Le blog des éditions Libertalia

Brève histoire de la concentration dans le monde du livre dans Télérama

vendredi 2 décembre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Télérama, le 30 novembre 2022.

Comment le capitalisme a fait du livre une marchandise comme une autre

Deux essais offensifs dénoncent l’emprise du capitalisme financiarisé sur le monde du livre. L’un, signé Jean-Yves Mollier, retrace l’histoire de la concentration dans l’édition ; l’autre, d’Hélène Ling et Inès Sol Salas, analyse ses effets sur l’écriture et la lecture.

Le XXᵉ siècle aura vu triompher l’édition sans éditeurs ; le XXIᵉ sera peut-être celui de la littérature sans lecteurs. Le premier a légué une surproduction de livres (20 252 nouveautés en 1990 ; 43 600 en 2014) publiés par un nombre de plus en petit d’acteurs. Le second entérine un déclin continu de la lecture : 73 % des Français avaient lu au moins un livre en 1988 ; ils n’étaient plus que 62 % en 2018. Cette situation, deux récents essais, l’un cosigné par les autrices Hélène Ling et Inès Sol Salas, et l’autre de l’historien de l’édition Jean-Yves Mollier, se proposent de l’analyser à travers un prisme : l’emprise du capitalisme sur le monde du livre.
« À l’édition sans éditeurs, aux auteurs démultipliés à l’infini, répond en un écho si loin si proche le spectre d’une littérature sans lecteurs », s’alarment les premières dans le très engagé Le Fétiche et la Plume (éd. Rivages). L’édition sans éditeurs : la formule renvoie au titre d’un célèbre pamphlet d’André Schiffrin (éd. La Fabrique), où l’éditeur franco-américain craignait de voir la logique financière écraser la France. « Il y a quelques années, il existait un grand nombre de maisons d’édition en Amérique. […] 80 % des livres actuellement publiés proviennent des cinq conglomérats qui contrôlent l’essentiel de l’édition aux États-Unis. » Son avertissement date de 1999. Depuis, rien ne l’infirme.
Quatre groupes possèdent aujourd’hui l’essentiel de la chaîne du livre : Madrigall (Gallimard, Flammarion, Denoël, P.O.L, La Table ronde…), Média-Participations (Seuil, La Martinière, L’Olivier, Métailié…) et les deux mastodontes de Vincent Bolloré, Hachette (Grasset, Fayard, Stock, JC Lattès, Calmann-Lévy, Le Livre de poche…) et Editis (Plon, Pocket, 10/18, Bouquins, Julliard, L’Archipel, La Découverte…), qu’il entend céder pour conserver Hachette. Cette énumération vous donne le vertige ? Courez lire la Brève Histoire de la concentration dans le milieu de l’édition (éd. Libertalia). En cent cinquante pages, Jean-Yves Mollier raconte l’histoire de ces étranges constellations et montre que le phénomène « remonte à la seconde moitié du XIXᵉ siècle » mais « s’est considérablement renforcé après 1945, avant de changer de nature après 1980 ».

« Zone de turbulences »
Cette histoire est celle du capitalisme français, où l’on croise les grands noms de l’industrie (Lagardère, Bolloré, Messier) comme ses pires pratiques, en témoigne l’invraisemblable lobbying des Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP, aux mains d’Hachette) après guerre, qui a évité sa nationalisation en finançant les campagnes électorales. Peu à peu, la logique industrielle de concentration a laissé place, à la fin du XXᵉ siècle, à celle d’une course à la rentabilité, annoncée par Schiffrin, qui s’est notamment matérialisée par des rachats dans la diffusion et la distribution. Ces activités sont stratégiques, puisque le reste de l’édition en est captif : les indépendants doivent passer par ces acteurs. Et peuvent se faire éjecter, comme une dizaine d’éditeurs auxquels CDE (Madrigall) a demandé en 2019 de trouver un autre prestataire, provoquant « une zone de turbulences très dangereuse », dénonce Jean-Yves Mollier.

Youness Boussenna

Davaï ! sur Marsactu

vendredi 2 décembre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Marsactu le 14 novembre 2022.

