Le blog des éditions Libertalia

Paris, bivouac des révolutions, sur Mediapart

mardi 15 juillet 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Paris, bivouac des révolutions (Robert Tombs) parue sur Mediapart (10 juillet 2014), un excellent article signé par Jacques Dubois.
http://blogs.mediapart.fr/edition/bookclub/article/100714/la-commune-nest-pas-morte

La Commune
n’est pas morte

La Commune de Paris fut un moment unique, qui conserve un immense prestige auprès de ceux qui aspirent à l’existence d’un socialisme vraiment démocratique. Et pourtant elle ne fut qu’une convulsion de quelques mois qui commença dans le chaos et se termina tragiquement par un massacre, la Semaine Sanglante. C’est au point qu’il est difficile pour les historiens d’en rassembler tous les morceaux et d’en dégager la portée, pourtant universelle.

Sur le sujet et venant après d’autres tentatives comme les travaux de Jacques Rougerie, paraît aujourd’hui en traduction française (la version anglaise est de 1999) un passionnant ouvrage de Robert Tombs, Paris, bivouac des révolutions. La Commune de Paris. Livre magnifique par l’effort de synthèse qu’il représente comme par la distance qu’il prend avec l’événement. Non que Tombs ne soit pas en sympathie avec cet énorme épisode social, politique et militaire que fut la Commune, mais parce qu’il prend le parti de démythifier l’événement sous plusieurs aspects. C’est d’abord qu’il se livre à un examen serré des faits sans craindre de montrer ce qui les rend incertains ou peu glorieux. C’est ensuite qu’il manifeste le souci constant de dégager le sens général et largement symbolique de ce qui fut un épisode en tout point mémorable.

Mais du présent livre retenons avant tout ceci, qui est primordial : même si elle est l’héritière de la Commune de 1792, la Commune de 1871 est une sorte d’isolat complet dans le temps et l’espace. Elle ne généra rien d’équivalent à l’époque ou par après ; elle couvrit le seul périmètre parisien et essentiellement ses quartiers populaires (Montmartre, Belleville, La Villette) ; elle avait contre elle tout ensemble l’armée prussienne d’invasion, le gouvernement de Versailles et son armée, la province française, rurale et conservatrice. Et, en dépit de tout cela, elle réussit à exister pendant des mois, se dota d’une armée (la Garde nationale) et d’un comité de salut public. Et si bien que la violence d’État comme violence légitime se retrouva entre ses mains. Et surtout elle parvint à faire exister une conception de la démocratie directe en appui sur un peuple en armes. On notera que Robert Tombs, reprenant une de ses sources savantes, parle de la lutte menée par les communards comme d’une « guerre de sécession ». Oui, Paris coupé du monde mais qui, par son action de courte durée, se fait le modèle de toutes les insurrections qui, par après, seront inspirées par l’idée grandiose de « Commune ». Ce qui ne veut pas dire, précise Tombs, qu’elle fût communiste, malgré les agitateurs blanquistes et les membres de l’Internationale qui l’animaient.

Par ailleurs, on retiendra du volume un motif fort et récurrent. Alors que l’extrême gauche restait fortement minoritaire dans le mouvement, quantité de Parisiens entrèrent dans celui-ci par l’effet d’entraînement que suscitait l’inscription toute locale de l’action : dans le vaste Paris, on formait groupe à même un immeuble, une rue, un quartier, en termes de solidarité vivante. Et, dans cette contagion, fut essentiel le rôle des femmes, qui incitaient à s’unir, veillaient à l’intendance, donnaient l’exemple. Ces femmes ne furent ni des pétroleuses ni des prostituées, comme les Versaillais voulurent le faire croire, mais plus simplement et plus glorieusement, en participant aux débats des clubs, en étant au four et au moulin (dans tous les sens), elles fondaient un type nouveau d’égalité entre les sexes.

Mais d’où provenaient les fédérés ? Du peuple ou du prolétariat ? Tombs est à nouveau passionnant à suivre sur ce point. Paris n’était pas une ville de grosse industrie. Donc les insurgés venaient de la petite entreprise et de l’artisanat et pouvaient même être à l’occasion de petits patrons. De plus, les communards, c’était aussi des journalistes et des artistes (de Jules Vallès à Gustave Courbet) ou bien encore de ces êtres professionnellement hybrides tel ce Pottier, à la fois chansonnier (il est l’auteur de L’Internationale), dessinateur sur soie et propriétaire d’un établissement de bains publics.

