Le blog des éditions Libertalia

Brigate Rosse, une histoire italienne

samedi 26 février 2011 :: Permalien

Brigate Rosse, une histoire italienne
Mario Moretti, avec Carla Mosca et Rossana Rossanda.
Traduction d’Olivier Doubre. Éditions Amsterdam, 360 pages.

On entend régulièrement parler de l’Italie des « années de plomb », mais qu’en connaît-on vraiment, y compris dans les milieux militants ?

Il y a une dizaine d’années, pour Barricata, j’avais réalisé une petite interview de Cesare Battisti à la suite de la lecture de Dernières cartouches, un récit à caractère autobiographique signé par cet ancien membre des Prolétaires armés pour le communisme. À l’époque, Battisti se pensait protégé par la « doctrine Mitterrand » qui accorda en 1985 un refuge à tous les militants italiens « extraparlementaires », à condition qu’ils renoncent à l’usage des armes. Au cours des années 2000, l’État français est revenu sur la parole donnée par l’ancien Président. Les extraditions et les menaces de longues peines en Italie se sont multipliées : d’abord Paolo Persichetti, membre de la dernière génération des Brigades rouges, les « BR-UCC » ; puis Cesare Battisti, qui a fui au Brésil avant d’y être arrêté, mais n’a pas été extradé (dernier geste politique de l’ancien syndicaliste Lula) ; enfin, Marina Petrella, membre de la colonne romaine des BR, non extradée in extremis grâce à l’intervention de… Carla Bruni.

De l’Italie de l’après-68, je ne savais presque rien jusqu’à la publication d’Insurrection (éditions Nautilus, 2010), un récit sur l’autonomie milanaise de 1977, rédigé en prison par Paolo Pozzi ; et la lecture de l’exceptionnel ouvrage dont il est ici question.

On assiste ces temps-ci à un regain d’intérêt pour cette période, confirmé par l’adaptation récente que la Compagnie Jolie Môme a donné de Faut pas payer (Dario Fo) et la traduction en cours de L’Orda d’oro (Nanni Balestrini).

Brigate Rosse, une histoire italienne est un livre constitué d’entretiens entre Mario Moretti, l’un des fondateurs et animateurs des Brigades rouges, Carla Mosca (chroniqueuse judiciaire) et Rossana Rossanda (fondatrice du journal de la gauche critique Il Manifesto). Les deux journalistes ont interviewé Mario Moretti – avec empathie mais sans complaisance – durant six jours en 1993. La première édition italienne a vu le jour en 1994. Il a fallu attendre seize années supplémentaires pour obtenir la présente version française ; on doit la traduction, l’avant-propos et le solide appareillage critique à Olivier Doubre, journaliste à Politis.

Dans cet entretien au long cours, qui couvre la période 1968-1987, on suit toute l’aventure des Brigades rouges, nées dans le sillage de Mai-68 dans le nord industriel de l’Italie. Première surprise, les BR ne sont pas issues du mouvement étudiant ni de la classe moyenne, mais du monde ouvrier. Elles se sont constituées en marge des chaînes de montage des usines Fiat, Pirelli, Siemens ou Alfa Romeo de Turin, de Milan, autour du port de Gênes et des complexes pétroliers de Venise. Elles appartiennent à l’histoire ouvrière de l’Italie, ce que nient encore aujourd’hui les organisations politiques et syndicales. Deuxième surprise : jusqu’au milieu des années 1970, le mouvement a pu compter sur la bienveillance des militants communistes du PCI. Contrairement à la Rote Armee Fraktion (RAF), les BR – qui comptèrent un millier de membres au total – s’appuyaient sur des dizaines de milliers de sympathisants qui ont permis de planquer les clandestins, de relayer logistiquement et politiquement les actions.