Lola Miesseroff a de qui tenir pour avoir été rebelle toute sa vie. Membre du Front homosexuel d’action révolutionnaire, proche des anarchistes, elle a toujours été du côté des révoltés, naturistes ou situationnistes qui n’étaient pas des touristes. Dans cet ouvrage, elle raconte à qui elle le doit : aux femmes de sa famille, arméniennes ou russes juives et apatrides, et même marseillaises pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa mère ne porta pas l’étoile jaune et ne se présenta pas aux autorités dans la zone sud en France. Pourtant, dénoncée, elle passa trois jours à la prison du boulevard Chave, aujourd’hui détruite, avant d’être libérée. Ses parents avaient émigré de Russie vers Paris en 1925. Mais ils ne se soucient guère de la judéité. Ils ne se rendent compte que lorsque l’extrême droite s’en prend à eux. Sa tante intègre un réseau de Résistance où elle rencontre son père qui lui rejoint les FTP des Alpes-de Haute-Provence. Cette biographie animée et joyeuse raconte dans un beau désordre les branches familiales d’une révolutionnaire atypique mais énergiquement libre.

Christophe Goby

Le jeu Antifa de retour à la Fnac dans Télérama

mercredi 30 novembre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Télérama, le 30 novembre 2022.

Le jeu « Antifa » de retour à la Fnac : l’éditeur du jeu raconte un « terrifiant bad buzz »

Quarante-huit heures après l’avoir retiré de la vente à la suite de tweets d’un député RN et d’un syndicat policier qui pointaient sa prétendue violence, la Fnac a fait volte-face. L’éditeur du jeu, Nicolas Norrito, s’en félicite… mais surtout s’inquiète de ce dont cette lamentable histoire est le signe.

Le revirement est spectaculaire : alors que, dimanche, la Fnac avait précipitamment retiré de la vente Antifa, le jeu militant antifasciste, elle continuera finalement de le commercialiser. Pendant le week-end, des tweets du député du Rassemblement national Grégoire de Fournas (récemment sanctionné pour des propos racistes à l’Assemblée nationale), puis du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), l’avaient interpellée sur le caractère prétendument « haineux » d’Antifa.

Mais mardi 29 novembre, en fin de journée, l’enseigne de biens culturels (qui n’a pas répondu favorablement à nos demandes d’interview) a expliqué dans un communiqué qu’après « avoir pris le temps d’analyser en profondeur le contenu du jeu », elle avait constaté qu’il ne « comportait rien de nature à justifier un refus de le commercialiser »… Rappelant au passage « l’esprit de liberté et de diversité » qui, selon elle, la caractérise. « N’aurait-elle pu commencer par procéder à ces vérifications avant de faire allégeance à l’extrême droite la plus crasse ? » demande Nicolas Norrito, fondateur de la librairie Libertalia, à Montreuil (93) et éditeur d’Antifa. De fait, le descriptif des règles du jeu qu’avait tweeté Grégoire de Fournas, sur lequel s’était basé le SCPN pour monter au créneau, puis la Fnac elle-même pour prendre sa décision, était, ni plus ni moins, faux… Une « fake news » caractérisée, estime Nicolas Norrito.

La Fnac vous a appelé mardi soir pour vous annoncer que deux jours après avoir décidé le retrait d’Antifa, elle revenait sur sa décision. Quelle a été votre réaction ?

C’est pour nous une victoire. Sans triomphalisme, mais tout de même : Grégoire de Fournas et le RN n’auront pas eu le dernier mot dans cette histoire hallucinante. Pour la Fnac, qui ne s’était jusque-là jamais donné la peine de nous contacter, ni même de répondre à Harmonia Mundi (le distributeur d’Antifa) malgré ses appels répétés, c’est au contraire un sacré fiasco, un terrifiant « bad buzz », à quelques semaines de Noël. J’aurais apprécié qu’elle nous présente des excuses, des regrets, ou ne serait-ce que des explications… Mais elle ne s’est en rien justifiée, hormis dans un communiqué laconique. Alors qu’il y a quelques jours encore elle recommandait Antifa sur son site Internet, le présentant comme un vrai jeu politique, elle a soudain perdu la boussole, voulant nous faire disparaître, nous, les pas « politiquement corrects », en portant allégeance à la droite la plus réactionnaire. Elle a perdu sur toute la ligne tandis que, de notre côté, nous sommes maintenant assaillis de demandes : une troisième édition d’Antifa doit être diffusée en janvier. La première, tirée à 4 000 exemplaires en octobre 2021, s’était déjà vendue en un mois, et la seconde est elle aussi désormais épuisée.

