Éditions Libertalia
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jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Publié dans Le Monde diplomatique, septembre 2024.
Deux scouts sont portés disparus sur le mont Quarzerone, anomalie géologique entre l’Apennin et les Alpes apuanes, théâtre de nombreuses apparitions inexpliquées. Deux ans plus tard, à Rome, le 16 mars 1978, le congrès des ovniologues italiens est perturbé par la nouvelle de l’enlèvement d’Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne. Qui, comment, pourquoi ? Toutes sortes de personnages vont surgir dans le récit, et enquêter. Une anthropologue, qui étudie les ufologues. Un ancien journaliste communiste, reconverti avec succès dans les ouvrages sur les événements inexplicables, qui veut éclaircir la disparition des deux scouts — et ce n’est sans doute pas un hasard s’il ressemble à François Truffaut, comédien dans le film Rencontres du troisième type, qui vient de sortir. Son fils, ancien toxicomane, est membre, avec sa compagne, fille d’un gros industriel finançant les courants les plus réactionnaires, d’une communauté pratiquant à sa façon l’interrogation critique — lors de « séances d’autoconscience ». Se mêlent aussi à l’histoire un « ufophile », marchand de disques underground, sa grand-mère, un peu sorcière, un garde-forestier, fin connaisseur de cette fameuse « montagne magique », des personnes recherchées par la police et encore quelques autres, qui d’abord se croisent avant que les liens entre eux ne se resserrent. Tous sont, chacun à sa manière, des « enquêteurs », porteurs de questions.
Il y a de quoi, dans cette « étude » sur la vague d’apparitions inédite d’objets volants en Italie, pendant les cinquante-cinq jours de la « Moro Seizure », et ses énigmes, qui impliqueraient la « raison d’État » et le réseau paramilitaire Gladio (1), en cette « année-bascule », qui voit la fin d’un grand mouvement anticapitaliste, parfois armé, et parfois instrumentalisé, comme le rappelle le traducteur Serge Quadruppani dans sa postface. Le lecteur lui-même se demandera souvent quelle part de vérité le collectif d’auteurs bolognais – ils sont aujourd’hui trois –, réunis sous le pseudonyme de Wu Ming, a utilisée… Dans une remarquable conjonction entre la forme et le propos, les auteurs émettent l’hypothèse que, l’imagination aidant à accepter le réel, ces narrations de diversion à propos d’objets volants mystérieux répondaient à un besoin d’enchantement face à un monde inacceptable dont on refusait d’admettre la réalité systémique : « Ils ont tous les yeux pointés vers le ciel. Ici-bas, c’est trop dégueulasse. »
Des clés sont disséminées de loin en loin, entre les lignes. Si la lecture préalable de l’indispensable Q comme qomplot. Comment les fantasmes de complots défendent le système (Lux, 2022) écrit par l’un des membres du collectif (Wu Ming 1) contribue certainement à les relier, cette préoccupation de démêler le fatras des fantasmes et des délires apparaît vite comme le fil conducteur de ce récit touffu qui ne laisse rien au hasard. Fiction, « vrai-faux roman historique et histoire alternative » pour citer Quadruppani ? Polar politique ? Le doute accompagnera le lecteur jusqu’aux ultimes pages tant les références à ces années déterminantes sont précises et documentées. En tout cas, à l’évidence, cet Ovni 78 est un remarquable « olni » (objet littéraire non…).
Ernest London
jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Publié dans Le Monde diplomatique (septembre 2024).
En 1843, la femme de lettres socialiste et féministe Flora Tristan (1803-1844) auto-édite Union ouvrière, qui exhorte les ouvriers et les ouvrières à s’organiser par et pour eux-mêmes. Elle récuse les réformateurs qui veulent les « enrégimenter » et ceux qui prônent l’émeute. Son objectif est d’« unir les classes ouvrières dans une seule et même union » afin de leur donner « le droit au travail (possibilité de manger), le droit à l’instruction (possibilité de vivre par l’esprit) ». Pour faire connaître ses idées, elle entreprend un tour de France. Elle accumule des notes dans chaque ville traversée sur l’état de la classe ouvrière, mais meurt sans l’avoir terminé. Elle annonce la création de l’Association internationale des travailleurs (à Londres en 1864) et l’action de militants comme Eugène Varlin qui préfigurent la politique d’autonomie ouvrière du syndicalisme français des origines. Cette édition, établie et annotée par Michèle Audin, est fondée sur ces notes préparatoires destinées à nourrir « Le Tour de France », qu’elle projetait d’écrire.
Charles Jacquier
jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Publié dans la revue La Déferlante, numéro 15, septembre 2024.
Depuis plus de dix ans, le collectif La Horde combat l’extrême droite sur le terrain. Dans un ouvrage pédagogique et accessible, ce mouvement antifasciste né en 2012 retrace l’histoire de cette lutte : plus qu’un mouvement en simple « réaction à », il s’agit d’une contre-culture et d’une force politique à part entière. Face à la banalisation de l’extrême droite et à sa percée dans les urnes, cet ouvrage clé en main appelle à une lutte intersectionnelle contre le sexisme, le racisme et toute forme d’oppression.
jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Publié sur En attendant Nadeau, le 2 août 2024.
