Le blog des éditions Libertalia

L’Avènement du sans-abri, dans L’Histoire

vendredi 26 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans L’Histoire, (mars 2016).

Au lendemain de la Commune de Paris, des philanthropes catholiques et conservateurs pensèrent mettre au point une nouvelle méthode pour éradiquer le chômage, la misère, le vagabondage et la criminalité : ouvrir des asiles de nuit pour accueillir ces déshérités et les réintroduire dans la société. Les premiers asiles de nuit sont créés à Marseille, puis à Paris, et l’action est coordonnée par l’œuvre d’hospitalisation de nuit. Dans ce livre, issu de sa thèse, Lucia Katz retrace l’histoire de cette « utopie sociale ». Les centres parisiens suscitent l’engouement. Les procès-verbaux de l’œuvre et quelques témoignages permettent de connaître les conditions d’accès, les normes de fonctionnement et le statut des personnes hébergées dans ces maisons. Laver, nettoyer, loger pendant trois nuits au maximum des personnes sans-abri, hommes seulement d’abord, puis femmes et enfants, nourrir un peu, soulager du froid et de la faim sont les objectifs des asiles. Le dernier chapitre montre le succès et l’utilité de l’assistance (plus de 2,2 millions d’entrées entre 1871 et 1910), et ses limites. Le court séjour de nuit ne peut suffire à supprimer ni la pauvreté ni le chômage, et l’œuvre, laïcisée, presque étatisée, est en perte de vitesse à la veille de la Première Guerre mondiale.

Interview de Jean-Pierre Levaray sur Mediapart

jeudi 18 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien paru le 13 février 2016 sur le site Mediapart.
Par Antoine Perraud.

Jean-Pierre Levaray :
« J’écris pour dire que les prolos sont encore là »

Rencontre avec un ouvrier de l’industrie chimique qui s’est fait le scribe lucide et combatif des jours comptés de la condition prolétarienne : Jean-Pierre Levaray.

Jean-Pierre Levaray est un ouvrier honoraire de l’industrie chimique. Né en 1955, il a travaillé de 1973 à 2015 dans une usine à Grand-Quevilly (76), du groupe Grande Paroisse (site Seveso hanté par le spectre AZF), passée entre les mains de Total puis du cartel autrichien Borealis. Délégué syndical CGT mais de sensibilité libertaire, Jean-Pierre Levaray écrit. Une littérature de témoignage. Souvent lugubre : « C’est déprimant de bosser dans une usine en fin de vie. » Avec des éclairs comiques. Et des portraits qui prennent à la gorge. Ou des silhouettes étonnantes, comme André : « Il est sans doute l’un des seuls à écouter Radio Classique ou France Musique dans l’habitacle de son engin. C’est pas qu’il soit véritablement fan de Mahler ou de Chostakovitch, c’est plutôt son côté punk, comme pour dire merde à ceux qui pensent que les prolos ne peuvent s’éclater que sur Bigard ou Rire et chansons. »
Jean-Pierre Levaray a toujours refusé d’être chef (il a des mots cruels et justes sur les salariés qui se laissent manipuler, récupérer, larbiniser, au prétexte d’un titre hiérarchique). Impliqué, mais de biais. Il a tenu chronique pendant dix ans, de 2005 à 2015, pour un journal de résistance (pas du genre qu’on regarde à peine chez le dentiste) : le « mensuel de critique et d’expérimentations sociales » CQFD (« Ce qu’il faut dire, détruire, développer »…). Les éditions Libertalia viennent de les regrouper sous le titre : Je vous écris de l’usine.
Cet auteur est l’un des écrivains étudiés par l’universitaire Corinne Grenouillet dans un ouvrage dont Mediapart a rendu compte : Usines en textes, écriture au travail (Classiques Garnier). Jean-Pierre Levaray est un narrateur accompli. On lui doit, en 2002, Putain d’usine (éd. L’insomniaque et Agone), devenu documentaire, ensuite adapté en BD (éd. Petit à Petit, illustrations d’Efix). Citons aussi, entre autres, Du parti des myosotis ou Tranches de chagrin (éd. L’insomniaque). Ou encore Tue ton patron (éd. Libertalia), devenu roman graphique avec dessins d’Efix (éd. La Martinière). Il a même composé une pièce de théâtre : Des nuits en bleu (éd. Monde libertaire).
Sa prose est différente. Âpre, directe, sensible et pugnace, sans rien cacher du désespoir ambiant. Lire Levaray, c’est se dire que la littérature peut non seulement expliquer le monde, mais aider à le transformer. Un viatique par temps de crise, pour ne pas mourir courbés. Nous avons rencontré à Rouen l’écrivain, retraité depuis l’an dernier, qui parle toujours de « la boîte » au présent. Il est comme ses textes : direct, franc, souriant sans la moindre courtoisie dégoulinante, heureux d’être lu mais pas guetté par le syndrome de la vedette. Homme à part, néanmoins homme parmi les hommes. Entretien…