Comme l’écrit Rossana Rossanda, « les Brigades rouges sont nées d’une espérance et baignaient dans un mouvement ouvrier, plus grand qu’elles et au-dessus d’elles […]. L’essentiel était qu’il existe en Italie une lutte de classes radicale : il s’agissait de lui donner un symbole et d’être son bras armé. […] Pour Moretti, il n’y eut qu’un seul lieu où le face-à-face avec le pouvoir s’était révélé absolument inconciliable : l’usine. Et les Brigades rouges en étaient l’expression la plus déterminée. »

En écoutant Mario Moretti, on comprend le contexte qui a donné naissance aux BR : entre 1950 et la fin des années 1970, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont causé la mort de 250 personnes ( !) ; à l’automne 1969 survient l’attentat fasciste de la piazza Fontana. Pendant plusieurs années, l’État (dirigé par la Démocratie chrétienne) et les milices d’extrême droite parient sur la stratégie de la tension ; le PCI craint un scénario semblable à celui du Chili.

Les BR se constituent dans les usines. Il n’y a jamais plus de dix membres par brigade. Des « punitions » physiques sont infligées aux petits chefs, à la maîtrise. Ceux qui basculent dans la clandestinité recourent aux braquages, aux enlèvements de patrons qu’ils libèrent contre rançons. Tout ceci s’apparente à une forme de syndicalisme armé.

À partir de 1974, les arrestations se multiplient. Les BR se détachent de leur milieu ouvrier d’origine pour ressembler à n’importe quel groupe armé. Le sang coule de part et d’autre. Le 16 mars 1978, l’organisation enlève Aldo Moro. Elle souhaite monnayer cet homme politique de premier plan (président du Conseil à plusieurs reprises) contre 13 prisonniers. La captivité dure 55 jours. L’État ne cède pas. Mario Moretti abat Aldo Moro : « Cela a été une épreuve terrible dont je porte la blessure à jamais.  »

Dès lors, les BR sont en roue libre : en janvier 1979, elles abattent Guido Rossa, un militant du PCI qui a dénoncé l’un des leurs à la police. Lâchés par l’opinion, victimes de dissensions internes (largement développées dans le chapitre VII), les brigadistes sont traqués par le général Dalla Chiesa, l’un des artisans de la doctrine de contre-insurrection puis emprisonnés en vertu de lois antiterroristes exceptionnelles.

Pour Mario Moretti, la cavale s’achève le 4 avril 1981. Cela fait donc trente ans qu’il dort en prison. Et cela fait près de 25 ans qu’il a officiellement renoncé aux armes.

Ce livre laisse une impression de vertige. Il rappelle que les avant-gardes sont vouées à l’échec. L’alternative politique ou syndicale, fût-elle armée, ne peut se couper des masses.

N.N.

Rouge dans la brume

vendredi 18 février 2011 :: Permalien

Rouge dans la brume
Gérard Mordillat. Calmann-Lévy, 440 pages, 21 €.

Rouge dans la brume s’ouvre sur une tempête qui dévaste le nord de la France et annonce un autre saccage : celui de la vie d’un millier d’ouvriers qui resteront sur le carreau à la suite de la fermeture de leur usine. Carvin, un ouvrier de la Méka (Mékamotor), brave la tempête pour rentrer chez lui voir sa femme et sa fille. Il sait que les temps qui viennent vont le séparer de ceux qu’ils aiment. Il est la figure centrale du roman, à l’image de Rudy dans Les Vivants et les Morts ou de Gary dans Notre part des ténèbres. Des ouvriers déterminés, qui décident de ne pas courber l’échine, de relever la tête et d’affronter violemment les patrons en se jetant dans une lutte acharnée. Ils sont ces « meneurs », ces « extrémistes » chers à Mordillat, tels les fantômes d’un mouvement ouvrier révolutionnaire.

Variables d’ajustement. Parmi les ouvriers de la Méka, il y a aussi Weber, secrétaire du CE et délégué CGT, Mlle Poinseau, Corda, Monnier de la CGC, Djuna ou Étienne Rolland de la CFDT. Leur boîte a été rachetée par un fonds spéculatif américain qui a décidé de délocaliser en Serbie pour réduire les frais de production, alors que les bénéfices sont encore au rendez-vous et que l’État a injecté des aides publiques afin de conserver l’activité. Les ouvriers demandent que la boîte rembourse les aides pour financer notamment leur prime de départ. Un doux rêve !

