Le blog des éditions Libertalia

Grèves et joie pure, dans les Cahiers Simone Weil

jeudi 10 novembre 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Grèves et joie pure dans les Cahiers Simone Weil, septembre 2016.

On trouve dans ce recueil plusieurs textes datant de l’année 1936 : « La vie et la grève des ouvrières métallos » (signé S. Galois, dans La Révolution prolétarienne du 10 juin 1936. Repris en brochure, sous le titre Sur le tas. Souvenirs d’une exploitée par les Cahiers de la Terre libre, 15 juillet 1936, cet article faisait partie du recueil La Condition ouvrière, paru en 1951) ; « La victoire des métallos » (projet d’article) ; « Quelques réflexions sur les suites de la déclaration de Salengro » (La Révolution prolétarienne du 10 août 1936), et « La déclaration de la CGT » (Le Libertaire, 23octobre 1936). Des notes rédigées par les éditeurs éclairent événements et noms évoqués. Rappelons que ces textes figurent dans les Écrits historiques et politiques (OC II 2).
Charles Jacquier rappelle dans sa préface qu’en 1936 S. Weil a « déjà écrit plusieurs articles remarqués dans des revues de gauche et d’extrême gauche », le plus connu étant Perspectives (publié par La Révolution prolétarienne, le 25 août 1933), remarqué et critiqué en son temps pour le « pessimisme » que son auteur y manifestait, selon certains camarades de lutte. D’autres l’on admiré (Marcel Martinet et Boris Souvarine, cités p. 9).
Après avoir retracé l’itinéraire de S. Weil entre 1934 et 1936, l’auteur revient aux « prémices des textes » rassemblés (pp. 11 sq.) en insistant notamment sur les expériences (ouvrière, visite d’usine) dont elle tire la substance de « La vie et la grève des ouvrières métallos ». Cet article est sous-tendu par la notion essentielle de force (pp. 12-13). Jacquier confronte alors la position de S. Weil aux « deux visions différentes qui coexistaient chez les militants révolutionnaires de ces années-là » (pp. 13 sq.) : celle de Trotski et celle de Pierre Monatte. Comme ce dernier, S. Weil insiste sur le « côté novateur de la grève, avec ses occupations d’usine et l’ambiance de joie » dans laquelle elles ont lieu. Sur ce côté novateur, Jacquier convoque également les syndicalistes René Lefeuvre et Édouard Berth (pp. 15-17).
Enfin, Jacquier observe que Simone Weil est l’une des premières à signaler, en août 1936, l’« action du Front populaire pour circonvenir de nouvelles grèves avec les conséquences néfastes que cela aura nécessairement », tout comme elle s’inquiète du « manque de fermeté des organisations ouvrières » (p. 17). La mise au pas par Vichy des syndicats sera un « aboutissement naturel, inévitable de ce changement d’esprit » (L’Enracinement, cité par C. J., p. 18). L’auteur insiste, pour finir, sur le fait que la relecture de ces textes permet de mieux comprendre que « derrière la mythologie des conquêtes ouvrières octroyées par un “bon” gouvernement de gauche, ces dernières ont été en fait gagnées par les travailleurs eux-mêmes grâce à la grève générale et à l’action directe » (p. 19). Sur ce point également, les leçons pour aujourd’hui « ne sont pas mince », glisse Jacquier.
P.-S. Puisqu’il est question de l’éditeur Libertalia, nous avons plaisir à signaler la nouvelle édition du témoignage d’Antoine Gimenez, Les Fils de la Nuit. Souvenirs de la guerre d’Espagne (2 vol. et un CD-Rom sous coffret, 998 p., au prix très doux de 22 €). L’appareil de notes, par « les Giménologues » – ainsi se nomme l’équipe d’historiens qui a établi ce superbe ouvrage – est « absolument colossal », comme le signalait André Loez, qui a donné une recension dans le supplément « Livres » du Monde (1er juillet dernier). Simone Weil est souvent évoquée par A. Gimenez. Patrick Drevet avait consacré une chronique à la première éd. de l’ouvrage (éd. L’Insomniaque et les Giménologues, 2006) dans les CSW XXXII-4, décembre 2004, pp. 541-545.

Robert Chenavier

Le Maître insurgé, dans Télérama

jeudi 10 novembre 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension du Maître insurgé parue dans Télérama du 26 octobre.