Souvent vous évoquez le café, que les ouvriers prennent ensemble en touillant leur cuillère…

Jean-Pierre Levaray : Il y a trois lieux essentiels : l’atelier, la salle de contrôle et, à côté, le réfectoire. C’est là où on se retrouve tous, une fois qu’on est en bleu et si tout fonctionne normalement. Alors on parle. C’est un sas, qui permet de quitter son lieu de vie. On se met en train. C’est un petit moment de communion. C’est un endroit stratégique, où l’on se retrouve en début de poste : à 5 heures du matin, à 13 heures, à 21 heures. La hiérarchie n’est pas là – elle est absente au matin ou en soirée et déjeune au moment du quart de 13 heures. C’est notre lieu à nous. Autour d’un café et de plus en plus d’un thé ou d’une autre boisson : il y a des évolutions…

Est-ce un acquis que vise à abattre le capitalisme devenu effréné ?

Avec l’open space, un tel endroit convivial est forcément bousillé. Reste la cafétéria, mais ce n’est pas pareil qu’un réfectoire attaché à chaque atelier. Petit à petit, on a tout eu dans notre réfectoire : on a commencé avec une table et un évier, puis est venu le frigo, puis le four à micro-ondes, puis le lave-vaisselle. On a même eu notre cuisine intégrée.
Les directions successives essaient de rogner, mais elles n’y arrivent pas. Leur but serait que d’une salle de contrôle on gère plusieurs ateliers, mais les séparations subsistent, ainsi que les réfectoires séparés. Ça se fera peut-être, cette unification, mais pour le moment, c’est râpé.

Est-ce un lieu neutre ? Y a-t-il des sujets tabous au réfectoire ?

Ça dépend des équipes et des chefs d’équipe. Normalement, on parle de tout, de foot comme d’actualité. On parle bien sûr du travail s’il le faut, s’il y a un problème, mais c’est un lieu à part. J’ai écrit une pièce de théâtre qui se passe dans le réfectoire. Et en plus la nuit, où l’on parle encore plus d’autre chose : Des nuits en bleus.

Vous évoquez une « soupape de sécurité » : la journée d’action syndicale…

Quand ça marchait – ça ne marche plus trop –, la journée d’action syndicale permettait de faire monter la colère légitime des salariés : on allait manifester, on était content, même s’il fallait reprendre à zéro le lendemain. Aujourd’hui, les soupapes de sécurité se font rares. Les gens sont plus individualisés dans le travail et plus individualistes dans leur façon d’être.
Les comités d’établissement étaient des soupapes, mais les gens n’ont plus envie, par exemple, de partir ensemble à Paris voir une pièce de théâtre. Avant, nous y allions à deux cars. Aujourd’hui, il y a une quinzaine de personnes au maximum.

Les vacances pour patienter et la retraite comme apothéose restent-elles les dernières soupapes ?

Avec pendant longtemps la fermeture de la boîte, qui permettait aux plus anciens de partir plus tôt et avec un petit pécule. Cette génération ayant disparu de la vie active, les plus jeunes ne sont plus dans une telle attente : à quoi bon rejoindre les 5 millions de chômeurs ? Mais se réaliser dans son travail n’est plus à l’ordre du jour, en tout cas dans l’industrie.

Avez-vous connu cette époque de glorification du travail, dont le PCF était le vecteur ?

Oui, quand j’ai commencé en 1973, il y avait la cellule Jean-Valentin. Je me suis syndiqué puisque mon père était syndiqué. Ça m’a fait drôle de tomber sur des communistes très durs, sûrs d’eux. Mais ils savaient se bagarrer contre le patron : je n’ai jamais revu des gens comme ça, qui allaient à l’affrontement, au moins verbal. Avec ça, quelle intransigeance sectaire : quiconque n’était pas de leur côté était un ennemi ! Même entre eux, ils se bouffaient le nez à propos de la ligne du parti. Et moi, j’étais à leurs yeux le gaucho de service : vous n’imaginez pas.
Il y avait un mec qui nous faisait écouter en boucle des cassettes de Georges Marchais pendant la nuit au travail. D’autres, plus terre à terre, espéraient sortir de l’usine grâce au parti, qui pourrait leur proposer un poste de permanent.

Quel était leur état d’esprit ?

