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> Brève histoire de la concentration dans le monde du livre dans Le Canard enchaîné
jeudi 13 octobre 2022 :: Permalien
Publié dans Le Canard enchaîné du mercredi 12 octobre 2022.
Après tout, puisque aux Etats-Unis, dès le milieu du XIXe siècle, « la concentration a fait surgir des trusts dans le domaine de l’acier, du pétrole, des chemins de fer », pourquoi l’édition y aurait-elle échappé ? Grand spécialiste de la question, Jean-Yves Mollier remonte ici à l’origine des phénomènes de concentration dans l’édition française. Son but : mettre à nu les logiques qui sous-tendent le projet du financier breton Vincent Bolloré, qui, après avoir mis la main sur Canal Plus, Prisma Presse, C8, CNews, etc., veut avaler la maison Hachette, numéro un de l’édition française depuis plus d’un siècle.
Ces logiques sont d’abord financières. Mollier nous rappelle qu’en 1990 l’édition est passée d’une logique industrielle à une logique financière. Grâce à qui ? Berlusconi ! C’est lui qui embarque Jean-Luc Lagardère dans l’aventure de La Cinq. Laquelle s’avère si ruineuse que, pour éponger ses énormes dettes, le patron de Matra, Lagardère, soumet la maison Hachette, qu’il a triomphalement rachetée dix ans plus tôt (pour un fabricant de missiles, c’était une belle prise), à une obligation de résultats financiers inconnue jusqu’alors.
Mais les logiques de concentration dans l’édition sont aussi idéologiques. Mollier raconte comment, après-guerre, la librairie Hachette a « assis durablement son contrôle sur la vie politique du pays », notamment grâce aux messageries de la presse, les très puissantes NMPP, qui lui servirent de banque privée durant deux décennies. Par leur biais, Hachette « put aider toutes les formations politiques qui lui promettaient d’empêcher le retour des projets de nationalisation ». C’est ainsi que le groupe salaria largement Chaban, Lecanuet ou Mitterrand (lequel, en 1967, percevait l’équivalent de 4 500 euros par mois pour « de prétendus travaux de documentation »).
Avec leurs chaînes de télé, leurs radios, leurs journaux, leurs maisons d’édition, Bolloré et ses héritiers (trois fils, une fille) disposent aujourd’hui « de véritables armes idéologiques pour continuer leur mission et mener leur combat civilisationnel ». Grand perdant de l’affaire ? Le débat démocratique, tout simplement.
Jean-Luc Porquet