Éditions Libertalia
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vendredi 9 juin 2023 :: Permalien
Publié dans Le Monde des livres, le 9 juin 2023.
« Il n’était pas question pour moi de tenter une approche impartiale du syndicalisme », écrit Guillaume Goutte au début du petit livre qu’il consacre à l’histoire et aux perspectives des syndicats français. Correcteur au Monde, il est en effet adhérent de la CGT et exerce des responsabilités au Syndicat général du livre et de la communication écrite, engagement qui explique, bien sûr, le caractère très personnel de ce texte intense mais aussi, sans doute, la connaissance profonde dont il témoigne. Car, au-delà des réponses qu’il apporte à une série de questions – « la grève est-elle le seul moyen d’action du syndicalisme ? », « le syndicalisme est-il dépassé ? »… –, comme de sa portée militante, il recèle nombre de faits, de réflexions, de savoirs éclairants sur une tradition de lutte pour et par l’autonomie des travailleurs dont il montre, par là même, la richesse.
samedi 3 juin 2023 :: Permalien
Publié dans Libération du 3 juin 2023.
Dans un livre touchant et politique, entre portrait, enquête et archives, les proches de Clément Méric racontent celui qu’ils ont perdu, « martyr qui n’a pas donné sa vie mais à qui on l’a volée ».
« En regardant mon affiche pour le débat sur les crimes racistes et sécuritaires, et l’en-tête – il y a vingt-six ans, Malik Oussekine –, je trouvais qu’il y avait une certaine hypocrisie à commémorer des meurtres comme celui de Malik Oussekine juste à cause des circonstances, alors que la plupart des morts ne nous font ni chaud ni froid, enfin, qu’on fasse semblant de regretter la personne lors des commémorations alors qu’on ne s’intéresse qu’aux causes, à juste titre. » La phrase est de Clément Méric. C’était il y a dix ans ; quelques jours avant sa mort. Aujourd’hui, un livre tout entier lui est consacré. Clément Méric : une vie, des luttes (éditions Libertalia). Un travail collectif. Les siens au sens large (familles, camarades de luttes, potes, anciens profs, voisins, etc.) prennent le temps de le décrire. Chacun à sa manière. On retombe à chaque fois sur le même gars, une tête dure « sensible à l’exigence ».
Clément Méric : une vie, des luttes mêle le portrait, l’enquête et les archives. Il revient sur ce foutu 5 juin 2013, le jour de son agression, en racontant les crânes rasés racistes, la violence, l’absurde, la folie, le choc et la lâcheté. Les auteurs n’oublient pas les lendemains. Comment vivre et lutter après la mort ? Un de ses potes répond : « Ce n’est pas normal de perdre un pote à 20 ans, mais en plus, très vite on est dépossédés du deuil, y compris par des gens qui pensent bien faire, des camarades. C’est compliqué de porter un regard politique assez distancié sur un truc qui nous regarde aussi directement. Quand je repense à la cérémonie, aux manifs à Brest, je me dis qu’on avait quand même réussi à faire des choses qui avaient de la gueule. Le deuil, c’est toujours compliqué, mais il y avait une espèce d’équilibre entre l’intime et le politique. »
Clément Méric a grandi en Bretagne, à Brest. Il vivait avec ses parents près de la place Guérin, un haut lieu de la gauche alternative. Il rôdait dans un bar autogéré où se réunissaient des jeunes libertaires. « Il a trouvé là un modèle radical et exigeant. Ces militants dénonçaient toutes formes de discriminations et de dominations. Surtout, ils vivaient en conformité avec leur idéal d’une société plus solidaire, plus juste, plus frugale, privilégiant les échanges non marchands », écrivent ses parents.
