Le blog des éditions Libertalia

Une culture du viol à la française dans Neon

lundi 25 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Neon, le 21 février 2019.

« Tant qu’on sera convaincus que les violeurs, c’est les autres, on n’avancera pas »

Valérie Rey-Robert, militante féministe et auteure du blog de référence Crêpe Georgette, publie aujourd’hui le livre Une culture du viol à la française, du troussage de domestique à la liberté d’importuner. Interview.
 
Son blog Crêpe Georgette fait partie des références françaises en matière de féminisme. Souvent énervé, toujours érudit, il décortique, références à l’appui, les stéréotypes patriarcaux qui infusent la société, du traitement de l’affaire Cantat aux attaques sexistes dans certaines plaidoiries d’avocats, en passant par les complicités qui ont permis les agissements d’Harvey Weinstein. La semaine dernière, elle a analysé pour nous les ressorts de la Ligue du Lol dont elle fut victime.
Aujourd’hui, elle sort son premier livre : Une culture du viol à la française, du troussage de domestique à la liberté d’importuner. Dans cet essai dense et fouillé, on retrouve son art de pointer nos fausses représentations, ici sur ce crime endémique et mal appréhendé : le viol.
Ce phénomène si fréquent, on a collectivement choisi de le ranger dans la case « dérives de psychopathes ». Valérie Rey-Robert n’a que faire de ce confort mental, et démonte cliché après cliché cette culture ancrée qui consiste à estimer que la victime n’est jamais assez pure, le violeur toujours un peu excusable.
Si elle retient un peu la virulence qui fait le charme de ses posts, c’est pour en remettre une couche sur la pédagogie : des chiffres, des études, du concret. La réalité, elle la résume ainsi : «  Le violeur est un conjoint, un ami, un cousin, un thérapeute, notre acteur ou notre chanteur préféré, un supérieur ou un collègue, un SDF comme un PDG. Bref, il n’a aucune caractéristique particulière. »
Elle a bien voulu nous en dire plus sur son ouvrage et sur le message qu’elle tient à faire passer.

Vous démontrez que la culture du viol est mondiale, qu’elle n’est pas le fait d’une société en particulier. Pourquoi alors parler de « culture du viol à la française » ?
C’est vrai que dans la plupart des pays, on mélange la culture du viol et le sexe. On part du principe que la relation entre un homme et une femme se déroule sous le prisme de la domination. Mais ici en France, on est le seul pays qui convoque mille ans d’histoire pour justifier que les violences sexuelles font partie de l’identité nationale, sous couvert de « galanterie ». D’ailleurs, si vous regardez le traitement de l’affaire DSK en 2011 (le futur candidat à la présidentielle est accusé de viol par Nafissatou Diallo, femme de ménage au Sofitel de New York, ndlr), il y a eu dans les discours de ses défenseurs une comparaison très fréquente entre les féministes qui dénonçaient ses agissements et ceux qui dénonçaient les Juifs pendant la guerre. Comme si en dénonçant ses agissements on était des traîtres à la nation, parce qu’on porterait atteinte à un bastion du patrimoine français. C’est ce que défendent Sophie de Menthon ou Élisabeth Levy ; ce sont des femmes de droite telles que les définit Andrea Dworkin.

Vous n’avez pas l’impression que les mentalités commencent à évoluer ?
Les choses ont changé, oui, par rapport à 2011. Mais ce qui est frappant c’est que les mêmes éditorialistes sont là pour déblatérer les mêmes contrevérités. Et les réactions françaises des politiques après #MeToo sont très frappantes. La première réaction du Premier ministre est de dire, “mais quand même la séduction”, et Macron parle de fausses déclarations de viol. Les fausses déclarations c’est un fantasme qui existe partout. L’argument de la séduction menacée, c’est typiquement français.