Avec Armand Gatti. Théâtre-Utopie, Olivier Neveux, critique et enseignant de théorie théâtrale, livre enfin le grand et ambitieux essai qu’il préparait depuis plusieurs années sur cette œuvre singulière. Avec subtilité, Neveux passe sur le biographique, et notamment la polémique stérile qui entacha à partir de 1999 la figure de Gatti – il fut accusé par son ami Pierre Boulez d’avoir « affabulé » sa jeunesse, en se disant ancien « déporté » –, et part en quête du projet politique de l’auteur qui se déploie à partir de sa première pièce représentée, Crapaud-Buffle, en octobre 1959, mise en scène par Jean Vilar au théâtre Récamier. De là, à travers quatre grands chapitres, le chercheur propose une lecture qui entremêle cette œuvre aux multiples formes (théâtre, cinéma, ateliers…) et les lieux où elle « s’établit » : l’Allemagne de la RAF et de Meinhof, l’Irlande du Nord de l’IRA et de Bobby Sand, la Belgique, Saint-Nazaire et sa population ouvrière. Mais Olivier Neveux l’affirme clairement : « Gatti n’a pas défendu un théâtre engagé, au sens où tant d’autres l’entendent, sous la pression des événements : un théâtre, inchangé, à “contenants” similaires qui s’en irait investir de nouveaux contenus déterminés par l’urgence et l’indignation. Le théâtre doit être altéré, affecté par le monde nouveau qu’il escompte, le présent qu’il combat, le passé qui l’a espéré – “Nous avons été attendus sur la terre” (W. Benjamin). Il naît de la lutte plutôt qu’il ne la thématise. Et cette altération suppose que tout soit transformé : des modes de production, des formes de création aux personnages, auteur, dispositif, les rapports qu’ils induisent. »
Cette transformation incessante fut celle de la Parole errante. En mobilisant tout un appareil théorique qui ne se limite pas au théâtre – Gatti était si étranger à ce monde-là que, dans les années 1980, beaucoup de ceux qui avaient désormais le pouvoir se détournèrent de lui –, Olivier Neveux embrasse la philosophie et la pensée politique, pour pointer remarquablement la cible de l’œuvre de Gatti. À quoi cet auteur aurait-il donc occupé sa vie ? À quoi a-t-elle été dédiée ? L’auteur fait l’hypothèse, « forcément réductrice, car il ne saurait y avoir une seule réponse, qu’il a poursuivi, sous des formes et des mots différents, le projet politique d’abolir ou de supprimer l’histoire, à tout le moins de s’en dispenser ». Cette idée d’un dessein « anhistorique » est des plus éclairantes : « Sortir de l’histoire, cela veut dire qu’on y est jusqu’au cou, quels qu’en soient les dénis ou les inconsciences, pris dans ses guerres et ses narrations, avec ses enchaînements, ses “donc” et ses “ainsi”, ces mots qui en chevillent l’ordonnancement, qui coordonnent, rectilignent et excluent ». Et l’auteur d’expliquer que sortir de l’histoire ne signifie donc pas en ignorer la réalité ni les tragédies, les échecs. Bien au contraire, Gatti fait une place cruciale aux persécutions, aux déportations et à l’extermination.
Toute l’œuvre partirait de là. Elle n’aurait presque porté que sur cette question : « ce que l’Humanité a fait de l’humanité ». Le dramaturge aurait ainsi été toujours en quête d’une forme, non pour le nommer ou le commenter, mais pour le « dire ». Grâce au travail d’Olivier Neveux, on comprend ce qui relie La Voix qui nous parle n’a pas besoin de visage et La Traversée des langages, cette recherche absolue et sans concession du « dire » le silence.
Philippe Artières
jeudi 5 septembre 2024 :: Permalien
Larzac ! parmi les 13 coups de cœur du Monde au Festival d’Avignon , publié le 17 juillet 2024.
Technique, concrète et inspirante : la conférence documentaire menée par Philippe Durand s’appuie sur les entretiens que l’acteur et auteur a eus avec des habitants du Larzac. Assis derrière sa table, l’artiste reproduit au mot et à l’intonation près les propos de femmes et d’hommes rencontrés. Il fait ainsi surgir un mode de vie et un rapport au travail à contrecourant du productivisme et du libéralisme. Sur le plateau du Larzac, la terre appartient à l’État, les paysans ne sont que de passage. Ils s’installent, travaillent aux champs, élèvent les bêtes, et puis s’en vont. D’autres prennent alors la relève. Ces agriculteurs ont inventé un écosystème vertueux dont l’ADN est la gestion collective et le respect du bien commun. On quitte la salle, éclairé par le récit net et précis de ces expériences qui ont su faire de l’utopie une réalité.
J.Ga.