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Paris, bivouac des révolutions dans Les Lettres françaises

mardi 20 mai 2014 :: Permalien

Chronique de Paris, bivouac des révolutions parue dans Les Lettres françaises n° 115, mai 2014.

Retour sur la Commune de Paris

La Commune de Paris a trouvé beaucoup d’auteurs français pour écrire sur ce qui fut le dernier grand épisode révolutionnaire du XIXe siècle. Le livre de l’historien anglais Robert Tombs témoigne que le regard des chercheurs étrangers a aussi beaucoup à nous apporter.

« La vie sous la Commune de Paris fut souvent dépeinte aussi bien comme une fête que comme un chaos, ce qui est peut-être deux façons de décrire les mêmes réalités. » L’assertion de Robert Tombs, extraite de son ouvrage récemment traduit, Paris, bivouac des révolutions. La Commune de 1871, est un peu une forme de profession de foi historienne. La présentation de la Commune de Paris que fait l’historien britannique veut saisir les nombreux aspects de l’événement révolutionnaire, les différences de points de vue à travers une posture de retrait critique, sans se montrer partisan ou péremptoire. Et refuser l’attitude partisane et péremptoire, c’est d’abord se pencher en profondeur sur le point de vue des acteurs, ici les communards. Face à la multiplicité des commentaires a posteriori, Tombs refuse de « rejeter comme non-pertinent ce que la population vivante faisait et pensait vraiment sur le moment, et négliger son labeur, ses incertitudes et ses peurs, revient à la traiter avec “l’immense condescendance de la postérité” ». Si la « saga des communards » perd un peu de son éclat sous la plume de Tombs, l’histoire y gagne assurément en vérité et précisions.

Cette démarche, au plus près du point de vue des acteurs, de leurs actes et paroles donne lieu donc à de nombreux éclaircissements historiques aux apports indéniables. On pense notamment à d’excellents passages où la clarté du propos s’appuie sur une très ample érudition. Ainsi les difficultés de l’organisation de la défense de Paris et les efforts de militarisation de la Garde nationale sont montrés et analysés en détail ; certains lieux communs sur l’impéritie des dirigeants militaires de la Commune sont rendus caduques. L’auteur démontre que, comparés aux milices ouvrières de la République espagnole ou aux soldats de l’Armée rouge, les gardes nationaux se sont montrés bien supérieurs en terme de discipline et d’efficacité.

De même, la partie sur le rôle des femmes relativise de manière convaincante certaines interprétations trop rapides sur l’émancipation féminine sous la Commune : s’il y eut bien quelques femmes pour se battre sur les barricades, le fameux bataillon de femmes de la Place Blanche fut un mythe. Le rôle des femmes, bien réel, fut en fait assez traditionnel : cantinière, infirmières ou à la confection d’uniformes, les femmes restaient affectées aux mêmes tâches que de coutume. La question du droit de vote des femmes n’a d’ailleurs pas été évoquée, ni par les hommes de la Commune, ni même par les communardes réunies autour de l’Union des femmes.

Le passage sur les mesures sociales décidées par la Commune est moins convaincant. Tombs cherche à relativiser le « socialisme » des communards en minimisant la portée de ces mesures. Il rappelle le refus de s’en prendre à la propriété privée et les limites du décret du 16 avril de réquisition des entreprises abandonnées par leurs patrons : les communards n’ont jamais cherché à socialiser l’ensemble du secteur productif, mais plutôt à sanctionner des patrons « déserteurs » et antipatriotes. Une interprétation sans doute assez juste, mais qu’il faudrait approfondir par une comparaison avec les autres révolutions. La grande majorité des révolutions – et la Révolution d’Octobre notamment – n’a pas cherché dans un premier temps à bouleverser brutalement les rapports économiques et sociaux, bien au contraire. Prenant le pouvoir généralement dans un contexte de guerre et d’affaiblissement économique, les révolutionnaires ont eu comme priorité le succès militaire, le fonctionnement de l’État et l’approvisionnement de la population, notamment urbaine. Et les communards n’ont pas dérogé à la règle, ce qui est le signe de leur réalisme, réalisme par ailleurs bien identifié par Tombs.

Robert Tombs insiste fortement sur l’exceptionnalité de la Commune de Paris, liée à une conjoncture unique qui explique son déclenchement : il met en valeur la guerre contre la Prusse, l’effondrement du Second Empire, le chiasme entre une France rurale et conservatrice et une capitale depuis longtemps républicaine et radicale, un héritage historique qui place depuis 1789 Paris à la tête des vagues révolutionnaires etc. C’est sans doute là une manière stimulante de dépasser la dichotomie jadis posée par Jacques Rougerie de la Commune comme « aube » ou comme « crépuscule ». Mais l’inscription de la Commune dans le temps long des révolutions populaires modernes s’efface alors, et sa signification s’estompe quelque peu. Voilà un reproche qu’on peut faire à ce qui n’en reste pas moins un bel ouvrage digne d’être remarqué et discuté.

Baptiste Eychart