Freinet toujours à la page

Alors que l’on commémore les 50 ans de la mort de Célestin Freinet, père de la fameuse pédagogie qui porte son nom, ses écrits sont réédités [1]. Restent-ils pertinents ? « Bien sûr ! Son esprit est même plus que jamais d’actualité, car ce n’est pas une méthode figée, mais un mouvement qui propose, quelles que soient l’époque ou la société, des savoirs en action », expliquent Grégory Chambat et Catherine Chabrun, enseignants et fondateurs du collectif Questions de classe(s), à l’origine de la publication de ces textes. Expression libre des enfants, imprimerie au sein des écoles pour éditer des journaux, correspondance entre établissements... Freinet voulait aider les élèves à comprendre et à transformer le monde, pas seulement leur apprendre à lire, écrire et commenter.
Autre grande spécificité des « écoles Freinet » : être des établissements de la République, gratuits et agréés par l’éducation nationale. « à la différence de biens des courants dits "de pédagogie alternative", on les trouve la plupart du temps dans les quartiers populaires. Ce ne sont pas des écoles de la réussite individuelle, mais des espaces où l’on s’entraide pour apprendre, et où les enfants sont des acteurs de leurs apprentissages plutôt que des consommateurs de savoir. »

Lorraine Rossignol

[1Célestin Freinet, Le Maître insurgé. Articles et éditoriaux, 1920-1939, éd. Libertalia, 10 €.

Le Roi Arthur, sur le site Temps présents

jeudi 10 novembre 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Usages du roi Arthur, sur le site « Temps présents ». Publié le 6 novembre 2016.

William Blanc nous offre avec Le Roi Arthur, un mythe contemporain (Paris, Libertalia, 2016) un ouvrage fort intéressant et surtout fort complet des usages savants et populaires du mythe arthurien depuis l’époque médiévale. Pour ce faire, son ouvrage adopte un plan chrono-thématique très pratique, qui rend la lecture aisée. Préfacé par le médiéviste Jean-Clément Martin, il est décomposé en onze chapitres (« Arthur, du Moyen âge à l’Angleterre victorienne » ; « Mille et un Yankees à la cour du roi Arthur » ; « La chevalerie arthurienne américaine » ; « Camelot et les années Kennedy, l’avènement du roi démocratique » ; « La bataille d’Angleterre. À la recherche de l’Arthur historique » ; « Arthur et le Graal contre le monde moderne et marchandé » ; « Excalibur. Merlin contre-attaque » ; « Néosorcières et femmes guerrières. L’arthuriana contemporain et les questions de genre » ; « Les super-héros : un mythe néoarthurien » ; « Mondialisation ludique. Le roi Arthur pour tous » ; « Arthur, no future ? »), qui comportent pour certains d’entre eux des annexes qui ne sont, malheureusement pas mentionnées dans le sommaire (l’une d’entre elles est d’ailleurs consacrée au « Roi Arthur et le nazisme »). Il est également agrémenté d’une riche iconographie commentée, qui illustre le propos de l’auteur, d’un glossaire et de solides références bibliographiques (notes de bas de pages et chapitre bibliographique).

À la lecture de cet ouvrage, et il s’agit de l’un de ces nombreux points forts, nous apprenons que le mythe arthurien fut très utilisé, à la fois pour consolider la monarchie anglaise (au Moyen Âge lors de la guerre de Cent ans), pour consolider des pratiques identitaires (construction de l’identité galloise par exemple au XIXe siècle), des pratiques nationalistes (justification de la constitution de l’Empire britannique) ou xénophobes (avec l’écrivain T.H. White), mais également touristiques (au Pays de Galles toujours). Parallèlement à ces usages, le mythe arthurien fut utilisé dans la culture populaire occidentale, avec des romans (dont un de Mark Twain, Un Yankee du Connecticut), des bandes-dessinées (Prince Vaillant), des films (dont Sacré Graal des Monthy Pythons, Star Wars de Lucas et évidemment l’Excalibur de Boorman), des chansons (les Who, Led Zeppelin ou les Kinks), ou des séries télévisées (Merlin), ainsi que dans la fantasy, un registre de la littérature fantastique, qui invente un Moyen Âge alternatif fait de Dragons, de sorcières et de magie, et dont le principal représentant est J. R.R. Tolkien.

L’auteur montre aussi l’usage antimoderne fait du cycle arthurien, apparu à la fin de la Grande Guerre, nostalgique et baignant dans un rejet de la technique et des ravages de la crise de 1929. Cette nostalgie des sociétés fermées touche aussi bien des auteurs de gauche comme Steinbeck que des auteurs fascisants comme Eliot. Les pages sur la redécouverte du mythe arthurien par les contre-cultures sont également très éclairante quant à l’appropriation de ce mythe par les hippies, qui lui donne un aspect « réactionnaire-progressiste » : Arthur devient le prétexte à la condamnation de la société industrielle des Trente Glorieuses finissantes et à la promotion des modes « traditionnelles » de vie (en fait surtout une idéalisation des pratiques antiques), que nous retrouverons dans le néopaganisme et l’écologie radicale. Ces milieux se sont d’ailleurs nourris de fantasy et son Moyen Âge préindustriel et surtout prémoderne, fait de magie. Cette volonté de réenchantement du monde est au cœur de l’usage contemporain du mythe arthurien.