En quoi ce jeu a-t-il pu prêter le flanc aux attaques de ces députés RN et du SCPN ?

Il s’agit d’un jeu somme toute ordinaire, même s’il est idéologique, et forcément militant puisqu’il est le fruit d’années de militantisme bien réelles. Antifa est né d’une expérience de plus de vingt ans de luttes antifascistes, avec toutes les situations qui peuvent s’y présenter, déclinées en autant de situations de jeu : « Des ultraréacs organisent une manif homophobe « Un jeune du quartier des Mimosas tué par la police »« Une conférence négationniste est annoncée sur les réseaux »« Une salle de prière musulmane a été dégradée »« Des cathos tradis mobilisés contre l’IVG », etc. À ces situations, le joueur est invité à réagir, mais avec des moyens légaux à sa disposition : fabriquer une banderole pour une manif ou un rassemblement, utiliser les réseaux sociaux, organiser une réunion unitaire, prendre la parole dans une radio associative… En aucun cas il ne s’agit de « tabasser un militant de droite » ou de « lancer un cocktail Molotov sur les CRS », comme l’a écrit Grégoire de Fournas dans son tweet : une fake news caractérisée. Qu’il a d’ailleurs admise, reconnaissant qu’il n’avait jamais ouvert le jeu et prétendant que les gens n’avaient pas compris qu’il n’en faisait qu’une caricature, que son tweet se voulait « ironique » !
Le problème est que ni le SCPN, monté ensuite au créneau, ni la Fnac elle-même, qui leur a emboîté le pas en prenant finalement une décision aussi arbitraire, n’ont eux non plus pris la peine de vérifier si ces accusations correspondaient à la réalité. Tout comme Cyril Hanouna, lundi soir, dans TPMP, qui a fait voter son public, lui demandant s’il fallait ou non censurer Antifa : 77 % des gens se sont prononcés pour son interdiction, alors qu’ils ne l’avaient jamais ouvert, pas plus que lui ! Ignoble. Mais surtout, hallucinant. Ces assertions, à la fois définitives et fondées sur un vide sidéral, c’est cela qui est le plus terrifiant.

Qu’y voyez-vous au fond ?
Un signal alarmant. À la fois de la vacuité de notre société, agitée par des pitres répugnants, et de sa violence latente… qui peut très vite se débrider et l’emporter aveuglément, comme la décision de la Fnac l’a montré avant de rétropédaler aussi piteusement. Entendons-nous bien. Je ne suis pas moi-même un pacifiste. À la tête de ma librairie et de ma maison d’édition libertaires, je suis un activiste, dont les valeurs cardinales sont la liberté et l’émancipation. Mon panthéon intellectuel et militant, c’est l’Espagne antifasciste de 1936. Mais je ne fais pas n’importe quoi. Mon arme, ce ne sont pas les fake news, c’est le livre. Dont le jeu est une extension. J’ai beaucoup milité, manifesté, et aujourd’hui je veux armer les esprits, échanger, produire du débat. Dans cette histoire, on a finalement gagné, la situation s’est rétablie in extremis et on a sauvé l’essentiel. Mais jusqu’à quand ? Le vieux modèle social-démocrate ne cesse de se déliter, les idées nauséabondes continuent partout de progresser. Le danger fasciste, cette fois esquivé, n’a été, on peut le craindre, que différé.

La Fnac se soumet à la « cancel culture » d’extrême droite dans Libé

mercredi 30 novembre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Libération, le 29 novembre 2022.

