Le blog des éditions Libertalia

Rino Della Negra dans Alternative libertaire

lundi 9 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Alternative libertaire, avril 2022.

Rino Della Negra ou comment un jeune adulte de 20 ans, espoir du football promis à un bel avenir sportif, contraint à la clandestinité par refus du Service du travail obligatoire (STO), engagé dans l’action armée au sein des FTP-MOI, membre du groupe Manouchian, fusillé au Mont-Valérien par les nazis, donnera son nom, resté gravé dans les mémoires, à une tribune du stade Bauer.

Dimitri Manessis et Jean Vigreux, tous les deux historiens, nous proposent chez Libertalia une biographie en forme de leçon d’histoire écrite à quatre mains.
L’histoire de Rino est celle d’un fils d’immigré·es italiens, fils d’ouvrier, qui va grandir dans le quartier populaire de Mazagran, une « petite Italie » à Argenteuil. Sportif accompli et fou de foot, le jeune Rino grandit dans une famille qui n’est pas engagée mais, parmi ses proches, certains sont liés au parti communiste italien, d’autres sont déjà des militants antifascistes. Son parcours, dont il ne reste que peu de traces aujourd’hui, est marqué par une triple sociabilité qui signera son parcours ultérieur  : une sociabilité ouvrière, comme jeune apprenti qui vit de l’intérieur des usines des conflits sociaux parfois violents, une sociabilité antifasciste, côtoyant des militants engagés dans les Brigades internationales, et enfin une sociabilité politique par le sport de par son appartenance à la FSGT née en 1934 de la fusion de la FST, proche de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) et de l’USSGT proche de la Confédération générale du travail (CGT).
Entré dans la clandestinité suite à son refus d’intégrer le STO, Rino Della Negra s’engagera dans la lutte armée contre les nazis et rejoindra le groupe Manouchian. Évitant de tomber dans le piège de l’hagiographie, les auteurs nous livrent ici une biographie vivante d’un jeune footballeur partisan, fort d’un travail tout à la fois exigeant et enthousiaste.

David (UCL Grand Paris sud)

Antifa le jeu dans Alternative libertaire

lundi 9 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Alternative libertaire (novembre 2021).

Le collectif La Horde a sorti cet automne un jeu participatif, Antifa. Nous avons testé avec enthousiasme ce jeu et souhaitions en savoir un peu plus sur sa genèse, ses éventuels développement futurs et les projets du collectif La Horde.

Alternative libertaire : Pouvez-vous nous présenter le collectif La Horde ?
La Horde : Depuis 2012, notre collectif propose, sur un site Internet, de quoi accompagner la lutte contre l’extrême droite et mettre en valeur l’antifascisme : nous publions des analyses et des infos sur les groupes nationalistes, nous relayons les initiatives des collectifs qui s’y opposent et nous proposons du matériel pour mieux comprendre (cartographie, chronologie, argumentaires) et pour se rendre visible (stickers, badges…).
On essaye d’être une boîte à outils qu’on espère utile à toutes celles et tous ceux qui se mobilisent contre l’extrême droite et ses idées. Nous participons aussi à des discussions ou des formations, à l’invitation de collectifs antifascistes.

AL : Comment passe-t-on du site Internet au jeu de plateau ?
La Horde : Au départ, le jeu était un outil de formation : plutôt que de parler de l’antifascisme dans une relation verticale (quelqu’un qui raconte, les autres qui écoutent), on s’est dit que ce serait plus vivant et plus horizontal de proposer un jeu de rôle dans lequel les personnes feraient vivre un groupe antifasciste.
Cela permettait ainsi de transmettre notre expérience (tout ce qui se passe dans le jeu s’inspire d’événements ou d’anecdotes véritables) tout en mettant les gens en situation de devoir faire des choix collectivement, puisque c’est un jeu coopératif (il faut choisir les actions, les moyens pour les préparer, gérer des ressources, etc.).

AL : Combien de temps avez-vous passé sur la conception du jeu depuis l’idée de départ ?
La Horde : Le jeu a été développé pendant trois ans, et il a considérablement évolué au fil des formations au sein desquelles il a été utilisé, grâce à l’apport de tou·te·s les participant·es, militant·es ou non. Les copains de la Mare aux Diables, une association anarcho-ludique, nous ont aussi beaucoup aidé pour épurer le jeu, afin de le rendre éditable.
Il était indispensable pour nous que l’aspect politique et les exigences ludiques s’articulent entre eux : un jeu politique, OK, mais aussi un bon jeu, c’est-à-dire un jeu où on se sent impliqué·e, et où les règles sont au service du propos.