Ils voulaient un pouvoir de type soviétique. Les dissidents n’existaient pas pour eux. Je me rappelle avoir travaillé avec un vieux de la vieille. Il avait fait un voyage en Allemagne de l’Est : pour lui, c’était le top. Il avait été enthousiasmé et il voulait qu’on soit comme là-bas.
Mais ici, sur place, les mecs faisaient trembler les patrons. Il suffisait qu’on les appelle en cas de problème dans une boîte et ils rappliquaient avec leurs gros bras, pour virer des cadres ou autres. J’en ai vu s’attaquer seuls à des flics. J’aurais jamais osé faire ça : tenir tête à des CRS. J’ai vraiment vu ça…

C’était encore une période de plein emploi ?

Oui, juste avant la crise. On pouvait changer de boîte, après avoir ou non claqué la porte. J’ai intégré l’usine avec des copains de bahut à la pelle, nous n’avons été que deux à y rester jusqu’au bout. Les autres sont partis au bout de quatre à six mois. Pour d’autres boulots…

Qu’est-ce qui vous a fait rester ?

Eh bien, je n’en sais rien ! Mais mine de rien, même si je critique le travail, c’est un boulot qui m’intéresse quand même : dompter des machines, c’est prenant ; et la chimie m’attirait, même si j’ai depuis compris qu’on s’est bien empoisonné sous une telle emprise…
En plus, j’ai toujours été syndiqué. C’est le syndicalisme qui m’a fait tenir. Et surtout, comme je faisais les quarts, j’ai pu me consacrer à des activités extérieures : j’ai fait de la musique, je me suis occupé de journaux, j’ai participé à la librairie associative L’Insoumise à Rouen. Je prenais sur mon sommeil, mais je me réalisais dans des activités culturelles…

La suite sur www.mediapart.fr/journal/culture-idees/130216/jean-pierre-levaray-jecris-pour-dire-que-les-prolos-sont-encore-la

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[Pour poursuivre la lecture de cet entretien, nous ne pouvons que vous recommander de vous abonner à Mediapart. Merci à Antoine Perraud pour avoir autorisé la reproduction de l’extrait présenté ici]

Je vous écris de l’usine, dans le Canard enchaîné

mercredi 10 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Le Canard enchaîné du 10 février 2016.

Non merci, patron !

L’homme est en colère et il ne s’en cache pas. On n’écrit pas des livres intitulés Putain d’usine (2002) ou Tue ton patron (2010) sans disposer d’un minimum de hargne. Il faut dire qu’en quarante-deux années de labeur dans une usine longtemps affiliée à Total cet ouvrier syndicaliste, tendance anar, a engrangé un matériau considérable en matière d’exploitation capitaliste. Il était en première ligne et n’est pas prêt de pardonner. « Je suis plutôt du genre à mordre la main qui tient ma chaîne », explique-t-il.
Jean-Pierre Levaray ne se cantonne pas à cette rage contre le patronat et ses « bénéfices immoraux ». Quand il parle de l’usine, du turbin quotidien, il met d’abord en avant ce qui subsiste d’humain : la fraternité entre collègues, les moments volés aux patrons et les luttes sociales.
C’est bien ce qui ressort de Je vous écris de l’usine, recueil de textes publiés de 2005 à 2015 dans le combatif mensuel de critique sociale CQFD : alors que le travail se fait chaque jour plus pesant et l’ambiance plus tendue, l’espoir ne s’éteint jamais totalement.
« Pour écrire sur l’usine, il faut la vivre de l’intérieur, la renifler avec ses tripes » écrit en préface Marcel Durand, autre ouvrier écrivain. C’est bien le cas de Jean-Pierre Levaray. Au cours de ses longues décennies d’atelier, il a vu le travail évoluer et les catastrophes s’enchaîner. AZF, amiante, licenciements, ce tropisme morbide est tatoué dans sa chair, sans que cela empiète sur sa combativité : « Se mettre en grève ouvertement contre la direction générale, c’est dire “NON chef !” c’est jouissif. » Et, quand l’abattement pointe à l’horizon, c’est l’humour et la fraternité qui l’emportent : « Que faire ? » s’interrogeait Lénine. « On reprend de la purée », lui répond Lulu.

Émilien Bernard

Paris, bivouac des révolutions dans la revue des Amis de la Commune de Paris

lundi 8 février 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

À l’heure où nous venons de recevoir la nouvelle édition de Paris, bivouac des révolutions, nous en découvrons une recension parue dans le n° 60 (4e trimestre 2014) du trimestriel La Commune et signée par Paul Lidsky, auteur d’un livre qui fit date et que n’avons jamais cessé de recommander : Les Écrivains contre la Commune (Maspero puis La Découverte).

