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Rino Della Negra dans Le Monde diplomatique

mercredi 1er juin 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde diplomatique, juin 2022.

Étoile rouge,
Red Star

Une rue d’Argenteuil (Val-d’Oise), où il a grandi, porte son nom. Une plaque commémorative l’honore dans la ville minière de Vimy (Pas-de-Calais), où il est né, une autre au stade Bauer, écrin du Red Star Football Club de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), dont la tribune est, rebaptisée de son patronyme, perpétue la mémoire de celui qui fut à la fois un prodige en crampons et un résistant. Il figure sur le monument érigé pour les 1 008 fusillés du Mont-Valérien. Il fut l’un des membres les plus actifs des Francs-tireurs et partisans - Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) de la région parisienne, qui seront décimés en 1943 par l’occupant nazi… Et pourtant, Rino Della Negra, fils d’immigrés italiens naturalisé français à l’âge de 15 ans, exécuté à 20 ans le 21 février 1944 aux côtés de ses camarades de lutte, puis déclaré « mort pour la France » en 1950, demeure largement méconnu. Aucun ouvrage ne lui avait été jusqu’ici entièrement consacré. Le livre de Dimitri Manessis et Jean Vigreux vient combler ce vide. Richement documenté, il retrace la courte vie de « Rino ».
Né de parents originaires du Frioul ayant fui l’Italie mussolinienne, il entre à 14 ans comme ajusteur à l’usine Chausson d’Asnières. Sportif d’exception, il pratique l’athlétisme et surtout le football avec l’équipe d’Argenteuil, où il excelle comme ailier droit. À l’été 1943, Rino est recruté par le Red Star, qui domine alors le ballon rond dans l’Hexagone. Mais, entre-temps, il a pris le maquis. Réfractaire au Service du travail obligatoire (STO), il a rejoint la Résistance communiste en février 1943. Jusqu’à l’automne, il prend part à une quinzaine d’actions armées contre la Wehrmacht — tout en continuant à jouer avec le Red Star ! Blessé lors d’une attaque antiallemande, le 12 novembre 1943, il est arrêté, torturé, incarcéré à Fresnes, avant d’être passé par les armes au Mont-Valérien. Dans ses dernières lettres, il explique que « dans la vie, il n’y a pas de spectateurs », demande à sa famille de faire « un banquet » après sa mort et ne manque pas d’envoyer « le bonjour et l’adieu à tout le Red Star »
Le club au blason flanqué d’une étoile rouge est également au centre de l’ouvrage de Basile de Bure Deux Pieds sur terre (Flammarion). Pendant une saison, le journaliste a suivi des apprentis footballeurs du Red Star issus de milieux défavorisés et aspirant à devenir professionnels. L’auteur, qui bat en brèche les idées reçues sur les jeunes des quartiers populaires, rappelle l’ancrage ouvrier du club, sa tradition antifasciste « héritée des racines communistes de la ville », et revient notamment sur la figure tutélaire que représente Della Negra, « devenu une icône dans les rangs des supporters ». Emmenés par les « ultras » de la « tribune Rino », ceux-ci se sont opposés à la direction du Red Star, qui vient de le revendre à un fonds d’investissement américain, au risque de voir ce club mythique perdre son âme. « Une étoile rouge ne meurt jamais », peut-on lire sur la bâche déployée par les supporters, lors des matchs des Audoniens, en hommage à Rino Della Negra.

Olivier Pironet