AL : Des présentations du jeu ont eu lieu. Quels ont été les premiers retours ?
La Horde : Ce qui nous a motivé pour l’éditer, c’est que les gens, lors des formations, s’amusaient vraiment tout en se posant des questions, souvent on nous demandait si on pouvait laisser un exemplaire du jeu, et malheureusement ce n’était pas possible. Depuis sa sortie en librairie, début octobre, le jeu s’est bien diffusé, et on n’a eu que des retours positifs jusqu’à présent.

AL : Le jeu est uniquement destiné aux militant·es convaincu·es ou bien je peux y jouer aussi avec mon cousin soc-dem ?
La Horde : Le jeu s’adresse à tout le monde (comme on dit, « l’antifascisme, c’est l’affaire de tou·te·s  ! »)  : son objectif premier étant de populariser les pratiques activistes et de déconstruire les idées toutes faites sur l’antifascisme, si seul·es les antifas pouvaient y jouer, il ne servirait pas à grand-chose !
Par ailleurs, la mécanique du jeu permet d’avoir des pratiques variées (aller dans la rue ou pas, utiliser Internet ou pas, etc.) sans qu’une stratégie soit immanquablement gagnante ou perdante. Par exemple, on a décidé qu’une manif était plus efficace qu’une pétition, mais d’une part les deux restent possibles, et d’autre part on a aussi pris en compte qu’une manif est plus risquée et plus aléatoire.

AL : J’ai testé le jeu et j’ai vraiment aimé. Est-ce qu’il est prévu des extensions : scénarios, personnages ?
La Horde : Le jeu propose déjà, dans sa forme actuelle, des extensions, comme par exemple les motivations secrètes, qui peuvent venir pimenter un peu le mode coopératif. On propose aussi des scénarios, et si le jeu rencontre son public, on espère qu’il y aura de l’émulation, et que de nouveaux scénarios, proposés par des joueurs et joueuses autres que nous, pourront être proposés sur notre site, dans l’espace consacré au jeu.
On est aussi en train de travailler, avec un copain informaticien, à une version numérique du jeu, mais pour l’instant c’est encore à l’état de projet.

AL : Un petit mot de Libertalia, quel a été leur rôle ?
La Horde : Avec Charlotte et Nico, qui animent les éditions, on se connaît depuis plus de vingt ans, et il était tout naturel pour nous de le faire avec eux, comme cela a été le cas au moment où on a pensé à traduire le livre de Bernd sur l’histoire de l’antifascisme allemand. Libertalia a non seulement une ligne éditoriale militante qui nous correspond, mais aussi des pratiques qui montrent leur souci de s’adresser au plus grand nombre.
C’est grâce à eux que le jeu a pu être proposé à un tarif aussi accessible, comparativement aux jeux équivalents dans le commerce.

AL : Est-ce que d’autres types de supports sont aujourd’hui prévus pour prolonger votre travail ?
La Horde : On a un autre projet de livre, qui ne serait pas une traduction cette fois mais un texte original, mais il est pour le moment encore au stade de l’écriture. On nous demande souvent quand sortira la nouvelle version de notre cartographie de l’extrême droite, mais là aussi, on travaille à un nouveau support, et on préfère prendre le temps de le faire bien, plutôt que de nous précipiter.

Propos recueillis par David (UCL Grand Paris sud)

May Picqueray la réfractaire dans la revue Brasero

lundi 9 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans la revue Brasero (automne 2021).