William Blanc nous offre avec ce livre une belle synthèse, précise et agréable à lire, des usages passés et contemporains du mythe arthurien. Un petit bémol toutefois, lié à notre formation : nous aurions aimé un développement plus important des usages politiques de celui-ci, ce mythe étant très fortement mobilisé par les formations politiques d’extrême droite (nous pensons, par exemple, à sa mobilisation récente par le Bloc Identitaire lors de l’université d’été des 11/16 août 2014 qui était intitulé « Un mythe pour une nouvelle chevalerie. D’Excalibur au Graal »). Nous restons aussi un peu sur notre faim quant au chapitre sur la néo-sorcellerie, les utilisations de la figure de la sorcière Morgane par les Wiccas n’étant que très peu approfondies. Mais ne boudons pas notre plaisir : ce ne sont que des chipotages de spécialiste… Ce livre est vraiment excellent.

Stéphane François

Les Fils de la nuit, dans L’Ours

vendredi 28 octobre 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension parue dans le journal L’Ours n°461, septembre-octobre 2016.

Guerre d’Espagne :
Mémoires du front libertaire

Au départ, les Mémoires d’Antoine Gimenez, un militant anarchiste italien qui s’est battu en Espagne. Il s’appelait en fait Bruno Salvadori. Né en 1910 dans les environs de Pise, il quitte l’Italie pour la France avant ses vingt ans. Vivant de menus larcins, pour éviter un nouvel emprisonnement il passe en Espagne, où il écope d’une nouvelle condamnation. Il réussi à changer d’identité alors que la guerre commence. C’est là que s’ouvre le « journal » d’Antoine Gimenez édité par Libertalia, celui d’un des combattants du groupe international de la colonne Durruti, la milice anarchiste qui a combattu sur le front d’Aragon. Il s’agit en fait de souvenirs rédigés à Marseille entre 1974 et 1976. Mais, l’homme a une bonne mémoire et se souvient parfaitement de ce qu’il a vécu quarante années plus tôt. Nombre de souvenirs sont intacts et exacts, les « giménologues » ayant tout vérifié pour confirmer et de rares fois infirmer ses propos.
La deuxième partie de l’ouvrage est constituée par toutes les recherches complémentaires, les extraits des témoignages des autres militants ayant pu évoquer des faits analogues. Les Mémoires décrivent la constitution du groupe international, une communauté des exclus et des exilés s’étant constituée (Italiens, Russes, Cubains, Allemands, Algériens, Français, etc.), la majeure partie d’entre eux ne parlant pas le moindre mot d’espagnol. Quelques femmes sont présentes. Bien que son séjour ait été bref, la postérité a surtout retenu celle de Simone Weil, brûlée accidentellement alors qu’elle préparait des œufs sur le plat. Cinq femmes sont mortes dans les combats en octobre 1936. Les riches annexes reproduisent entre autres le journal de Mimosa, le surnom de Georgette Kokoczynski dont le propos est terrible sur la violence et les conditions de la guerre civile. Née à Paris en 1908, Georgette a vécu avec le responsable libertaire Fernand Fortin avant de se rapprocher de la mouvance pivertiste. Elle rejoint cependant la colonne Durruti le 4 octobre 1936 et meurt dans les combats 12 jours plus tard, à 29 ans.
Plusieurs militants s’imposent à la tête du groupe : l’ancien capitaine Louis Berthomieu qui meurt en même temps que Mimosa lors d’une contre-offensive nationaliste et les deux Charles, Ridel et Carpentier, figures marquantes de l’anarchisme. Gimenez décrit également ses autres camarades, des anarchistes combattant aux côtés des internationaux : comme Lorenzo Giua étudiant plusieurs fois blessés, mort au combat en 1938 ou ces Espagnols participants aux combattants de la colonne ou accueillant ces combattants comme des frères. Le journal n’omettant pas non plus d’évoquer la violence des combats.