La Fnac se soumet à la « cancel culture » d’extrême droite et trahit ses valeurs

Sous la pression de la fachosphère, l’enseigne a retiré de la vente le jeu « Antifa », créé par les éditions Libertalia, au motif qu’il ferait l’apologie de la violence. Dans le même temps, on trouve toujours sur le site marchand des écrits racistes et antisémites de Renaud Camus ou Alain Soral…

Il aura suffi de quelques tweets de l’extrême droite, plus précisément une grosse fake news du désormais (et tristement) célèbre député Rassemblement national Grégoire de Fournas, dument relayée au sein de la fachosphère, pour que la Fnac se soumette, fissa. Et retire de son site marchand Antifa, le jeu, création militante des éditions Libertalia en collaboration avec le collectif La Horde, au motif fallacieux qu’il ferait l’apologie de la violence. Qu’il est navrant de voir un grand acteur culturel comme la Fnac céder ainsi face à une offensive aussi malhonnête que marginale. On se souvient que le slogan historique de l’enseigne culturelle créée par deux anciens trotskistes fut « Agitateur depuis 1954 » (jusqu’en 2004) avant de devenir il y a dix ans « On ne peut qu’adhérer ». Pour le coup, impossible d’adhérer à cette censure téléguidée par l’extrême droite.
Dans une publicité, la Fnac proclamait également : « Nous avons tous les livres. Vous avez toutes les libertés. » Un credo qu’elle applique jusqu’à l’extrême puisque sur son site on trouve sans problème des livres antisémites et conspirationnistes, notamment ceux d’auteurs condamnés pour leurs écrits comme Renaud Camus ou Alain Soral. Leur présence dans le catalogue de la Fnac rend d’autant plus absurde le retrait du jeu Antifa qui, lui, ne contrevient à aucune de nos lois et ne contient aucun appel à la haine ou à la violence (seule l’autodéfense est évoquée).

Sujet massif

Bien davantage que des jeux de société, ce sont le plus souvent des livres, mais aussi des pièces de théâtre ou des films qui sont l’objet de tentatives de censure. On glose beaucoup, parfois non sans raison mais toujours avec excès, sur la « cancel culture » qu’imposerait la pensée « woke » ou « décoloniale » à notre représentation, le plus souvent glorieuse, de l’histoire de France ou de notre société – Jean-Michel Blanquer n’hésitant pas à évoquer quand il était ministre de l’Education nationale « une profonde vague déstabilisatrice pour la civilisation ». Ce fut certes un cas isolé, mais on a par exemple trouvé absurde de retirer le mot « nègre » du titre du roman d’Agatha Christie, les Dix Petits Nègres. Certains débats autour de certaines statues ont pu aussi nous laisser perplexe.
Mais ces dernières années, la censure idéologique menée par l’extrême droite chaque fois qu’elle en a l’occasion, à partir d’éléments réels, fantasmés ou même inventés comme on le voit avec l’épisode de la Fnac, est un sujet autrement plus massif. Même si certaines demandes de censure ont aussi émané de la gauche ces dernières années, notamment aux États-Unis, la plupart des cas sont l’œuvre du camp conservateur en général, et trumpiste en particulier. La Floride, où sévit le gouverneur Ron DeSantis, nouvelle coqueluche des républicains dans la perspective de la présidentielle de 2024, est particulièrement touchée. Des livres jugés politiquement ou moralement incorrects, en premier lieu des manuels scolaires, sont de plus en plus souvent interdits. Et pour lutter contre ce phénomène outre-Atlantique, dont Eric Zemmour souhaiterait s’inspirer en France, des éditeurs, des bibliothécaires et des enseignants se sont d’ailleurs regroupés au sein du collectif Unite Against Book Bans.

La tyrannie « woke », un fantasme

Pour avoir une idée du phénomène, on peut se référer à une enquête de PEN America, organisation qui milite pour la liberté d’expression, citée par le journal canadien le Devoir : près de 1 600 livres ont été ciblés entre le 1er juillet 2021 et le 31 mars 2022 dans 86 districts scolaires états-uniens totalisant près de 2 900 écoles. Ces dernières années, dans une forme de maccarthysme contemporain, de grands noms de la littérature comme la Prix Nobel Toni Morrison, mais aussi Margaret Atwood ou Art Spiegelman ont été visés. Le cas de J.K. Rowling est plus complexe, puisque la créatrice d’Harry Potter a d’un côté été attaquée par des chrétiens traditionalistes dénonçant son apologie de la sorcellerie, mais aussi par une partie de la gauche pour des propos publics pas vraiment bienveillants à l’égard des personnes trans.
Qu’il s’agisse de republier Mein Kampf, avec un appareil critique massif, ou des manuscrits inédits de Céline, on ne peut pas dire qu’en France le temps soit à la censure pour des textes aux antipodes de la pensée censément progressiste. La tyrannie « woke » reste largement un fantasme et l’auteur Éric Zemmour, par exemple, dispose d’une tribune autrement plus puissante que la totalité des auteurs dits « décoloniaux ». Chacun a le droit de trouver opportun l’initiative de tel ou tel éditeur, mais la liberté reste la règle dans le respect de la loi et, au fond, c’est tant mieux. Avertir, encadrer, expliquer est une chose, interdire en est une autre. Dans le cas d’Antifa, le jeu, qui est autant symbolique de l’impact concret d’une fake news que de l’influence d’une croisade d’extrême droite dans le champ culturel, la Fnac – en plein bad buzz, et c’est bien fait pour elle – gagnerait à faire machine arrière en reconnaissant une erreur partie d’une manipulation. Sur le site de l’éditeur, le jeu s’est vendu comme des petits pains dans les heures qui ont suivi la décision de la Fnac. Sacré effet Streisand.

