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#MeTooThéâtre dans Libération

mardi 12 juillet 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Libération, le 12 juillet 2022.

#MeTooThéâtre,
des maux aux actes

Dans un ouvrage collectif, des actrices, autrices, metteuses en scène ou techniciennes témoignent des violences sexuelles et sexistes qui ont lieu dans le milieu du spectacle. Des récits glaçants et nécessaires.

Il dégage une force rare, ce petit livre d’allure anodine, sobrement intitulé #Metoothéâtre. Elles sont 27 à y prendre la plume pour dénoncer et analyser les injustices subies par les femmes dans le secteur du spectacle vivant, mais on pourrait croire qu’elles sont 100, 1 000 ou 10 000 : au fil des pages, la diversité des styles, des points de vue, des violences et des traumas décrits, suscite un vertige glaçant, tant il converge à dépeindre un même système délétère, un même sexisme structurel. C’est pourtant, aussi, une énergie salvatrice que fait naître cette accumulation révélatrice, celle d’un collectif qui se lève pour briser le silence, prêt à livrer bataille pour ses droits. « L’objectif, c’est la conscientisation. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas », expose sobrement la comédienne Séphora Haymann, qui a coordonné l’ouvrage avec la metteuse en scène et autrice Louise Brzezowska-Dudek.

Élan.

Après l’enquête ouverte sur Michel Didym, ancien directeur de théâtre accusé par une vingtaine de victimes de faits allant du harcèlement sexuel au viol, après une mobilisation massive sur les réseaux sociaux, après la création du collectif #Metoothéâtre, après une tribune signée de 1 500 professionnels, après, enfin, un rassemblement devant le ministère de la Culture… Après tout cela, fallait-il encore un livre, pour dénoncer les violences sexuelles et sexistes dans le milieu du spectacle vivant ? « Oui, mille fois oui » semblent crier chaque mot, chaque page de cet ouvrage, et cette nécessité est à la fois un aveu d’échec – l’absence d’une mise à bas de ces violences – et une preuve de réussite : celle d’un élan collectif qui trouve le temps et la force de faire œuvre de pédagogie. Car c’est finalement de cela qu’il s’agit, davantage que d’une radicalité supposée parfois associée au mouvement #MeToo. « Rendre audible ce qui était inaudible, rendre visible ce qui était invisible, retourner le vieil ordre du monde, quitte à faire trembler les réactionnaires d’antan et d’aujourd’hui », résume la metteuse en scène et comédienne Aurore Evain.

Colère.

Toutes, actrices du milieu théâtral, chercheuses, scénographes ou encore chargées de diffusion, dépeignent des situations concrètes, partagent des clés de compréhension, décrivent leurs combats, expriment leur colère. « S’il y a des agressions sexuelles dans le milieu du spectacle, ce n’est pas seulement parce que notre société est fondée sur la culture du viol, c’est aussi le flou sur l’accès à la profession […]. Les rapports de domination sont là et le champ libre est laissé aux agresseurs » détaille la dramaturge et comédienne Alice Cerf. « Non, nos luttes et nos aspirations ne prennent pas racine dans un monde idéal. […] Nous parlons d’un monde où quand on est agressée sexuellement, on est pathologisée, écartée, invisibilisée », expose Séphora Haymann. « La seule chose qu’on demande, c’est de pouvoir travailler sans se faire violer. Nous pointons les défaillances de la justice. Nous rappelons les chiffres qui sont éloquents : 2 % seulement des crimes sexuels sont punis. C’est un dysfonctionnement gigantesque » dénonce la comédienne.

Cet automne le mouvement #MeTooThéâtre prévoit l’organisation d’états généraux consacrés aux violences faites aux femmes. Une arme de plus pour accélérer le passage des mots aux actes, avant un hypothétique relais politique. « Il est grand temps, il est l’heure ! » presse l’écrivaine et chercheuse Julie Rossello Rochet.

Christelle Granja