Suite à la première édition des Mémoires de Gimenez et des débats qui ont suivi en France, en Espagne et en Italie, les Giménologues ont poursuivi leur recherche, rencontré nombres de témoins et décidé de publier un nouveau volume à partir de témoignages de militants sur l’Aragon libertaire et le rôle crucial de la ville de Saragosse dans l’imaginaire et dans l’implantation de mouvement anarchiste espagnol. Pour mémoire, la CNT, centrale syndicale à l’emblème noir et rouge, a tenu son congrès dans lequel elle réunifiait les tendances éparpillées de la centrale et proclamait le communisme libertaire comme fin, en mai 1936 dans cette ville. À travers six témoignages qui auraient pu donner chacun matière à un livre tant ils sont denses et passionnants, l’ouvrage retrace les traditions libertaires de la ville, qui perdurent clandestinement même après la victoire de Franco. Puis, il revient sur les milices anarchistes en Aragon et sur leur rôle pendant les premiers mois du conflit. Parallèlement, il se penche à travers des témoignages sur la mise en commun des terres, le partage entre les ouvriers des usines et les conflits liés à la militarisation des milices et à la progression de l’influence communiste dans l’Espagne républicaine. Ces militants ont poursuivi leur combat dans la retirada puis l’exil et souvent la Résistance en France, avec toujours l’espoir de voir renaître ce qui au dire de tous a constitué les plus beaux jours de leur vie.

Ces deux sommes qu’offrent les Giménologues sont des spécimens de recherche à l’état brut. Mémoires d’un militant, correspondances et documents d’archives s’y côtoient pour compléter le journal d’Antoine Gimenez. Comme si cela ne suffisait pas, Libertalia a ajouté à la réédition du journal un volume nourri des recherches complémentaires sur la région de Saragosse et un CD audio du journal lu.

Sylvain Boulouque

À la mémoire de Benjamin Péret

vendredi 28 octobre 2016 :: Permalien

Benjamin Péret.

Publié dans Socialisme ou Barbarie, en décembre 1959.

À la mémoire de Benjamin Péret

Notre camarade et ami Benjamin Péret n’est plus. Avec lui, le mouvement révolutionnaire a perdu, en septembre 1959, un des rarissimes esprits créateurs qui ont, toute leur vie durant, refusé de monnayer leur souffle en argent, prix Goncourt ou Staline et cocktails chez Gallimard. Péret restera pour nous un exemple, car il a garanti ses idées par son existence non seulement en quelque circonstance exceptionnelle, mais jour après jour, pendant quarante ans, par son refus quotidiennement renouvelé d’accepter le moindre compromis avec l’infamie bourgeoise ou stalinienne.

La presse bourgeoise et « progressiste » avait tenté de l’enterrer sous son silence pendant qu’il était vivant ; elle a encore essayé de mutiler son cadavre en parlant de lui, à l’occasion de sa mort, comme si Péret n’avait été qu’un littérateur. Mais ce qu’est la « littérature » pour ces Messieurs, était aux yeux de Péret une abomination. Il était resté, avec André Breton, un des rares surréalistes du début pour qui le surréalisme avait intégralement gardé son contenu révolutionnaire, une négation non seulement de telle forme de la littérature, mais de la littérature et du littérateur contemporain comme·tels. La révolution dans la culture était pour lui inséparable de la révolution dans la vie sociale et inconcevable sans elle. Et cette unité de la lutte pour la libération spirituelle et matérielle de l’homme n’est pas restée chez Péret un vœu ou une profession de foi. Elle a pénétré à la fois son œuvre d’écrivain et sa vie. Militant au Parti communiste lorsque celui-ci méritait encore ce nom, il s’est très tôt rallié à l’Opposition de gauche rassemblée autour de Trotski. Combattant pendant la guerre d’Espagne, il a été conduit par l’expérience du stalinisme dans les faits à réviser les idées de Trotski et à comprendre qu’il ne subsistait plus rien, en Russie, du caractère prolétarien de la révolution d’Octobre. Il a été ainsi amené à critiquer violemment les positions du trotskisme officiel, dans Le Manifeste des Exégètes, brochure publiée en 1945 à Mexico. Après sa rupture avec le trotskisme, survenue définitivement en 1948, il a continué, avec des camarades français et espagnols, ses efforts pour la reconstruction d’un mouvement révolutionnaire sur de nouvelles bases.

Il nous a paru que nous ne pouvions pas mieux honorer sa mémoire qu’en reproduisant ici Le Déshonneur des poètes, publié à Mexico en février 1945 et qui est resté à peu près inconnu en France. Car en montrant dans ce texte comment les valeurs les plus élevées de la poésie et de la révolution, loin de s’opposer, convergent, en montrant comment la prostitution au chauvinisme a conduit les Aragon et les Éluard à la fois à trahir le prolétariat et à revenir aux canons bourgeois de la beauté, Péret y exprime à la fois la vérité de sa propre vie et ce qui de cette vie doit rester pour nous un exemple impérissable.