Jonathan Bouchet-Petersen

Un jeu antifasciste retiré du site de la Fnac dans Le Monde

mercredi 30 novembre 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde du 28 novembre 2022.

Un jeu « antifasciste » retiré du site de la Fnac après des protestations l’extrême droite

Pour expliquer ce retrait, la Fnac a reconnu que le jeu a pu « heurter » certains publics. L’auteur et l’éditeur affirment qu’il n’attente en rien à la légalité et dénoncent une « censure ».  

« Propos racistes, manifs homophobes, violences fascistes, ça suffit : contre l’extrême droite, à vous de jouer ! » C’est ce que propose Antifa, le jeu, qui était commercialisé sur le site de la Fnac… jusqu’à l’intervention, samedi soir, du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN).
« Ce “jeu” est en vente à la Fnac. @Fnac un commentaire pour ainsi mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations ? », a écrit samedi soir sur Twitter David Le Bars, secrétaire général du syndicat.
Réponse de la Fnac, dimanche soir : « Nous comprenons que la commercialisation de ce “jeu” ait pu heurter certains de nos publics. Nous faisons le nécessaire pour qu’il ne soit plus disponible dans les prochaines heures. » Le message est estampillé de la pastille bleue, qui en garantit le caractère officiel. De fait, le jeu n’était plus disponible, lundi, sur le site… et le groupe, manifestement embarrassé, était, lui aussi, aux abonnés absents. Sollicitée par Le Monde, une attachée de presse s’est contentée d’un « No comment » sans appel.
Avant le SCPN, plusieurs élus du Rassemblement national (RN) avaient déjà fustigé la Fnac pour la même raison. « Case 1 : “je bloque une fac” ; Case 2 : “je tabasse un militant de droite” ; Case 3 : “j’attaque un meeting du RN” ; Case 4 : “je lance un cocktail Molotov sur les CRS”. La Fnac, vous n’avez pas honte ? » , a tweeté dimanche Grégoire de Fournas, député RN de Gironde, qui s’est récemment distingué à l’Assemblée nationale en lançant : « Qu’il retourne en Afrique », lors d’une intervention de son collègue de la France insoumise (LFI), Carlos Martens Bilongo, au sujet des migrants recueillis à bord de l’Ocean Viking. Un épisode qui a valu au député RN quinze jours d’exclusion du Palais-Bourbon.

« La bonne nouvelle du week-end »

