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Il y a un siècle, le congrès de Tours

mardi 29 décembre 2020 :: Permalien

Il y a un siècle, le 29 décembre 1920, le congrès de Tours du Parti socialiste votait l’adhésion à l’Internationale communiste (IIIe Internationale). Résultat de la division des socialistes face à la Première Guerre mondiale, puis face aux mouvements révolutionnaires dans plusieurs pays, ce vote entraînait la scission du parti entre la majorité, qui devenait la Section française de l’Internationale communiste (SFIC, plus tard Parti communiste), et la minorité qui gardait le nom de Parti socialiste – Section française de l’Internationale ouvrière.
La dynamique qui amena des socialistes internationalistes, des syndicalistes révolutionnaires, des féministes et des libertaires à participer à la création de ce nouveau parti est détaillée dans le livre Un court moment révolutionnaire. La création du Parti communiste en France (1915-1924). Le livre examine également les premières années du nouveau parti, jusqu’à sa transformation autoritaire sur ordre de Moscou qui aboutit aux exclusions et démissions de ses principaux fondateurs.

Extrait, pages 229-233.

Le 29 décembre, en début de soirée, le moment du vote arrive enfin. Blum fait alors une courte intervention, annonçant le retrait de sa motion et le refus de sa tendance de prendre désormais part aux votes et aux discussions, sans qu’il n’explique vraiment cette position de rupture.
Les résultats donnent 3 208 mandats à la motion Loriot-Souvarine (68 %), auxquels s’ajoutent les 44 mandats de l’amendement Leroy (1 %) ; il y a 1 022 voix pour la motion Longuet (22 %), 60 pour Pressemane (1 %), et 397 abstentions (8 %). Concernant ces dernières, il est de tradition de les attribuer toutes au courant Blum, mais il n’est en fait pas certain que l’intégralité des abstentions soit des mandats pour la motion Blum-Paoli ; son poids réel est sans doute légèrement inférieur. Contrairement à une légende tenace, c’est bien la motion Loriot-Souvarine qui est adoptée, et non les 21 conditions.

Le résultat, on le voit, est net. Pourtant, le débat n’est pas fini : deux motions s’affrontent en réaction au télégramme Zinoviev. La motion présentée par Paul Mistral, au nom des longuettistes, prévoit le maintien de « l’unité actuelle du parti ». La motion Renoult, pour la majorité, rappelle que le texte qui vient d’être voté « n’impose aucune exclusion pour le passé ». Plusieurs interventions suivent, et le débat sur le fond – qui vient pourtant d’être tranché par une très large adhésion – semble être repris. Pressemane annonce qu’il a le « regret de quitter le parti ». Le secrétaire fédéral de Corrèze, Jean Roumajon, bien que partisan de l’adhésion à l’IC, vient proposer une solution d’entente :

« Je crois que l’équivoque réside dans ces mots “unité actuelle”. Si nos camarades veulent les changer par une formule quelconque, qui indiquerait que nous allons vers l’unité plus disciplinée et plus révolutionnaire, alors je crois que nous pourrons nous entendre. »

Mais Longuet prend la parole et refuse. De fait, les longuettistes « posaient des conditions qu’ils savaient inacceptables pour la majorité ». Verfeuil intervient alors de nouveau et dénonce une « manœuvre » de la droite du parti, autrement dit :

« Ceux qui ont déclaré, il y a plus de six mois, qu’ils quitteraient le parti le jour où celui-ci donnerait son adhésion à la IIIe Internationale et qui, depuis ce jour, ont pris toutes les dispositions matérielles pour constituer un nouveau parti. »

Contredisant sa déclaration antérieure, Blum vient annoncer que son courant va voter la motion Mistral ; Verfeuil s’exclame alors que « la manœuvre […] vient de se démasquer ». Ce ralliement ne va pas beaucoup peser sur le résultat du vote, qui est cette fois de 3 247 mandats pour Renoult (68 %), 1 398 pour Mistral (29 %) et 143 abstentions (3 %). Paul Faure, dans une courte intervention assez floue, lit une déclaration des reconstructeurs annonçant leur « décision de quitter le parti », et appelle les délégués longuettistes à se retrouver dans une salle séparée le lendemain matin. Paoli lit ensuite une déclaration de la droite du parti annonçant qu’elle quitte le « congrès communiste » et appelle à se réunir le lendemain dans une autre salle – ni celle du congrès ni celle des longuettistes ; les délégués de ce courant se lèvent alors et s’en vont. Les longuettistes hésitent à les suivre, mais restent finalement dans la salle2. Frossard reprend la parole, appelant à mener collectivement le « travail de préparation révolutionnaire ». La séance est alors levée : il est plus de deux heures du matin, la scission est faite.

Le lendemain, le 30 décembre, les délégués sont donc divisés entre trois réunions. Le congrès officiel commence sa dernière journée par un appel des fédérations qui vise à montrer que le parti « continue ici et non ailleurs ». Juste avant de se séparer, le congrès du Parti socialiste, devenu Section française de l’Internationale communiste (SFIC), adopte une déclaration où le parti déclare restaurer « les doctrines jadis consacrées et trop souvent désertées dans la pratique », tout en se voulant « digne de Babeuf, digne des hommes de juin 1848, digne de la Commune, digne de Jaurès, digne de l’avenir glorieux qui s’offre à nous ».

Autrement dit, c’est à la fois la rupture dans la continuité et la continuité pour la rupture. Loriot écrira qu’à Tours « s’est opérée la scission du parti par le départ de l’ancienne majorité4 ». Effectivement, ce sont les opposants à l’adhésion à l’IC qui ont quitté le congrès, donc qui ont formellement scissionné. Le lendemain de leur départ du congrès, ils se retrouvent dans deux réunions dissidentes séparées : celle des longuettistes d’un côté, celle des « résistants » de l’autre. Longuet hésite encore et parle de retourner au congrès, ce que font effectivement Charles Lussy et Raoul Verfeuil. Puis, après ces ultimes hésitations, les deux courants scissionnistes se rejoignent et créent une nouvelle SFIO. Cela n’est pas sans susciter des oppositions, une partie des longuettistes choisissant de rester à la SFIC. Fernand Gouttenoire de Toury annonce qu’il « reste au parti » et reproche à ses ex-camarades de tendance de s’être « ralliés au parti en formation avec le Comité de résistance ». Bernard Manier déplore « ce double désastre : notre sortie – et la constitution d’un parti qui ira à droite non par la volonté de quelques-uns, mais par force des choses » ; il regrette que la majorité des longuettistes soient allés « vers les chefs sans troupes qui les attendaient ». Il faut pourtant bien constater qu’il était difficile de se revendiquer de l’unité tout en créant un troisième parti après Tours. Les longuettistes étaient forcés de choisir entre faire organisation commune avec la gauche ou avec la droite du parti. Concernant Longuet lui-même, qui semble avoir été longtemps indécis, sachant au fond qu’il ne pouvait pas adhérer à l’IC mais très réticent en pratique à franchir le pas de la rupture avec la majorité du parti, c’est Zinoviev qui a peut-être choisi à sa place.
Le processus avait en tout cas été annoncé un an plus tôt par Monatte, qui écrivait alors que le parti socialiste irait à l’IC, et qu’à ce moment « il est fatal que se détacheront de lui toute sa droite et une partie de son centre ».