Globalisation. L’idée qui germe très rapidement au cours des AG est celle de la « globalisation » des luttes. C’est le fil conducteur du roman qui mène le lecteur de la Méka à la Zitex, puis à la SCN. Le premier à développer cette idée est Corda : « Dans tous les trucs qui se passent en ce moment, ce qui me frappe, c’est que personne ne semble s’intéresser aux luttes qui ont lieu des fois à peine à quelques kilomètres. Regardez, à Hénin, ça fait au moins quatorze jours que la Zitex est en grève. Est-ce qu’on y est allés pour les soutenir ? […] Tout le monde mène sa bagarre dans son coin sans penser à celle du voisin, comme si ça n’avait aucun lien. » Et lors d’une autre AG, il renchérit : « Dans toutes nos entreprises nous sommes confrontés à la même gestion, à des logiques financières et non industrielles. En réalité, nous faisons tous partie d’une seule et même entreprise, unis par une seule et même colère. Il faut arrêter d’être compréhensifs, d’être polis, il faut que cette colère embrase tout le pays ! »

Déjà-vu. Les livres de Mordillat sont toujours agréables à lire, ils distillent une volonté de changer les choses, d’inverser le rapport de force, mais la littérature est aussi d’une exigence ingrate, elle ne tolère ni répétition ni relâchement, et malheureusement pour celui qui a lu Les Vivants et les Morts, ce roman est une pâle copie. En premier lieu, les structures du récit (y compris dans Notre part des ténèbres) sont les mêmes : les sous-parties sont introduites par un surtitre, un mot-clé comme « Réu », « Restaurant », « Fièvre », « AG », etc. Cette structuration à l’identique participe grandement à l’impression de déjà-vu, outre le sujet évidemment : des ouvriers occupent leur usine pour contrer un plan social, de là s’entremêlent des histoires de cœur (de cul disons-le), des adultères, et on suit la lutte à travers un mec charismatique qui a de la répartie et qui entraîne tous les autres. La seule différence dans ce roman est que le récit est entrecoupé de « paroles de dirigeants », des citations hallucinantes, des perles comme : « En taxant les indemnisations des accidents du travail, au nom de l’équité, nous prenons nos responsabilités de parlementaires »… de l’inénarrable Jean-François Copé. Dans le même ordre d’idée, le rôle du syndicaliste, d’un roman à l’autre, est celui d’un rabat-joie qui ne veut jamais sortir des clous. L’action directe, il n’en a jamais entendu parler… Pour finir, dans ce roman, on retrouve le saccage d’une sous-préfecture, qui nous rappelle évidemment la fière lutte des Conti. En bref, si vous n’avez jamais lu Mordillat, achetez Les Vivants et les Morts (sur papier c’est beaucoup mieux qu’à la télé !), et si vous êtes un habitué, ne vous attendez pas à être surpris… dommage !

Charlotte

Le Bateau-usine

vendredi 11 février 2011 :: Permalien

Le Bateau-usine
Kobayashi Takiji. Éditions Yago, 138 pages, 18 euros.

Cela fait quelques années que Le Bateau-usine, un classique de la littérature prolétarienne japonaise, connaît un regain d’intérêt. Publié sous forme de manga en 2008, ce récit est devenu le porte-flambeau d’une jeunesse qui ne s’identifie plus aux valeurs de la libre concurrence mêlant toyotisme, attachement quasi filial à l’entreprise et asservissement par le travail.

En 2009, les éditions Yago ont eu l’heureuse idée de traduire ce roman en français. Le style alerte et accessible rappelle celui du lointain contemporain B. Traven dans La Révolte des pendus ou du premier Malraux (Les Conquérants).

La trame est simple : au large de l’île d’Hokkaido, à bord du Hakkô-maru, quelque 200 marins pêchent le crabe (un produit de luxe) dans des conditions épouvantables. Mal nourris, battus et humiliés par le capitaine et l’intendant, ils ne peuvent même pas se rincer à l’eau douce pour retirer le jus de crabe dont ils sont recouverts. Les hommes se révoltent, mais la révolte est matée par l’armée impériale.

