en cette époque assez peu folichonne sur les questions de sexe. Lola Miesseroff a ouvert le tiroir de ses souvenirs – baise, défonce, biture, fauche au programme…– pour nous raconter plaisamment la mouvance « hypergauche » de l’après-68 dans laquelle elle a évolué.

Elle a grandi à Marseille dans des milieux naturistes et libertaires, lu assez tôt l’existentialisme et les situs. En 1968, elle a 21 ans. Elle envoie valser la fac d’Aix-en-Provence pour participer au comité d’action d’Aubagne et aux manifs de Marseille. Elle fréquente ensuite les milieux artistiques à Avignon, y rencontre des Nantais et des Bordelais « vandalistes », puis part à Paris. Appart communautaire, petits boulots, provocs contre les bourges et les militants, et surtout liberté sexuelle – l’amour en groupe dans un « tas sensuel, tendre et très joyeux », sur l’idée que « plus on fait la révolution, plus on fait l’amour…et vice-versa », ce qui « était supposé participer, tout comme les réflexions et actions plus directement politiques, à la destruction du vieux monde qui devait survenir très bientôt ». En avril 1971, elle entre au FHAR, mais dénonce vite avec cinq autres de ses membres sa récupération par les milieux artistiques, marchands ou politiques dans le tract « Et voilà pourquoi votre fille est muette ».
Tout cela, c’est avant l’arrivée du sida, dont elle décrit bien la nouvelle ambiance qu’il installe, avec le retour de la capote. Il y a alors de nombreux décès dans son entourage liés à lui, mais aussi à l’héroïne…
Dans son récit, Lola Miesseroff nous livre de plus sa position sur des sujets restés d’actualité.
Elle se déclare toujours opposée aux « luttes catégorielles séparées » et « pour le combat de toutes et tous pour toutes et tous ». (C’est pourquoi elle a rejeté le « sujet révolutionnaire » que serait l’homosexuel, ou l’affirmation que « les lesbiennes ne sont pas des femmes » ; et pourquoi elle n’a adhéré ni aux Gouines rouges ni au MLF.)
Revendiquant la polysexualité et convaincue que tout le monde est potentiellement bisexuel, elle dénonce les rôles et les codes sexuels. Elle critique le communautarisme gay, les changements d’orientation ou de préférences sexuelles définitifs que constituent les conversions. Contre les féministes radicales qui refusent de considérer les transgenres comme des femmes, elle défend l’idée qu’on ne doit pas avoir de genre défini, et pouvoir choisir. Elle déplore les ravages que font aujourd’hui les « identités de genre, d’orientation et de race » dans les milieux « militants », d’autant qu’ils prennent « le pas sur l’identité de classe ».

Rejetant la famille nucléaire, elle se déclare favorable à un élevage collectif des enfants, refuse le « droit à l’enfant » et la médicalisation de la naissance, s’avoue « perplexe devant les débats autour de la PMA et de la GPA » mais trouve le fait de louer son ventre pas pire que de louer sa force de travail. Elle tape sur l’institution du mariage mais comprend que des « pédés et lesbiennes » en aient envie, surtout « quand ils ont du bien »…
Dans sa postface, Hélène Hazera salue « un joli recueil de travaux pratiques : comment conjuguer la revendication sociale et la liberté des mœurs ». En fait, Lola Miesseroff n’y parle guère des mouvements sociaux, et elle nous dit que, dès les années 1970, considérant qu’« il y avait tout de même assez peu d’activités de lutte », son groupe a consacré plus de temps à la lecture, la rédaction de tracts ou revues et aux voyages. Son témoignage – contre l’exploitation du travail, la famille, le couple, la sexualité normée et normative, et « tout ce qui nous vole et nous pourrit la vie » – n’en demeure pas moins réjouissant.

V.