Ce fut donc un miracle que de voir s’unir pendant le temps d’une courte révolution une population des plus disparate. De grandes idées confuses l’unissaient et, comme l’écrit Tombs, «  le communard s’identifiait simultanément comme républicain, révolutionnaire, patriote, socialiste, parisien et internationaliste » (p. 250). Plus pratiquement, un pouvoir si temporaire et si instable veilla toujours à ce que ceux qui militaient et combattaient reçoivent pour eux et les leurs un salaire et de quoi manger, malgré les difficultés d’approvisionnement. Ce fut aussi miracle qu’au plus fort d’une guerre toute civile on vit fonctionner un comité de salut public valant gouvernement mais récusant les hiérarchies abusives et se réclamant de Proudhon : « La République idéale telle que les communards la concevaient, écrit Robert Tombs, était une forme de démocratie directe, où le peuple entendait exercer la souveraineté, plutôt que de la déléguer, où les représentants n’étaient que tolérés par les représentés. » (p. 241)

Et cependant tout était loin de bien fonctionner. Ainsi, du côté des hommes en armes, on pouvait s’ivrogner solidement, faire preuve d’indiscipline, déserter. Mais c’est pour d’autres raisons que tout devait mal finir et que Paris connut, selon la formule de Rougerie, «  la plus vaste entreprise de répression dans l’histoire de France » (cité p. 363).

Et pourtant, comme Vallès l’écrivait pour le temps de l’événement, « quoi qu’il arrive et dussions-nous être à nouveau vaincus et mourir demain, notre génération est consolée ». Ou bien encore, comme le disait en chanson Eugène Pottier, et cette fois pensant à l’avenir : « Tout ça n’empêch’ pas Nicolas, qu’la Commune n’est pas morte ».

Jacques Dubois

La subversion pédagogique

mardi 15 juillet 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien avec Grégory Chambat publié par « Le Café pédagogique » (8 juillet 2014).
Voir en ligne sur www.cafepedagogique.net

La subversion pédagogique

Interview de Grégory Chambat

L’école de Jules Ferry entendait s’opposer aussi bien à l’école religieuse qu’à l’école « du peuple » imaginée par les communards et le mouvement ouvrier. Grégory Chambat est enseignant en collège depuis 1995. Depuis quinze ans, il exerce dans un collège de Mantes-la-Ville (Yvelines) auprès d’élèves non-francophones. Militant syndical (CNT-éducation), il est membre du comité de rédaction de la revue N’Autre École, et du collectif d’animation du site Questions de classe.

Comment présenteriez-vous la subversion pédagogique à des enseignants ?

L’idée de la « subversion pédagogique » recouvre une double réalité. Il s’agit, d’une part, de voir en quoi les différents pouvoirs subvertissent et « récupèrent » un certain nombre de principes issus des pédagogies populaires et les détournent à leur profit (par exemple, les notions de compétences, d’autonomie, de travail en groupe). C’est le premier volet d’une réflexion en phase avec les débats très vifs qui traversent – et divisent les mouvements pédagogiques, mais aussi les syndicats et les salles des maîtres ou des profs…
Mais il ne s’agit pas de s’en tenir à des lamentations ou à une posture de stricte défense de l’institution. La compétition, la concurrence, l’individualisme, l’évaluation ne sont hélas pas des créations du néolibéralisme : ce sont aussi des éléments constitutifs du système éducatif français, et ce, depuis sa création. On ne peut donc défendre l’école publique face aux menaces de marchandisation ou de privatisation sans la critiquer, en paroles mais aussi en actes. C’est le second sens de cette subversion : comment, collectivement et à notre échelle, dans notre quotidien d’enseignants et d’enseignantes, pouvons-nous « subvertir » l’institution et ses méthodes afin de mettre en œuvre d’autres pratiques pédagogiques, non plus au service de la reproduction et de la légitimation des inégalités sociales ou d’une perspective de « pacification sociale », de domination et de contrôle mais avec une ambition émancipatrice.
Il s’agit alors de travailler sur les contradictions et les ambiguïtés d’une institution dont Freinet disait déjà qu’elle était « fille et servante du capitalisme » mais dans laquelle la pédagogie qu’il a inspirée a toujours pensé qu’elle avait sa place, avec les enfants du peuple, pour y défendre et y pratiquer une « autre éducation » – ce que nous appelons « n’autre école ».

Quelle différence faites-vous entre la pédagogie de la subversion dont vous parlez et les pédagogies contestataires issues de Mai 68 ?