Votre livre est très pédagogique, il redéfinit des concepts féministes de base. Le but était de s’adresser à un maximum de monde ?
À part Sorcières de Mona Chollet, l’exception qui confirme la règle, ces livres restent dans la sphère militante. Les féministes lisent plein de livres féministes et c’est très bien ! Mais le viol n’est pas un problème de féministes, c’est un problème de société. Tant qu’on sera convaincus que les violeurs, c’est les autres, notre discours continuera de changer quand c’est notre pote, notre père, etc. On est toujours dans l’abstraction quand on parle de viol ; un viol concret n’en est jamais vraiment un. Tant qu’on n’aura pas admis notre ambivalence sur ce sujet, on n’avancera pas. Ils disent tous « Faut tuer les violeurs », mais quand on est confrontés à un vrai viol, la victime n’a jamais eu la bonne attitude. Même sur l’affaire Natascha Kampusch, des gens ont réussi à estimer qu’elle n’avait pas bien réagi ! Comme au Moyen Âge, il semblerait que la seule bonne manière d’être violée est d’en mourir.

C’est ce que vous pointez : à quel point notre conception du viol repose sur des fantasmes, à la fois sur les victimes et sur les auteurs.
Un point intéressant, c’est la manière dont les hommes mettent à distance les violeurs en les désignant comme dévirilisés. Cette idée selon laquelle ceux qui violent ne seraient pas des « vrais mecs ». Alors que si, ce sont bien des hommes virils qui violent. Les discours qui consistent à réaffirmer la virilité sans la questionner, comme de dire « les hommes qui violent ne sont pas des vrais hommes », ne servent à rien. 

Vous faites référence à de nombreuses études mais la plupart sont américaines. J’imagine que tous les chiffres ne sont pas transposables tels quels à la situation en France.
J’ai fait de la transposition des statistiques car ça ne fait pas de mal d’en avoir qui émanent d’un autre pays occidental, et on manque cruellement d’études sur les violeurs en France. Pour moi l’étude prioritaire, elle est là : sur les violeurs non détectés, pas seulement chez ceux qui ont été arrêtés et condamnés. Ce sont des chiffres biaisés, avec une surreprésentation des hommes pauvres et racisés. Les chiffres globaux sur les auteurs de viols disent ceci : les violeurs sont souvent des récidivistes. Et les viols s’accompagnent en général d’autres violences, sur les enfants, du harcèlement, etc. Il serait intéressant d’étudier ces profils pour lutter contre le phénomène. Actuellement on a des enquêtes de victimation mais ça ne suffit pas : on ne peut pas savoir si deux femmes ont été victimes du même mec.

On a beaucoup parlé zone grise du consentement au moment de #MeToo. Vous citez une étude de 1999 qui m’a frappée : une analyse des attitudes et mots des jeunes femmes face aux invitations sexuelles. L’étude montre qu’elles expriment leur refus de manière polie, mais claire : « pas cette fois », « pas pour le moment »… Ça montre que ce qu’un homme est capable d’entendre quand il propose un dessert, il ne l’entend plus quand il s’agit de sexe.  
Exactement. Les femmes disent non, ce sont les hommes qui ne veulent pas entendre. C’est pourquoi les campagnes de sensibilisation autour du « non c’est non » ne sont pas adaptées, elles ne recouvrent pas la réalité du viol. Dans mon livre, je fais référence à cette étude qui s’est intéressée à une équipe de foot qui scandait des slogans anti-viol, type « Yes means yes », « no means no »… En interrogeant les membres de cette équipe sur leurs comportements sexuels, sans faire référence au mot viol, les auteurs de l’étude se rendent compte qu’eux aussi ont commis des viols, en réalité, sans en avoir conscience.

Il y a un point de votre discours qui diverge de la plupart des féministes. Elles disent en général que le viol et le sexe sont deux choses différentes, que le viol consiste à asseoir son pouvoir sur l’autre, mais n’a rien à voir avec le désir sexuel. Vous n’êtes pas d’accord…
Oui, je pense qu’il y a un continuum entre le sexe et les violences sexuelles. Bien sûr que le viol c’est l’exercice du pouvoir, mais le sexe aussi. Pourquoi le sexe s’extrairait magiquement des dynamiques de pouvoir qui existent partout ailleurs ? Il faut lire Christine Delphy. Elle dit qu’on a tout étudié, les dynamiques connexes au sexe, mais on ne s’est pas attaqué au sexe hétérosexuel. Or il n’y a qu’à entendre la question du langage. Se faire baiser, c’est se faire avoir. Il faut questionner la domination homme-femme telle qu’elle est pensée.