On le voit évoluer au fil des pages. Son adhésion à la CNT, sa musique, sa méningite aiguë qui lui mène la vie dure, son arrivée à Sciences-Po Paris et ses combats. Ses parents poursuivent un peu plus sur lui : « Clément avait 18 ans lorsqu’il a été tué, il mesurait 1 mètre 80 et pesait 66 kilos, un gabarit somme toute moyen. »
Ce livre replace sous la lumière un jeune gars qui manque aux siens : il permet également de pointer du doigt la dangerosité d’un ennemi fasciste qui grapille chaque jour du terrain. Un ouvrage touchant et politique. Les auteurs précisent au début du livre : « Dans ériger de culte à un héros qui n’en était pas un, à un martyr qui n’a pas donné sa vie mais à qui on l’a volée, nous devons évoquer ce que la mémoire de Clément peut apporter, parce que les luttes continuent. »
Rachid Laïreche
vendredi 2 juin 2023 :: Permalien
Publié dans Politis du 1er juin 2023.
Il y a dix ans, le 5 juin 2013, Clément Méric, syndicaliste et antifasciste d’à peine 18 ans, était assassiné par des néonazis dans les rues de Paris. Les éditions Libertalia publient un ouvrage qui retrace la vie de ce militant engagé, ses luttes, les circonstances de sa mort et son héritage. S’il dresse le portrait de ses assassins, il ne s’agit pas d’un ouvrage sur la violence de l’extrême droite, mais d’un témoignage collectif d’un épisode de cette violence. Un livre profondément émouvant, documenté, qui rappelle la nécessité absolue du combat antifasciste dans le contexte politique actuel.
D. D.
jeudi 1er juin 2023 :: Permalien
Publié sur Fahrenheit 451, le 30 mai 2023.
Hiver 1924. Pendant plus de six semaines, deux mille ouvrières des conserveries de sardines de Douarnenez vont battre le pavé en sabot, réclamant une augmentation de salaire. Anne Crignon raconte « cette épopée sociale et victorieuse ».
Elle décrit leurs conditions de travail : loi de 1919 qui fixe à huit heures la journée d’usine non respectée, pas plus que la limite à soixante-douze heures par semaines, les heures d’attentes non payées et les heures de nuit au même tarif que le jour, soit quatre-vingt centimes de l’heure, les enfants qui travaillent dès huit ans pour « gagner les sous qui manquent », alors que légalement elles devraient attendre douze. Les différents postes sont présentés, dans toute leur dureté. Les chants, entonnés parfois par cent femmes, constituent « un exutoire à la rancune », jusqu’à ce que surgisse l’idée de « tout arrêter. Tout arrêter, oui, tant qu’on n’a pas vingt sous de plus. Faire passer l’heure à un franc. Un franc ! Voilà l’horizon ! Entre sardinières, on ne parle plus que de ça ». Puis la grève éclate le 21 novembre et se propage, comme en 1905, quand leurs mère et leurs grands-mères ont réclamé (et obtenu) de n’être plus payées au mille mais à l’heure. Elles vont être soutenus par le maire, Daniel Le Flanchec, tout premier maire communiste de France, accueillant dans la salle du conseil les réunions quotidiennes du comité de grève. Le jeune Charles Tillon, futur cofondateur des FTP, responsable de la CGTU en Bretagne, et Lucie Coillard, responsable du travail des femmes au syndicat, vont séjourner tout le temps du conflit à Douarnenez. Pendant des semaines, les patrons vont s’obstiner à refuser toutes négociations, toutes tentatives de conciliation et finir par consentir à ce que le ministre du Travail, Justin Godart, entende les deux partis, séparément. Face à leur « exaspérante impassibilité », celui-ci finira tout de même par lâcher : « Vos patrons sont des brutes et des sauvages. » Cependant, avant de rentrer, les trois patrons de la délégation se rendent au siège d’un syndicat affilié au Comité des forges et qui propose la location de briseurs de grèves.