Plus qu’une « pédagogie de la subversion » qui consisterait à remplacer un contenu conformiste par un autre contenu « anticonformiste », nous pensons que c’est dans le choix des méthodes et des pratiques pédagogiques que se construisent l’émancipation, l’accès à l’autonomie et aux savoirs. Ce choix d’une éducation libératrice des classes dominées s’inscrit dans une histoire collective et dans l’analyse critique des projets d’éducation et des enjeux de société qu’ils contiennent.
La référence à Mai 68 est le plus souvent le fait des diatribes réactionnaires sur l’école. C’est d’ailleurs un contresens historique : ce que ces esprits conservateurs reprochent à Mai 68 – les revendications d’égalité et de démocratie (mixité, accès de toutes et tous aux études secondaires, etc.) – lui sont antérieures et correspondent à un mouvement de fond. Cet acharnement contre Mai 68 vise à occulter le fait que ce fut surtout un formidable mouvement populaire, avec ses acquis sociaux. Comme à chaque fois que les dominés se sont révoltés contre l’ordre établi, ils se sont posé la question de l’éducation et de la pédagogie : ce fut le cas sous la Commune de Paris ou, plus près de nous, avec l’insurrection zapatiste au Chiapas. Quand les luttes sociales et les luttes pédagogiques convergent, il y a subversion.
Les modèles du passé n’ont cependant de valeur que s’ils sont réactualisés : par exemple il peut exister une « subversion des Tice ». Une des idées de ces subversions est de rendre l’élève acteur et auteur de ses apprentissages et non plus simple spectateur ou consommateur. C’est, d’une certaine manière, un renversement du rôle de l’école de la République : n’oublions pas que Jules Ferry, en promulguant ses lois scolaires, déclarait vouloir « clore l’ère des révolutions ». Son école « pour le peuple » socialement ségrégative, entendait s’opposer aussi bien à l’école religieuse qu’à l’école « du peuple » imaginée par les communards et le mouvement ouvrier.

Peut-on être enseignant, fonctionnaire de la République, rémunéré par l’État, respectable, inspectable et pédagogue libertaire (anarchiste) ?

Le choix de travailler dans l’institution scolaire et de tenter d’y mettre en œuvre d’autres pratiques pédagogiques est l’une des caractéristiques de l’histoire de la contestation de l’école en France. C’est lorsque les premiers instituteurs syndicalistes, malgré la répression, ont choisi de rejoindre les organisations ouvrières, au début du XXe siècle, que l’idée d’un travail au sein de l’école publique s’impose.
Dans la fameuse circulaire du 20 septembre 1887 signée par le ministre de l’Instruction publique Eugène Spuller, interdisant aux enseignants de se syndiquer, on peut lire ce passage : « L’autonomie des fonctionnaires a un autre nom ; elle s’appelle l’anarchie ; et l’autonomie des sociétés de fonctionnaires, ce serait l’anarchie organisée ». C’est en particulier pour rester au contact des enfants du peuple et de leurs familles, mais aussi pour y contrecarrer la propagande nationaliste et l’enseignement de l’obéissance, que ces militants font le choix de rester dans l’école publique. « L’école émancipée », telle est leur ambition, et ce sera le credo et le nom de leur revue, fondée en 1910, mêlant l’actualité des luttes sociales dans et hors de l’école, les revendications professionnelles et l’expérimentation pédagogique.
Quant au quotidien d’un enseignant, il est traversé par des contradictions – tout comme l’institution elle-même est marquée par ses ambiguïtés – c’est aussi la raison pour laquelle les pratiques pédagogiques alternatives vont de pair avec les luttes syndicales. Il s’agit toujours d’essayer de mettre en cohérence ce que l’on dit, ce que l’on revendique et ce que l’on fait. Et c’est un combat essentiellement collectif.

Parfois, ne vous suspecte-t-on pas de pédagogisme ? Ne vous reproche-t-on pas de surdéterminer son rôle par rapport aux déterminants sociétaux et aux origines objectives des élèves ?