Quelles sont les solutions ?  
Si on parle de sensibilisation, j’aime bien cette campagne canadienne qui montre une nana inconsciente à moitié à poil et la question qui s’affiche au-dessus : « As-tu envie d’être ce gars ? » 

Pauline Grand d’Esnon

Panaït Istrati dans Les Lettres françaises

vendredi 22 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Les Lettres françaises, janvier 2019.

Istrati, amant de la liberté

À la nuit tombée, Adrien Zograffi part avec son oncle couper les roseaux dans les marécages du delta du Danube : « De temps en temps, des vols d’oies et de canards sauvages, dénichés et épouvantés dans leur sommeil par cette visite nocturne, prenaient l’air avec de grands battements d’ailes. Au clair de lune, Adrien les contemplait avec émotion ; une forte envie le prenait de leur crier : “Prenez-moi aussi avec vous !” »
Ce vertige que lui donne l’horizon, c’est cela qui va le rapprocher de Codine, un colosse, redoutable et rebelle, bouleversé par l’amitié de cet enfant comme lui épris d’absolu et de liberté. Lorsque Codine emmène Adrien chasser les oies sauvages, le jeune garçon est submergé par l’envie de se jeter à l’eau : « La vaste étendue d’eau frémissante sous la lune et bordée de rives mystérieuses me faisait croire que la terre avait subi un nouveau Déluge et que nous étions les seuls êtres restés vivants au monde. »
Cet appel de l’ailleurs, du large, a le même caractère impérieux que celui que décrit le Marius de Marcel Pagnol : « Ce n’est pas moi qui commande… Lorsque je vais sur la jetée, et que je regarde le bout du ciel, je suis déjà de l’autre côté. Si je vois un bateau sur la mer, je le sens qui me tire comme avec une corde. » Adrien comprend que cette fièvre ne s’éteindra pas. À la mort de Codine – une fin violente, atroce, inéluctable, – Adrien part à son tour.
Codine appartient au cycle des aventures d’Adrien Zograffi, « oiseau voyageur », « amant de la Méditerranée », double littéraire de son créateur, Panaït Istrati, auteur roumain qui a toujours écrit en français. (Istrati a appris le français par ses propres moyens, en côtoyant les grands auteurs, et l’on ne peut qu’admirer la maîtrise que cet autodidacte en a acquise.) Codine constitue le point de départ de cette saga inspirée de la vie vagabonde d’Istrati, écrivain nomade dont les périples représentent plus une quête de liberté et de poésie que d’action.
Panaït Istrati, figure célèbre de la littérature « prolétarienne » des années 1920-1930, avait sombré dans un certain oubli, pour des raisons essentiellement politiques. C’est sa connaissance intime de la misère et de l’injustice qui l’avait mené au communisme. Un voyage en URSS sonna la fin de ses illusions. Sa critique du régime lui valut de rudes attaques et l’amena à rompre douloureusement avec d’anciens amis. Mais l’antisoviétisme qu’il développa par la suite s’accommoda assez bien de son goût de la liberté, qu’il plaçait au-dessus de tout. Il n’est sans doute pas un hasard que ce soit aujourd’hui des maisons d’édition de tendance libertaire qui le ressortent de ce purgatoire immérité : L’Échappée a republié Méditerranée à l’été 2018, et Libertalia vient de faire reparaître son Codine en fin d’année dernière.
Dans notre monde où les frontières se resserrent, il est bon d’entendre à nouveau la voix d’Istrati, éternel exilé à la recherche de l’Autre  : « Quand tu seras grand, je ne serai plus qu’un souvenir pour toi. Sache donc ceci : l’étranger est une ombre qui porte son pays sur le dos. Cela ne plaît pas aux patriotes et c’est pourquoi l’étranger est partout un homme de trop. »

Sébastien Banse

Le Gros Capitaliste dans la revue N’Autre École

vendredi 22 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans la revue N’autre École, hiver 2019, n° 11.

