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May la réfractaire dans Le Canard enchaîné

mercredi 9 juin 2021 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Canard enchaîné du 9 juin 2021.

Le joli mois de May

« Je t’ai détestée tout de suite, lui dit sa mère, j’ai failli mourir en te mettant au monde… » Fessées quotidiennes, dureté, manque de tendresse : May Picqueray (1898-1983) en fut marquée à vie. « C’est bien la conduite maternelle qui a fait naître en moi cette révolte contre l’injustice qui ne m’a jamais quittée. » Encore fallait-il que cette révolte trouve un sens et une cohérence…
C’est en 1919, au Bouillon Bourdeau, place Saint-Michel, à Paris, que May Picqueray rencontre Dragui. Et que sa vie change. Elle a 21 ans, travaille depuis l’âge de 11 ans, a séjourné au Canada pendant deux ans pour veiller sur un enfant épileptique, l’a vu mourir, et mourir ses parents, est rentrée seule en France, s’est vite mariée, a quitté son mari trois semaines après (il se droguait, la battait), a failli mourir de la grippe espagnole, a eu un enfant mort-né…
Dragui est serbe, étudiant en médecine et anarchiste. Il l’emmène écouter Sébastien Faure. C’est sur un texte de ce dernier que s’ouvre cette autobiographie de May Picqueray, un texte qui « a guidé toute ma vie », dit-elle. Quatre pages qui résument la doctrine libertaire. Oui, « les anarchistes veulent organiser l’entente libre, l’aide fraternelle, l’accord harmonieux »…
D’une plume vive et chaleureuse, elle se raconte et raconte le siècle. Le groupe anar des XIIIe et Ve. Les cafés-concerts comme La Muse rouge – « On chantait beaucoup, dans les milieux anarchistes » –, où elle voit Pierre Dac faire ses débuts. Les meetings et les manifs, les compagnons de combat comme le pacifiste Louis Lecoin, « la joie de vivre et l’amitié », l’affaire Sacco et Vanzetti (elle envoie une grenade par la poste à l’ambassade des États-Unis), la soirée au Kremlin où Trotski lui demande une chanson (et la voilà qui chante Le Triomphe de l’anarchie de son pote Charles d’Avray), les prisonniers qu’elle fait évader du camp du Vernet, les barricades de Mai-68, la création du journal Le Libertaire, etc.
Ah, un détail : May Picqueray a été correctrice pendant un quart de siècle au Canard. Lequel s’en honore encore.

Jean-Luc Porquet