Le mot « pédagogisme » a été forgé par les réac-publicains. Il est absurde de penser que la question qui se pose aujourd’hui serait de choisir entre une école « avec » ou « sans » pédagogie… L’école traditionnelle met assurément en place une pédagogie en conformité avec des choix de société : la sélection, la compétition, l’élitisme, la hiérarchie… et, non seulement elle renforce les inégalités sociales mais également elle les légitime, c’est ce modèle qui séduit tant les nostalgiques de l’école d’antan.
En revanche, il est vrai que la question sociale est la grande absente de la querelle entre les « républicains » et les « pédagogues ». Ces derniers, pour diverses raisons, ont déserté le terrain des luttes sociales. Pour sortir de cette impasse, il importe de penser et de réfléchir une « pédagogie sociale », c’est-à-dire une pédagogie démocratique, attentive à combattre les inégalités sociales et qui œuvre à un véritable partage des savoirs qui est aussi une forme de partage des richesses.

Peut-on vous définir comme un militant sur le terrain ?

Toutes les questions qui ont traversé l’histoire de l’école restent encore des chantiers qu’il convient de poursuivre. C’est l’objectif de la revue N’Autre École, qui se propose d’explorer ces pistes de réflexion en partant toujours de la parole de ceux et celles qui sont sur le terrain. Après dix ans d’existence, nous venons d’ailleurs de publier un ouvrage collectif qui esquisse une synthèse de ces travaux : Changer l’école, de la critique aux pratiques aux éditions Libertalia.

Propos recueillis par Gilbert Longhi

Paris, bivouac des révolutions, dans Histoire National Geographic

mardi 15 juillet 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Paris, bivouac des révolutions (Robert Tombs) parue dans Histoire National Geographic, juillet-août 2014).

Paris, commune d’une révolution imprévisible

Cette traduction du livre de Robert Tombs sur la Commune est une belle idée. Introduite par l’historien Éric Fournier, cette étude déjà classique se présente comme un des récits les plus complets et intelligents de la dernière révolution du XIXe siècle, longtemps présentée, à la suite de Marx, son observateur contemporain, comme la première révolution prolétarienne. De mars à mai 1871, des milliers d’hommes et de femmes ont vécu une expérience politique unique dans une ville en guerre contre le gouvernement républicain, fraîchement installé à Versailles, la ville des rois. Pendant ce temps, l’armée prussienne, qui venait de défaire le Second Empire, jouait le rôle d’une spectatrice passive devant une insurrection qui virait à la révolution et à la guerre civile, prenant une ampleur et des résonances totalement inattendues à Paris, mais aussi dans plusieurs villes de province et même dans le monde colonial. S’ouvrant sur une synthèse aussi claire que remarquable, le livre de Robert Tombs donne la part belle aux acteurs les plus simples et anonymes de ce « temps des cerises » vécu comme un moment d’exception, fait d’utopies, d’expériences inédites et se terminant lors de la Semaine sanglante (21 au 21 mai 1871) dans ce qui reste le plus grand massacre de civils de tout le XIXe siècle. Tournant le dos au manichéisme, passant en revue toutes les interprétations successives, Tombs parvient à restituer l’intelligence et l’incertitude des Communards, de leurs ennemis et des autres, installant l’image d’un volcan parisien, secouant régulièrement l’histoire depuis 1789…

Guillaume Mazeau

Une interview de Matthias Bouchenot pour La Horde

mardi 15 juillet 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Une interview de Matthias Bouchenot (Tenir la rue) publiée sur le portail antifasciste La Horde.

Pourquoi s’être intéressé au service d’ordre de la SFIO des années 1920-1930 et pas à
celui de la CGT ou du PCF ?

Les services d’ordre de la CGT et du PCF font déjà l’objet de plusieurs études scientifiques, avec notamment les travaux d’Isabelle Sommier sur la CGT ainsi que ceux de Sylvain Boulouque et de Georges Vidal sur le PCF. Par ailleurs, si je me suis intéressé spécifiquement à l’autodéfense socialiste lors de cette période d’entre-deux-guerres, c’est aussi parce qu’elle relève d’une expérience originale et aboutie. C’est particulièrement le cas pour les « Toujours prêts pour servir » (TPPS) et les Jeunes Gardes socialistes (JGS), les deux structures principales de l’autodéfense socialiste en région parisienne. Confrontée successivement au PC et aux ligues nationalistes, elle évolue entre noyau de milice révolutionnaire et services d’ordre légaux. Dans ces années marquées par une forte conflictualité politique et sociale, il n’est pas inintéressant de se pencher sur ces structures qui concernent des centaines – voire des milliers de militants – et qui ont fait l’objet d’importants débats au sein de la SFIO.

Sur quelles sources as-tu travaillé ?