« Mettre à l’honneur les antifas, ces groupuscules haineux qui ne connaissent que la violence pour s’attaquer à notre démocratie et à ce que nous avons de plus cher dans notre pays… Absolument scandaleux ! », s’est lui aussi indigné aussi Victor Catteau, député RN du Nord, déclenchant une tempête de retweets indignés. « La bonne nouvelle du week-end ! », s’est-il réjoui lundi, après l’annonce du retrait. « La mobilisation a payé : la Fnac retire cet article », jubilait quant à lui Grégoire de Fournas.
De son côté, le SCPN s’est contenté d’un laconique « Merci ». Joint par Le Monde, son secrétaire général assure toutefois que le syndicat a remercié la Fnac pour sa réponse, pas pour le retrait, qu’il dit n’avoir jamais demandé.
Dans le premier tweet, à l’origine de la polémique, « on n’a pas dit que le jeu incitait à la violence, mais qu’il faisait l’apologie de groupuscules qui, eux, le font. Aujourd’hui, ce sont des mouvements qui eux-mêmes se présentent comme anticapitalistes, antiforces de répression, antiracistes, antihomophobie, etc. », souligne David Le Bars. « Les antifas, on les a de plus en plus souvent dans les manifestations et ce sont la plupart du temps eux qui sont à l’origine des dégradations », ajoute-t-il, assurant avoir pris connaissance des tweets des élus RN a posteriori. Ce dernier insiste sur l’apolitisme de son organisation syndicale.
Les 4 000 premiers exemplaires se sont écoulés en un mois, et la Fnac a vendu 15 % du total, selon Libertalia.
Le jeu en question, mis en avant le 6 novembre par « L’Eclaireur », le guide de recommandation de la Fnac, encourage-t-il effectivement à « tabasser » des militants de droite ou à s’attaquer aux forces de l’ordre à coups de cocktails Molotov ? Imaginé par La Horde, collectif antifasciste qui se dit « énervé, indiscipliné et solidaire », il a été conçu et utilisé pendant deux ans comme un outil de formation des militants, avant d’être commercialisé en septembre 2021 par les éditions Libertalia, ce qui avait déjà suscité l’indignation d’une partie de l’extrême droite. Les 4 000 premiers exemplaires se sont écoulés en un mois, et la Fnac a vendu 15 % du total, selon Libertalia.
Réédité début novembre sous une forme simplifiée, il propose aux joueurs d’incarner des militants chargés de déjouer les « exactions d’extrême droite » en leur opposant « une résistance de forces égale ou supérieure ». Ces exactions, présentées sous forme de cartes à jouer, sont notamment intitulées « Des fachos déclenchent une bagarre dans un bar », « Un couple gay agressé en pleine ville » ou « Un collectif de soutien aux migrants a besoin d’aide » et, pour y faire face, les joueurs disposent de 17 options telles que « Rencontre débat », « manifestation », « tractage » ou « action offensive ».

« Pas des gauchistes avec le couteau entre les dents »

« À aucun moment le jeu ne glorifie l’atteinte aux personnes »
« C’est un jeu de sensibilisation au militantisme dans toutes ses dimensions. Parfois, elles peuvent être purement symboliques, parfois elles sont plus concrètes », explique son auteur, qui se fait appeler Hervé, de la Horde. « La violence n’est pas totalement évacuée […], mais le moyen le plus violent proposé, c’est le “cacatov”, une bouteille pleine de caca. On n’a pas de problème avec l’action offensive, mais à aucun moment le jeu ne glorifie l’atteinte aux personnes. Il peut y avoir de l’atteinte aux biens, mais jamais aux personnes. Ce n’est pas l’antifascisme qu’on défend », insiste-t-il, accusant les détracteurs du jeu d’en parler sans rien en savoir et de chercher à diaboliser la « figure fantasmatique de l’antifa ».
« Nous ne sommes pas des gauchistes avec le couteau entre les dents. Notre jeu à nous est un jeu républicain, qui n’attente en rien à la légalité », affirme lui aussi Nicolas Norrito, cofondateur des éditions Libertalia et « animateur » de la librairie du même nom, à Montreuil, selon lequel tout a été fait pour qu’il soit inattaquable juridiquement. Se disant « meurtri » par la décision de la Fnac, il juge qu’elle en dit long sur l’état du débat politique et déplore qu’un grand groupe commercial se soit plié si facilement aux exigences du RN et d’un syndicat de policiers. « On est navré que la Fnac en soit là aujourd’hui, alors qu’elle a été cofondée par deux antifascistes, dont l’un – Max Théret – est allé combattre les troupes de Franco en Espagne en 1936. »
Il réclame en outre « une petite explication » au groupe sur la présence dans ses rayons réels ou virtuels des livres d’Alain Soral, figure de la « complosphère », ou de l’historien révisionniste Robert Faurisson ; une exigence largement relayée sur les réseaux sociaux. La Fnac n’en a donc pour le moment pas fourni, mais sur son site, en lieu et place du jeu, s’affiche désormais le message suivant : « La page que vous cherchez a disparu. Pas de panique, nos agents sont sur le coup… »

Jean-Philippe Lefief