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Grèves et joie pure, dans Le Monde des livres

vendredi 10 juin 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Grèves et joie pure (Simone Weil), parue dans Le Monde des livres du 10 juin 2016.

Drôle d’anniversaire pour le Front populaire. Il y a loin, en effet, des moroses réalités contemporaines et du bras de fer tendu autour de la « loi travail » aux espoirs et aux réalisations d’il y a quatre-vingts ans, au printemps 1936 : alors, un gouvernement de gauche engageait et assumait d’ambitieuses mesures de transformation sociale, à la fois revendiquées et rendues possibles par une vague de grèves sans précédent. Occupations d’usines, gains salariaux, congés payés, réductions horaires et conventions collectives caractérisaient cette rare séquence émancipatrice, d’une intensité presque impensable aujourd’hui.
Il faut toutefois se garder de mythifier la période, d’oublier ses aspérités et ses ambiguïtés en s’en tenant aux photos rassurantes de grèves festives, tout en sourires et en accordéons. Pour dépasser de telles images, rien ne vaut un retour aux sources, même les plus connues. Ainsi, la réédition des articles de la philosophe et militante Simone Weil (1909-1943) consacrés aux grèves de 1936 est-elle opportune. C’est forte d’une expérience directe du travail en usine qu’elle décrivait la « joie pure » des grèves, de ce moment où la classe ouvrière pouvait « oser enfin se redresser » et affirmer sa dignité.
Mais, à côté de ces passages très souvent cités, on dit plus rarement que Simone Weil n’était jamais dupe de son propre lyrisme : « La joie de la victoire ne doit pas faire oublier que la situation est tragique. » En donnant accès à deux articles moins connus d’août et d’octobre 1936, le volume montre les inquiétudes de cette observatrice engagée quant à la mise en œuvre concrète des promesses de juin 1936, des accords Matignon et des lois leur faisant suite, en l’absence notamment de salaire minimum.

André Loez