En lisant les fortes pages du roman de Kobayashi Takiji – qui mourra torturé dans un commissariat en 1933 –, on ne peut s’empêcher de penser aux travaux de Marcus Rediker sur les marins du XVIIIe siècle. À l’instar de leurs frères du siècle XX, ils dénonçaient les traitements inhumains et la vénalité des armateurs, ils ont inventé la notion même de grève (« strike ») qui vient du fait de sabrer les voiles pour immobiliser le navire.

«  Le pêcheur ouvrait la bouche et écrasait bruyamment les poux entre ses dents. À force d’en écraser entre ses pouces, il avait aussi les ongles tout rouges. Il essuyait furtivement ses doigts souillés sur le bas de sa veste, comme font les enfants quand ils ont les mains sales, et aussitôt en écrasait un autre. Malgré ses efforts, il ne pouvait toujours pas dormir. Toute la nuit ils étaient persécutés par des poux, des puces, des punaises, qui sortaient d’on ne sait où. Ils avaient beau inlassablement repousser leurs assauts, c’était sans fin. Debout dans les couchettes sombres et humides, ils voyaient aussitôt rappliquer des dizaines de puces qui leur grimpaient sur les jambes. Au bout du compte, c’était à se demander si leur propre corps n’était pas en train de pourrir. Ça faisait une drôle d’impression quand même, d’être en quelque sorte devenu un cadavre en décomposition, rongé par la vermine.  »

Skalpel, un rappeur fils et fier du 93

vendredi 4 février 2011 :: Permalien

Le chanteur de La K-Bine fêtera la sortie de Chroniques de la guerre civile, son nouvel album le 12 mars au local du 33 rue des Vignoles. À ne pas rater !

Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire de la musique ? Ton histoire personnelle ? Ton environnement familial et social ?

C’est le côté engagé et revendicatif du rap qui m’a donné envie d’écrire des textes et de les rapper. Je me suis mangé une claque en découvrant cette musique à l’âge de 13 ans. Elle me ressemblait et décrivait bien l’environnement dans lequel je vivais. Je pouvais mêler des revendications personnelles du fait de mon statut de fils de réfugié politique et des histoires propres à mon quotidien dans un quartier populaire du 93, en l’occurrence les 3 000 à Aulnay-sous-Bois. Je suis un fils d’employés plus que modestes et précaires ; nous étions – je pense – dans la catégorie des gens « pauvres » de la France et comme disait ma mère, cela ne nous a jamais empêchés de rester dignes et lucides. Nous avions très peu de choses, mais paradoxalement beaucoup de livres. Nous étions une famille d’immigrés du 93 avec des parents qui militaient jour et nuit.

Être un rappeur conscient, ça signifie quoi ?

Le terme « conscient » est un peu galvaudé, mais en gros, être un rappeur engagé, ça veut dire écrire des textes revendicatifs et les assumer au quotidien. Au boulot, en concert, en manif… Ça veut dire être le plus cohérent possible entre les morceaux que tu chantes et la vie que tu choisis de mener, même au niveau intime. C’est admettre comme une certitude que tout est politique ; même des choses comme l’amour et les rapports humains les plus ordinaires. Le premier devoir d’un rappeur militant, c’est d’être un militant. Le reste est secondaire…

Tu es un enfant du 93, tu parles même d’indépendance de la Seine-Saint-Denis, pourquoi ? Qu’est-ce qui te lie à ce département ?

Réclamer l’indépendance de la Seine-Saint-Denis, c’est utiliser une revendication chargée d’utopie pour dénoncer les maux dont souffre notre département. Pour ceux d’en haut, c’est le pire ; pour nous, c’est le plus populaire, celui où vivent des gens qui ont légitimement le droit de se révolter et remettre en cause le système. C’est celui où se concentre la population qui est la plus touchée par les attaques menées en ce moment par Sarkozy. Je lisais l’autre jour que c’est en Seine-Saint-Denis que les suppressions de postes dans l’éducation vont être les plus élevées et pourtant, c’est là qu’il y a le plus grand besoin de moyens… Au niveau sécuritaire c’est pareil, la police y mène une guerre larvée contre les jeunes des quartiers populaires, ce n’est pas un hasard si ce sont les cités du 93 qui se révoltent souvent en grand nombre.