Je me suis aussi bien appuyé sur les textes de congrès et les articles de presse que sur les archives personnelles des dirigeants socialistes ou sur celles de la préfecture de police de Paris. Je n’ai pas négligé les Mémoires de militants socialistes de cette période et j’ai eu la chance de m’entretenir avec Eugène Boucherie, l’un des derniers acteurs de cette expérience. Il était militant aux Jeunes Gardes socialistes de Paris en 1935. Sur la question des sources, j’ai été confronté à trois types de difficultés. La première est que la SFIO n’a pas la culture bureaucratique de la trace écrite et n’a pas forcément eu le réflexe de ficher toute l’activité de ses groupes d’autodéfense, à l’inverse du PCF par exemple. Ces archives socialistes sont de toutes façon réduites à peu de choses, ayant été partiellement détruites en 1940 puis saisies par les Allemands, avant de passer plusieurs décennies à Moscou… pour finir par revenir en France. Bref, il restait encore à les classer pour partie, au moment où je les étudiais. La seconde difficulté est liée au passage de la SFIO au pouvoir et au relâchement de la surveillance policière sur les activités socialistes. La dernière est évidemment la nature souvent illégale de l’activité de l’autodéfense qui n’incite pas à s’embarrasser de preuves. Je pense cependant avoir réuni les éléments nécessaires pour tracer les contours d’une histoire de l’autodéfense socialiste dans les années 1930.



On a du mal à se l’imaginer aujourd’hui, mais la violence politique était 
bien plus importante à cette époque qu’à l’heure actuelle. Peux-tu
 nous parler un peu des mœurs politiques de l’époque et des tentatives 
régulières, de part et d’autre, d’essayer de porter la contradiction dans 
les meetings adverses, voire de les empêcher ?

Nous avons souvent en tête le titre de l’ouvrage de Daniel Guérin Front populaire révolution manquée, et les historiens eux-mêmes, comme Serge Berstein s’appuie sur une comparaison avec la Commune de Paris pour évoquer un affrontement « simulé » dans les années 1930. Les combats politiques de cette époque ont cependant fait une soixantaine de morts et des centaines de blessés. À gauche comme à l’extrême droite, la violence n’a alors rien de stigmatisant, bien au contraire. Les meetings, les affichages, les distributions de tracts et de journaux sont alors les principaux vecteurs politiques. En s’attaquant aux vendeurs de la presse adverse ou à ses meetings, on handicape sérieusement son développement. Dans la période dite « classe contre classe » (1928-1932), le PC n’hésitait pas à attaquer les meetings socialistes pour priver la SFIO d’audience dans les quartiers populaires de Paris.

Marceau Pivert est un personnage incontournable de ton ouvrage. Peux-tu
 rappeler son parcours politique ainsi que ses positions ?

Marceau Pivert est en effet l’un des fondateurs des TPPS et leur dirigeant durant toute cette période. En 1914, c’est un jeune républicain belliciste, mais il ressort de la guerre malade et profondément pacifiste. Il évolue alors du Parti radical à la SFIO, où il rejoint la tendance de gauche dite « Bataille socialiste ». En, 1935, cet instituteur de Montrouge fonde sa propre tendance : la « Gauche révolutionnaire ». Il porte le projet d’un « Front populaire de combat » et montre souvent une plus grande proximité avec les organisations gauchistes (anarchistes, trotskistes, et marxistes révolutionnaires). Exclu de la SFIO en 1938, il fonde le PSOP, avec Daniel Guérin notamment. Au Mexique, en 1939, il propose son aide à De Gaulle.

Est-ce que les TTPS ont incarné, en plus de leur mission de service d’ordre un courant
politique au sein de la SFIO ?

Les TPPS sont en grande partie constitués de jeunes militants organisés à la faveur du Front populaire. Ils ne s’inscrivent pas nécessairement dans la tradition guesdiste d’éducateurs socialistes qui caractérisait la SFIO jusqu’alors. Ils sont épris d’action et montrent une sensibilité pour les thèses révolutionnaires. Leur direction est de toute façon toujours entre les mains de la Gauche révolutionnaire et parfois d’entristes trotskistes.

Comment expliques-tu ce rapport méfiance / attirance entre les
organisations politiques et leur service d’ordre ?

Je pense que dans les années 1930 (contrairement à ce qu’ont pu connaître certaines organisations d’extrême gauche dans la deuxième moitié du XXe siècle), la question du rapport du parti à son service d’ordre ne se pose pas en termes de méfiance/attirance. Les débats concernent plutôt la question de la prise/exercice du pouvoir et donc de la place de l’autodéfense dans cela. Ce que les majoritaires réformistes combattent, c’est d’avantage l’insurrectionalisme que les groupes de combats.

