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jeudi 3 mars 2016 :: Permalien
Trop classe ! dans Le Café pédagogique.
C’est quoi enseigner en Seine Saint-Denis ? De nombreux livres catastrophes sont publiés. Le petit livre de Véronique Decker n’est pas optimiste. Mais il raconte trente années d’enseignement dans les quartiers populaires, quinze années de direction d’école à Bobigny, sans mépris et sans ressentiment pour les enfants et leurs parents. Pas de pitié non plus. Mais de la solidarité. De la classe, on vous dit...
« Pour parler de la banlieue sans jamais nommer les pauvres, les Arabes, les Noirs et les Roms qui composent désormais la classe sociale majoritaire en nombre d’habitants, l’État a dû inventer d’exquises circonvolutions de langage… Ainsi il y a des “quartiers”… Les antiracistes s’exclament “mais non ce n’est pas vrai ! il n’y a pas de territoires perdus !” Ben si. Il y a des quartiers où plus rien ne fonctionne bien et où on a perdu les services sociaux de l’État. »
Véronique Decker enseigne depuis trente ans à Bobigny. C’est ce chemin qu’elle raconte dans un petit livre bien écrit, en brossant un tableau composé de petites scènes vigoureuses, touchantes, drôles parfois, qui constituent au final un témoignage unique sur le métier d’enseignant dans le département le plus pauvre de métropole.
« J’ai toujours beaucoup aimé enseigner en Seine-Saint-Denis », écrit-elle. « Je sais, ce que je dis n’est pas à la mode. Il faut se plaindre de nos conditions de travail exceptionnellement dures, des racailles, de la République abandonnée… C’est vrai que c’est difficile, rugueux, complexe… Mais j’aime ces enfants-là. »
Alors Véronique Decker raconte son combat pour que les enfants roms soient scolarisés. Elle raconte aussi que la République est toujours là, notamment avec les conseils d’élèves de son école Freinet : « Les conseils d’élèves, lorsqu’ils disposent de véritables pouvoirs sont notre meilleure garantie de construire un avenir plus juste avec des enfants formés à une démocratie ancrée dans le sol. » C’est toute une philosophie et une pratique de l’école que son livre restitue par petites touches.
Mais quel est le fil ? Très clairement c’est la solidarité. L’ouvrage n’est pas un livre de plus sur la pédagogie Freinet. Ce n’est pas un brûlot syndical sur les revendications du personnel enseignant dans le 93. Trop classe ! est juste le récit d’une solidarité exigeante entre une enseignante et son quartier populaire. C’est juste le vécu d’une femme qui porte réellement des choix éthiques, avec courage mais sans se raconter d’histoires.
Trop classe ! est au croisement de ce qu’est le métier d’enseignant. Un engagement pour une école au service du peuple. Une aventure collective d’adultes. Un chemin personnel sans concessions. Une vie qui brûle.
François Jarraud