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La Semaine sanglante sur Lundi matin

jeudi 3 juin 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur les sites de Lundi matin et de la Bibliothèque Fahrenheit 451, mai 2021.

Du 21 au 28 mai 1871, le gouvernement versaillais met fin à la Commune de Paris, en menant une guerre meurtrière et massacrant sans distinction et souvent sans jugement. Michèle Audin, interrogeant les archives des cimetières de Paris mais aussi de la banlieue, de l’armée, de la police, des pompes funèbres, recherchant dans la presse les mentions des charniers sous les pavés, exhumés jusqu’en 1920, des corps brûlés dans les casemates des fortifications, de ceux repêchés dans la Seine, propose un décompte des victimes de cette « Semaine sanglante ».

Son estimation est supérieure à celles de Maxime du Camp, historien versaillais, et de Camille Pelletan, journaliste radical qui n’a pas eu accès à tous les services. Comme écrivait ce dernier : « Il ne s’agit pas de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer ces êtres humains avec respect, de ne pas les laisser disparaître encore une fois. »

Très brièvement, elle rappelle l’histoire factuelle de la Commune : la défaite contre la Prusse, la révolte, le massacre. Puis elle confronte aux faits l’« abondante légende dorée » qui entoure ces événements : la suppression du travail de nuit qui n’a concerné que les ouvriers boulangers, l’autogestion des ateliers abandonnés par leurs patrons et réquisitionnés, qui n’a pu être appliquée, faute de temps, l’égalité de salaire pour hommes et femmes dont elle ne trouve pas de trace, sauf un entrefilet dans Le Cri du peuple à propos du traitement des instituteurs et institutrices, sans confirmation au Journal officiel ni dans les procès-verbaux. Elle confirme la défense d’une barricade, place Blanche, le 23 mai, par un bataillon de femmes, et des participations féminines sur de nombreuses autres. Elle recense également les mentions d’élus de l’assemblée communale qui se sont battus jusqu’à la fin de la Semaine sanglante. Si un décret a bien été voté à l’unanimité le 5 avril, menaçant d’exécution d’un nombre triple d’otages, en représailles à des assassinats de prisonniers par les versaillais, il n’a jamais été appliqué par la Commune. S’il y a toutefois bien eu des exécutions (l’archevêque, des gendarmes et des prêtres), ce ne fut jamais sur décision de l’assemblée. En revanche, ce vote a immédiatement mis fin aux exécutions. Elle procède encore à de nombreuses mises au point, par exemple au sujet des viols, occultés par tous les historiens, des cours martiales.
Le dimanche 21 mai, 100 000 soldats entrent dans la ville par le Point-du-Jour, près de la porte de Saint-Cloud, tuant immédiatement des prisonniers. Michèle Audin procède donc à un méthodique décompte des morts depuis cette date, jusqu’au 28 mai. Préalablement elle passe au crible les évaluations des précédents « compteurs » : Prosper-Olivier Lissagaray (« 17 000 morts avoués »), Alfred Feydeau et Maxime Du Camp (6 667, « avec une certitude absolue »), Camille Pelletan (30 000 fusillés de Paris »), Robert Tombs (7 400). Elle présente les archives qu’elle a pu consulter, dont certaines inédites, proposent d’intégrer certaines inhumations au-delà du 30 mai, au contraire de ses prédécesseurs, et commence à égrener les registres des cimetières, à pointer d’évidentes dissimulations, voire des falsifications, pour parvenir à un « chiffre officiel » de 8 509 morts. Dans la presse, elle relève des mentions de corps jetés dans la Seine qu’il sera impossible de comptabiliser, et d’exhumation partout dans Paris : puits de la place des Fêtes, fossés de la Muette, bois de Boulogne, Buttes-Chaumont, square de la Tour-Saint-Jacques, etc. Des ossements identifiés comme ceux de fédérés, des ossuaires complets même, seront découverts à l’occasion de chantiers, jusqu’en 1920 ! En conclusion, elle estime qu’il n’est nullement déraisonnable de doubler ce chiffre minimum et officiel.
Au-delà du simple exercice de comptabilité, Michèle Audin articule de précieux témoignages sur ces journées sanglantes, participant à rendre justice aux victimes et à la « véridique histoire » de la Commune.

Ernest London, 
Le bibliothécaire-armurier