La médiatisation du conflit permet de collecter des soutiens financiers dans tout le pays. Une dizaine d’hommes vont finir par débarquer, distribuant L’Aurore syndicale, la feuille de propagande patronale, dans les boîtes aux lettres, tentant de soudoyer quelques-uns pour qu’elles reprennent le travail. Le 31 décembre, au cours d’une altercation, ils font feu et blessent à la gorge Le Flanchec et son neveu à la tête. Après des semaines de manifestations dans le calme, la colère éclate. La responsabilité des commanditaires est flagrante ; ils acceptent dès lors l’ouverture de négociations pour enterrer l’affaire, puis, tout aussi rapidement, toutes les revendications, qui ne sont avant tout que le respect des lois sociales existantes. Malgré les preuves accablantes, un non-lieu sera prononcé dans l’enquête contre leurs mercenaires.
Pour nourrir son récit, Anne Crignon a puisé dans tous les ouvrages évoquant ce mouvement. Elle rapporte nombre d’anecdotes, comme la venue de Zola dans le Finistère qui cherchait un décor pour un tome des Rougon-Macquart, avant de se décider pour les terrils du Nord et d’écrire Germinal. Beaucoup de paroles d’ouvrières sont reprises. Autant que possible, elle donne des noms et des visages à ces femmes anonymes, épluchant également la presse de l’époque.
Anne Crignon montre comment les expériences sociales sont le terreau de toute culture politique. En relatant cet épisode oublié de l’histoire sociale, elle souligne son caractère profondément féministe et nourrit les luttes d’aujourd’hui, mission essentielle. Sans l’attendre, la chanson Penn Sardin, écrite par Claude Michel, fut d’ailleurs reprise et actualisée pendant le mouvement des Gilets jaunes.
Ernest London
mardi 30 mai 2023 :: Permalien
Publié dans Le Télégramme du 29 mai 2023.
En 2024, le centenaire de la grève des Penn sardin, à Douarnenez, livrera son lot de publications et de célébrations. Mais avant cela, dans Une belle grève de femmes, Anne Crignon pose un regard sensible et engagé sur cette page fameuse de l’histoire sociale de la Bretagne.
Son engagement, la journaliste concarnoise travaillant pour L’Obs et pour Siné Mensuel, l’assume. « Il se trouvera sans doute un historien pour pointer ici ou là dans ce récit une lacune ou trop de sympathie pour l’outrance, et il aura raison », avertit-elle. Avant de suivre les différents acteurs et faits de cet événement au retentissement national, comme elle l’aurait fait pour une enquête journalistique.
Ce qu’elle entend, ce qu’elle sent, ce qu’elle voit
Elle y dépeint le quotidien des Douarnenistes, pêcheurs et surtout ouvrières d’usines, comme si elle y était. Cette grève, c’est un mouvement de femmes. C’est en femme que la journaliste la suit de près. Anne Crignon est là, accompagnée de sa petite chienne, dans les maisons, dans les rues, sur les quais, dans les conserveries. Elle écrit au présent, décrit ce qu’elle entend, ce qu’elle sent, ce qu’elle voit. Elle convoque les témoignages de celles qui vécurent les événements, recueillis par d’autres, comme autant de respirations. Elle dresse avec une touchante sensibilité le portrait de celles et de ceux qui luttèrent, pendant quarante-six jours, contre les patrons douarnenistes, pour une plus grande justice sociale, jusqu’au drame et à la victoire finale. Et puis elle salue le travail de toutes celles et de ceux qui ont conté cette histoire avant elle, Lucie Colliard (à qui elle a emprunté ce titre), Michel Mazéas, Marie Hélia, Anne-Denes Martin, Jean-Michel Le Boulanger…
Une belle grève de femmes est un bel hommage autant qu’un travail précis et riche. « Écoutez, l’bruit d’leurs sabots », chantent en chœur la Concarnoise Claude Michel, qu’Anne Crignon a rencontrée, et les cortèges de ce XXIe siècle de lutte et d’espoir. Sans doute, ces femmes d’il y a cent ans ont encore à nous apprendre.
Olivier Desveaux