Dans la nouvelle qui donne son titre au volume, Traven raconte dans un conte à la fois naïf et pragmatique, la tentative d’un financier pour faire de « l’Indien » un producteur intensif. Le « seul bénéfice qu’il retira de la subtile conférence à la haute signification économique de l’Américain fut d’apprendre qu’un homme est capable de parler pendant des heures pour ne rien dire ». Un petit bijou !
Parmi les quatre textes, ma préférence va cependant à Administration Indienne et démocratie directe où un chef indien du Chiapas est intronisé sur une chaise placée au-dessus d’un pot de braises… afin « de lui rappeler qu’il n’y est pas installé pour se reposer mais pour travailler pour le peuple ». Une fable politique à lire et à relire !
Ce court recueil ouvre la porte à l’œuvre toujours indispensable et toujours brûlante de Traven. Lire, chez le même éditeur, la réédition de sa biographie par Rolf Recknagel du rédacteur du journal Der Ziegelbrenner (Le Fondeur de briques), du militant de la république des conseils de Bavière en 1919 et de l’écrivain « chantre des revendications égalitaires des populations indienne ».

F. S.

Rosa Parks, Mon histoire dans la revue N’Autre École

vendredi 22 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans la revue N’Autre École, hiver 2019.

Rosa Parks, une vie de lutte

On connaît le plus souvent Rosa Parks pour son acte de résistance dans le bus, durant la ségrégation aux États-Unis, lorsqu’elle a refusé de céder sa place à un Blanc et qu’elle a été arrêtée pour cela. Mais avec ce livre, elle a voulu retracer tout son parcours militant, qui ne commence pas en 1955, mais bien avant. Dans son enfance, déjà, lorsqu’elle refuse de se laisser faire par un jeune garçon blanc qui la malmène, ou encore lorsqu’elle prend conscience, à l’âge de 6 ans, des différentes formes que prenait la ségrégation et de la peur dans laquelle les adultes noirs vivaient constamment.

Avec Rosa Parks, nous replongeons donc dans les années 1920-1960 aux États-Unis, avec tout ce que cette période comporte de tragédies et de ségrégation violente et révoltante. Un élément qui m’a marquée en particulier, et que j’ignorais : le retour de guerre des soldats noirs, méprisés et violentés parce qu’ils osaient porter leur uniforme en public. Enfin, il n’est pas désagréable de nous retrouver, le temps de quelques pages, aux côtés de toutes celles et tous ceux qui ont participé aux combats contre la ségrégation raciale, de sentir leur courage et la force de leurs convictions : les travailleurs et les travailleuses qui ont boycotté les bus des semaines durant, préférant marcher à en user leurs chaussures pour se rendre à leur travail ; les personnes blanches ostracisées ou menacées lorsqu’elles prenaient parti contre la ségrégation ; les grands orateurs, etc. Tout cela nous rappelle que les combats sont souvent longs et âpres, mais indispensables.

J.T.

Action directe, les premières années, dans CQFD

vendredi 22 février 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans CQFD n° 169, octobre 2018.

Au moment où sort Dix ans d’Action directe (Agone), de Jean-Marc Rouillan, les éditions Libertalia publient un livre moins imposant, intitulé Action directe, les premières années. Œuvre de l’universitaire Aurélien Dubuisson, il se penche sur l’ancrage historique des premières actions du groupe, leur insertion dans un esprit du temps, alors porté sur le fumigène, le squat et la violence en manif. Mais il pointe également l’incompréhension qu’ont pu susciter certaines actions plus tardives, même chez les proches du mouvement, prélude à la scission de 1982, qui verra la fraction la plus radicale d’AD de plus en plus isolée. « Se mettre en avant et dire aux gens ce qu’il faut penser, ça m’insupporte » s’emporte ainsi un témoin cité dans le livre. « La brochure Pour un projet communiste, c’est une manière de dire : ‘’C’est ça et pas autre chose.’’ La suite d’Action Directe, c’est exactement pareil : ‘’Nous on a raison, vous avez tort.’’ C’est ne pas tenir compte du fait que le mouvement est hétérogène. »