Tu as déjà monté des projets avec une classe de LP à Noisy-le-Sec. Tu peux nous en dire davantage ?

En fait, avec Akye et Géraldine, nous avons mené un projet d’atelier d’écriture avec des mômes scolarisés dans un lycée pro, en France depuis peu de temps. Ils ont des difficultés à s’exprimer en français. Nous avons écrit et enregistré un morceau de rap tous ensemble. Il y avait six mômes, et le morceau est en six langues (dtamoul, arabe, bambara, roumain, français…). C’était une belle expérience qui, dans mon cas, me touche particulièrement car souvent un certain nombre d’enfants sont arrivés en France pour des raisons politiques et ont dû fuir, comme certains Afghans ou Tchétchènes, du coup ça me renvoie à ma propre histoire (Skalpel est fils de Tupamaros uruguayens, Ndlr).

Ce journal est diffusé dans l’ensemble des établissements scolaires du 93. Qu’aimerais-tu dire aux enseignants qui te liront ?

Alors, je ne sais pas si je dois être méchant ou pas… Déjà, faites grève ! (Ça, c’est pour tous les profs…) Et faites preuve d’humilité dans les rapports que vous entretenez avec les autres personnes qui ont des emplois précaires et que vous côtoyez dans vos établissements (surveillants, Atos, etc.). Ensuite, interrogez-vous sur la fonction sociale de votre travail, surtout pour les années à venir, en gros et je suis désolé si certains se sentent choqués, posez-vous la question de savoir ce que vous allez faire pour que votre fonction ne se convertisse pas en celle de simples matons chargés de surveiller ceux qui sont destinés, par leur statut social, aux boulots les plus durs… Bref, plus de pédagogie et moins de revendications sécuritaires… même dans le 9.3 !

Propos recueillis par N. N.
Première publication, Le Chat du 9.3, n° 18, janvier-février 2011.

Hugo Pratt, un gentilhomme de fortune

vendredi 28 janvier 2011 :: Permalien

Hugo Pratt, un gentilhomme de fortune (tome I)
Paolo Cossi. Vertige Graphic, 220 pages, 22 euros.

Une biographie de Pratt en bande dessinée, il fallait oser. D’abord parce que l’auteur, en l’occurrence Paolo Cossi (né en 1980), va forcément être jugé sur la qualité de son trait et ses procédés narratifs ; ensuite parce que cette vie n’est peut-être pas aussi simple à romancer que celle de Corto ou des Scorpions du désert. Pour moi comme pour tant d’autres, Pratt est le « Maestro » et Corto Maltese une sorte d’antihéros romantique et nihiliste ; je l’ai suivi à Venise, aux Antilles ou en Orient parmi les pirates, les révoltés et aux côtés du jeune Jack London. Alors, quand j’ai ouvert cette biographie et que j’ai retrouvé le personnage de Raspoutine au cœur des artères de la Sérénissime, j’ai tout de suite compris que l’auteur avait réussi son pari : il a littéralement absorbé l’œuvre et la vie de Pratt, son univers et son imaginaire, pour nous livrer un résultat plus que séduisant. Au long de ce premier tome, on suit le jeune Pratt dans ses pérégrinations africaines. L’Éthiopie est sous le joug colonial de l’Italie mussolinienne. Hugo accompagne son père soldat. Le rôle du grand-père, dignitaire fasciste, est évoqué de façon elliptique. Hugo découvre l’amour et l’aventure, la guerre et la mort. Récit d’apprentissage, quête poétique, c’est moins l’air du temps que la construction psychologique du futur dessinateur qui est en germe ici. Bien vu, puisqu’on se laisse porter tout au long des 200 pages du récit. Outre la qualité graphique et narrative, on saluera aussi la publication de cette bande dessinée par Vertige Graphic, une maison indépendante, à l’abri des logiques mercantiles des requins de l’édition.

N.N.