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Le Maître insurgé dans Le Monde libertaire

mercredi 30 novembre 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Le Monde libertaire (décembre 2016).

Le Maître insurgé, tel est le titre choisi par un collectif d’auteurs pour évoquer Célestin Freinet et les articles qu’il rédigea pour divers journaux dont L’École émancipée et L’Éducateur prolétarien de 1920 à 1939. Évocation dans la huitième livraison de la collection N’Autre École chez Libertalia qui est le résultat d’un choix, sans doute difficile mais assumé, de textes du maître insurgé. En effet, le Freinet qui nous est présenté ici est, certes le Freinet pédagogue, celui de l’imprimerie à l’école, mais aussi et surtout le Freinet politique au sens où, avec bien d’autres à l’époque, il considérait qu’il n’était pas envisageable de mener à bien une révolution pédagogique sans révolution sociale tant les bouleversements souhaités étaient dialectiquement liés. Les auteurs soulignent en effet, qu’« avec le conseil d’élève, c’est la révolution dans l’organisation sociale de la classe » (p. 14) préfiguratrice à son sens de la révolution sociale plus généralement.
Parmi les nombreux extraits proposés, l’instituteur, longtemps proche du PC malgré une pensée et une pratique pédagogique peu orthodoxe, fut actif dans le tout premier syndicat des instituteurs syndicalistes révolutionnaires, soucieux de l’internationalisme en saluant « avec émotion la création de l’Internationale des travailleurs de l’enseignement (ITE) » en 1921, en accueillant de jeunes réfugiés espagnols fuyant la violence et les représailles franquistes dans son école de Vence en 1935… ou encore, en lien avec les maîtres camarades des écoles libertaires de Hambourg.
Sa pensée pédagogique devait en effet surprendre voire dérouter certains tenants des pédagogies autoritaires et de la mise aux normes et au pas des enfants voulue par les institutions scolaires traditionnelles. Il se déclare fermement contre la pédagogie blanquiste déjà dénoncée par Albert Thierry. Pour lui, il faut cesser de bourrer le crâne des enfants, « nous avons trop vu, écrit-il, où cela nous a menés et où cela nous mène chaque jour. Et d’ailleurs que vous bourriez les crânes de rouge ou de blanc, c’est la même chose » (p. 38). Il ajoute : « Libérons-nous de tous les dogmes ; faisons l’école pour l’enfant. Éduquons-les en pensant, non que nous faisons des capitalistes ou des communistes [voire des anarchistes], mais en nous persuadant bien […] que nous avons la charge d’en faire des hommes […] ayant soif d’amour et de liberté et qui emploieront tous leurs efforts à se libérer » (p.40). À cette fin, il faut faire en sorte que l’école « soit une institution réelle et vivante, car la seule manière de se préparer à une tâche sociale est d’être engagé dans la vie sociale » (p. 49). Donc, plus d’école-caserne mais des écoles ouvertes sur la vie où le savoir peut prendre sens et où à chaque pas la connaissance doit être soumise à la pensée critique. Freinet affirme donc que « la formation de l’esprit critique de l’enfant doit être une de nos préoccupations capitales. Il s’agit de préparer l’enfant non pas à penser en série, à obéir servilement aux perfides suggestions des corrupteurs sociaux et aux ordres impérieux de ses maîtres, mais à réfléchir, à juger, à orienter ses efforts, à découvrir le mensonge, même lorsqu’il se cache sous les apparences hypocrites de l’humanité, de la charité, ou de la religion » (p.134) voire des pseudo-vérités et des pseudo-sciences, ajouterai-je.
Un agréable petit volume, bien fait, enrichi de quelques illustrations, facile à lire pour ceux et celles qui souhaitent mieux connaître le pédagogue. Il est à noter que les textes sont tous présentés et remis dans le contexte politique et syndical de la période où ils furent rédigés ce qui permet de mieux en appréhender la portée. À quand un second volume sur le Freinet d’après 1945, où il fut d’une certaine manière marginalisé par ses « amis » du PC, Langevin et Wallon, qui l’écartèrent de la réflexion sur la refonte de l’école qu’ils firent connaître dans leur célèbre rapport resté sans suite ?

Hugues Lenoir