Ce livre est écrit par Robert Tombs, professeur au Saint John’s Collège de Cambridge, un des grands spécialistes en Grande-Bretagne de la Commune. Cette version française d’un livre publié à Londres en 1999 a été mise à jour et tient compte de tous les ouvrages historiographiques écrits depuis dans une synthèse très éclairante.
Dans le droit fil des travaux de Jacques Rougerie, auquel le livre est dédié, l’auteur s’efforce d’étudier la Commune à hauteur d’hommes, dans une recherche apaisée ne s’embarrassant pas des mythes et des idéologies. Tombs montre d’abord comment l’événement du 18 mars a été spontané et inattendu. Quelques mois plus tôt, en août 1870, les blanquistes, croyant à une situation révolutionnaire, tentèrent de déclencher une insurrection : ils mobilisèrent soixante militants et ce fut un échec complet. De même en octobre, mais les circonstances vont modifier le contexte.
Rien n’aurait été possible sans la guerre franco-prussienne et les conditions épouvantables du siège qui ne cessèrent de se détériorer : le taux de mortalité fut multiplié par quatre (42 000 morts durant le siège) ; il y eut une paupérisation massive des couches populaires et moyennes, ce qui accentua l’inégalité sociale dans Paris. Deux autres éléments furent déterminants pour expliquer ce qui allait suivre : un patriotisme d’autant plus exacerbé que les Parisiens prenaient conscience que leurs dirigeants étaient capitulards et un républicanisme d’autant plus ardent qu’ils voyaient que la république démocratique et sociale dont ils rêvaient était gravement menacée par l’Assemblée nationale qui venait d’être élue (plus de 400 royalistes).
Les provocations de Thiers et sa désertion de Paris allaient faire le reste.
Pour l’auteur, la Garde nationale de Paris a eu aussi un rôle essentiel : 340 000 hommes avec 280 000 fusils, c’était le peuple en armes. En effet, à l’occasion du siège de Paris, pour combattre les Prussiens, tous les hommes valides furent mobilisés par quartiers et apprirent au fil des mois à se connaître et les solidarités de voisinage furent décisives dans leur engagement dans la Commune : cela permet de comprendre pourquoi certains insurgés, sans expérience militante, ont cependant combattu jusqu’à la mort.
Tombs, au plus près des communards, redonne ainsi à l’événement sa complexité, ses contradictions, sa richesse et sa fraîcheur. Il montre aussi que certains visages de la Commune (libertaire ou autoritaire) ne furent pas contradictoires, mais successifs au fil des événements.
Dans le même état d’esprit, dialoguant avec les diverses thèses développées dans des ouvrages récents, il aborde de nombreux sujets : la place et le rôle des femmes, prolétariat ou peuple, aurore ou crépuscule, le chiffrage des victimes de la Semaine sanglante, l’éducation et la culture, etc.
Documenté, d’une lecture didactique, mais aisée et claire (le livre a été écrit au départ pour des étudiants), posant des questions nouvelles et apportant parfois aussi des réponses nouvelles, ce livre est une synthèse ouverte et stimulante qui montre que la Commune continue à passionner les historiens de tous les pays et à nous poser beaucoup de questions.

Paul Lidsky

Pédagogie et Révolution, dans Le Monde diplomatique

jeudi 28 janvier 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Pédagogie et révolution (Grégory Chambat) dans Le Monde diplomatique, février 2016.

Dans l’esprit de Montaigne – « éduquer, c’est allumer un feu » – et de Fernand Pelloutier – « Instruire pour révolter » –, cet ouvrage s’attaque au mythe de l’école de Jules Ferry et revient sur l’apport du syndicalisme révolutionnaire aux pratiques éducatives. Il souligne le divorce entre le monde ouvrier et l’État sur l’éducation, avant de proposer une relecture des auteurs de la pédagogie libératrice : Francisco Ferrer, Paulo Freire, Ivan Illich, Célestin Freinet… et Simone Weil, pour qui la « prise de possession » de « l’héritage de la culture humaine », c’était « la révolution elle-même ». Grégory Chambat – lui-même enseignant – aborde aussi de grandes expériences éducatives, comme celle des Bourses du travail d’avant 1914 ou celle des révolutionnaires espagnols de 1936. Il reprend enfin les analyses d’auteurs contemporains comme Pierre Bourdieu ou Jacques Rancière. Cette approche sociale de la pédagogie permet de sortir de l’actuelle (fausse) querelle entre « réac-publicains » et pédagogistes.

C.J.