Sais-tu ce que sont devenues les personnes engagées dans les
TTPS ou les JGS lors de la Seconde Guerre mondiale ?

J’ai des informations pour quelques membres clairement identifiés comme André Weil-Curiel, responsable de l’état-major des TPPS, qui rejoint Londres en décembre 1940, mais il faudrait une étude plus approfondie et plus globale ; la question est parfaitement légitime. Je ne suis cependant pas certain que nous disposions des matériaux nécessaires.

Paris en armes (revue L’Histoire)

mardi 15 juillet 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique de Paris, Bivouac des révolutions (Robert Tombs), publiée dans la revue L’Histoire, juin 2014.

Paris en armes

Robert Tombs livre une approche au ras du sol de la Commune, conduisant le lecteur au plus près des individus, au cœur de chaque pâté de maisons.

Marx y voyait un « sphinx qui met l’entendement à rude épreuve ». Engels en a fait la première dictature du prolétariat. Les usages de la mémoire de la Commune sont plus nombreux encore, de la gauche communiste ou socialiste à (plus rarement) la droite nationaliste. Monstre historique et quasi mythologique, la Commune a déjà donné lieu à de nombreuses synthèses de grande qualité, parmi lesquelles celle de Jacques Rougerie (Paris libre, 1871, Seuil, 1971, rééd. « Points », 2004), synthèses qui ont ramené la dernière expérience révolutionnaire française à son histoire et à son irritante étrangeté. Dans cette lignée, l’ouvrage de Robert Tombs, professeur au Saint John’s College de l’université de Cambridge, lui aussi, fera date.

Ce livre, publié en 1999 et dont les éditions Libertalia proposent à présent une traduction actualisée à partir des travaux historiens publiés plus récents, nous offre en effet une vision renouvelée de l’épisode. Kaléidoscopique, pourrait-on dire, abordant la vie politique bien sûr, mais également économique et culturelle, depuis le rôle des femmes qui prennent la parole et entendent réorganiser le travail jusqu’à l’organisation de la vie quotidienne, en passant par la définition du « Peuple », les suspicions policières ou la dimension festive de la Commune, moment carnavalesque où le monde se trouve bouleversé et où les statuts sociaux s’inversent.

L’approche anthropologique et compréhensive de Robert Tombs conduit le lecteur au plus près des individus, des solidarités de voisinages, au cœur des pâtés de maisons. Grâce à une écriture précise et concrète, porteuse d’un art de la distance interprétative (et très bien rendue par la traduction), il restitue avec brio l’atmosphère particulière, parfois intense, parfois triviale, d’un Paris tout juste bouleversé par l’haussmannisation, que ses habitants ont alors défendu.

Mais comment, plus largement, comprendre « l’événement » de la Commune ? C’est là une des grandes originalités de l’étude de Robert Tombs. En même temps que l’auteur resitue celle-ci dans la trame des épisodes révolutionnaires du XIXe siècle, il insiste sur sa contingence, sur la grande part d’improvisation qui l’accompagna. La guerre et le siège de Paris s’avèrent bien essentiels, pour une expérience qui semble en outre n’avoir jamais pu se stabiliser, et être restée comme en suspens.

La population, en armes, revit de manière décalée la figure du citoyen combattant. D’excellentes pages sont consacrées à la garde nationale, armée populaire mais aussi espace de vie politique et urbain, marquée par ses spécificités très locales (plus mesurée dans le 2e arrondissement, plus engagée dans les quartiers ouvriers…).

Dans cette veine, Robert Tombs révise le bilan de la Semaine sanglante. On admettait jusqu’alors que la féroce répression versaillaise avait fait environ 30 000 victimes. À l’issue d’un patient décompte, l’auteur ramène prudemment ce chiffre à 7 000 environ. Cela n’enlève rien à l’horreur de l’épisode, au contraire : comme le démontre Robert Tombs, loin d’être un moment de violence incontrôlée, la Semaine sanglante, ici réinsérée dans la longue durée des violences révolutionnaires et répressives, a été un massacre d’État, méticuleusement planifié. L’interprétation et les pistes sont ainsi rouvertes, comme le rappelle la conclusion. Paris, Bivouac des révolutions est donc un important livre sur la Commune, mais aussi un important livre sur l’histoire de France au xixe siècle, et plus largement une leçon de méthode sur le traitement de l’événement et de l’incertitude des situations révolutionnaires en histoire.

Quentin Deluermoz