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Léo Frankel, communard sans frontières sur macommunedeparis.com

mercredi 3 février 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publiés sur macommunedeparis.com (30 janvier 2021).

Des communards internationalistes, Léo Frankel est le plus jeune. Il a 27 ans pendant la Commune. Il est aussi le plus « international », au vu du nombre de pays dans lesquels il s’est déjà rendu.
Il est rigoureux et plein d’humour. Souvenez-vous, comme cet ouvrier hongrois de 26 ans se moquait des juges impériaux :

J’ignore à quelle école philosophique M. l’avocat impérial a appris la dialectique, mais son raisonnement me paraît aussi logique que celui qui consisterait, en voyant un enfant fermer les yeux, à déclarer que son père est aveugle.

C’était lors du troisième procès de l’Internationale, le 2 juillet 1870. Écoutez-le, quelques mois plus tard, défendre, à la Commune, les mesures socialistes prises par la délégation du travail :

Je le défends [le décret sur le travail de nuit des ouvriers-boulangers], parce que je trouve que c’est le seul décret véritablement socialiste qui ait été rendu par la Commune ;
Je n’ai accepté d’autre mandat ici que celui de défendre le prolétariat, et, quand une mesure est juste, je l’accepte et je l’exécute sans m’occuper de consulter les patrons.

Et cet homme, cet étranger, dont la Commune a validé l’élection,

Considérant que le titre de membre de la Commune, étant une marque de confiance plus grande encore que le titre de citoyen, comporte implicitement cette dernière qualité ;
La commission est d’avis que les étrangers peuvent être admis, et vous propose l’admission du citoyen Frankel,

cet homme, le premier « ministre » du travail de toute l’histoire de France, un des premiers marxistes au monde, qui a été blessé Faubourg-Saint-Antoine en défendant la Commune, qui a réussi à gagner la Suisse puis l’Angleterre, a été condamné à mort par contumace par les versaillais, emprisonné en Autriche au risque d’être extradé — et donc exécuté –, qui après avoir été ouvrier bijoutier, a été correcteur et journaliste et, après avoir vécu dans différents pays européens, a choisi de venir s’installer à Paris, pour y travailler, s’y est marié, y a eu des enfants, cet homme remarquable, il n’y avait aucune biographie de lui en français !…

Eh bien voilà, c’est fait, il y a en a une. Merci à Julien Chuzeville (et à son éditeur).
C’est un beau livre (rouge) et la belle histoire d’un beau personnage, de sa naissance le 28 février 1844 à Obuda (Budapest) à sa mort de la tuberculose à l’hôpital Lariboisière (Paris) le 29 mars 1896, à travers toute l’Europe, toujours militant et agissant pour l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes (selon la devise de l’Association internationale des travailleurs).
Outre raconter la vie de Léo Frankel, ce qui l’a amené à dépouiller des archives, à lire des lettres et des journaux de plusieurs pays (et en plusieurs langues, dont l’allemand et le hongrois), Julien Chuzeville nous donne à lire de fort beaux textes de Léo Frankel, dont plusieurs paraissent ici pour la première fois en traduction française.
Je reproduirai deux de ces lettres de 1871 dans mes articles du cent cinquantenaire (le 13 mai, et les 12 et 13 juin).
Pour aujourd’hui, laissez-moi vous citer le début d’une lettre plus tardive. Léo Frankel est (encore une fois) en prison, à Vác (sur le Danube, à 40 km au nord de Budapest) et il apprend la mort de Jenny von Westphalen, l’épouse de Karl Marx. Il a vécu près des Marx à Londres et il en est resté très proche. Il signe d’ailleurs cette lettre « Ton très fervent ami et disciple ».

Le 18 décembre 1881
Cher, très cher ami !
En raison de mon emprisonnement qui ne me permet que de rares échanges avec l’extérieur, ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai appris la nouvelle qui t’a frappé le 2 de ce mois-ci de l’amère disparition de ton excellente femme. Depuis la mort de ma bonne mère, que j’ai perdue alors que j’habitais à Paris, aucune nouvelle ne m’a autant secoué. Et c’est à moi qu’il reviendrait de te consoler ! Je cherche moi-même à me ressaisir, à me consoler ; comment pourrais-je dès lors te consoler de cette perte, toi qui as perdu à jamais une femme aimante, une amie entièrement dévouée, une compagne de vie débordant d’esprit ?! […]

Lisez le livre et la lettre en entier, Léo Frankel y explique à Karl Marx qu’il n’a pas le droit de se laisser submerger par la douleur : il est l’obligé du prolétariat, auquel il a forgé les armes intellectuelles pour combattre.
Je conclurai cet article avec quelques mots de Jean Allemane après la mort de Léo Frankel. Il était mécontent de certains discours entendus lors de l’enterrement :

Si telle doit être l’apothéose des communards, prière de les laisser crever tranquilles.

Et aussi

Ce qu’il fallait dire, ce qu’il est important que sachent nos fils, c’est que le mouvement de 1871 doit à Léo Frankel et à ses obscurs collaborateurs, de surgir dans l’histoire — non pas comme une révolte patriotarde ou politique — mais comme la Révolution sociale avec ses inévitables conséquences et son aboutissement franchement COMMUNISTE.

Voilà. Le livre arrive en librairie le 18 février.

Michèle Audin