Née en 1898 et décédée en 1983, Marie-Jeanne (dite May) Picqueray a passé son enfance en Bretagne dans une famille modeste dont la mère l’élève avec dureté. Après un séjour au Canada, elle revient en France où son premier mariage est un échec. Elle travaille alors comme interprète et dactylo.
Arrivée à Paris en 1918, elle y rencontre un étudiant en médecine serbe, Dragui Popovitch, qui lui fait découvrir les idées anarchistes grâce aux conférences de Sébastien Faure, début d’un engagement de toute une vie. Elle adhère aux Jeunesses anarchistes des 5e et 13e arrondissements et aux Jeunesses syndicalistes, tout en militant activement en faveur de Sacco et Vanzetti. Devenue secrétaire administrative de la Fédération unitaire des métaux de la CGTU après la scission de la CGT, elle est désignée pour accompagner son secrétaire général, l’anarcho-syndicaliste Lucien Chevalier (1894-1975), au congrès de novembre 1922 de l’Internationale syndicale rouge à Moscou (ISR). Sur le chemin, ils s’arrêtent à Berlin, avec d’autres compagnons syndicalistes, pour rencontrer Rudolf Rocker, Emma Goldman et Alexandre Berkman, qui les informent de la répression contre les anarchistes et les ouvriers en URSS. Arrivés à Moscou, entre deux séances du congrès de l’ISR où Chevalier défend l’indépendance syndicale par rapport aux partis politiques, ils parviennent à fausser compagnie à leurs « interprètes » – des membres de la Tchéka – pour rendre visite à des militants anarchistes. Ils plaident aussi la cause des anarchistes emprisonnés auprès des autorités et obtiennent la libération de Mollie Steimer et Senya Flechine. Au cours d’un repas officiel en présence de Trotski, elle n’hésite pas à chanter Le Triomphe de l’anarchie devant ses hôtes médusés. Après avoir été secrétaire d’Emma Goldman à Saint-Tropez lors de la rédaction des mémoires de celle-ci, May sera employée notamment par les Quakers américains et aidera par tous les moyens possibles les « indésirables » de toutes nationalités, internés dans les camps du Sud-Ouest de la France (Gurs, le Vernet d’Ariège) avant de regagner Paris clandestinement en 1941 et d’intégrer un réseau qui fabrique des faux papiers et recherche des refuges pour des évadés français d’Allemagne. Membre du syndicat des correcteurs en 1945 (elle travaillera notamment au Canard enchaîné), elle adhère à la Fédération anarchiste en 1957 et, dans les années 1970-1980, fonde le journal Le Réfractaire et participe aux mobilisations contre l’extension du camp militaire du Larzac et à la résistance des habitants de Plogoff contre un projet de centrale nucléaire.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette vie aussi digne que bien remplie mais, à l’heure de cette réédition, une constatation s’impose. May Picqueray a appartenu à une génération qui a su d’emblée refuser contre vents et marées l’imposture de la prétendue « révolution d’Octobre » et considérer le « socialisme réel » comme ce qu’il était en réalité : un régime totalitaire et un capitalisme d’État. Son grand mérite est d’avoir su lutter à contre-courant, malgré d’immenses difficultés, tout en préservant les faibles chances d’un renouveau. Et c’est pour cela qu’il faut lire, et relire, un tel témoignage. À l’heure actuelle, cependant, la majorité du mouvement anarchiste organisé se contente d’accompagner les vestiges de la gauche et de l’extrême gauche dans ses errements, voire dans ses reniements. Mais c’est une autre histoire…

Charles Jacquier

La Ferme des animaux dans la revue Brasero

lundi 9 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans la revue Brasero, automne 2021.

Lire Orwell, notamment La Ferme des animaux, aujourd’hui

Il a beaucoup été question de George Orwell (1903-1950) ces derniers mois : nouvelles et multiples traductions de ses deux romans les plus célèbres (La Ferme des animaux et 1984 ou Mille neuf cent quatre-vingt-quatre), adaptations du dernier en bandes dessinées, réédition de sa biographie par Bernard Crick, rééditions (ou traduction) d’essais sur son œuvre, entrée de l’auteur dans la célèbre collection de la Pléiade avec une nouvelle traduction. N’en jetez plus !
Que s’est-il donc passé pour arriver à ce curieux emballement ? Au royaume éthéré des idées, les faits sont souvent terre à terre : soixante-dix ans après sa mort, les écrits de George Orwell entraient dans le domaine public et devenaient libres de droits. Les traductions de La Ferme des animaux et de 1984 étant anciennes, Gallimard décida d’occuper le terrain : la maison proposa une nouvelle traduction de 1984, puis le volume de la Pléiade déjà mentionné. Enfin, elle reprit la traduction de la Pléiade, sans l’appareil critique, pour la nouvelle édition de poche de La Ferme des animaux et de 1984. Il y a donc trois traductions différentes de 1984 chez le même éditeur. Tout cela, bien sûr, au nom de la sacro-sainte littérature dont l’entrée dans la Pléiade constitue une sorte de canonisation. Et en oubliant au passage que George Orwell se définissait lui-même comme « un écrivain politique – en donnant autant de poids à chacun des deux mots » : « son souhait le plus cher » n’avait jamais été de faire de la littérature pure, mais de « pouvoir transformer l’essai politique en une forme d’art ».
Il en résulta l’idée que la critique hâtive associa l’œuvre d’Orwell à la maison de la rue Sébastien-Bottin. Alors même qu’elle s’était contentée du service minimum durant des décennies, en proposant seulement ses deux plus célèbres romans. Le minimum aurait été de rappeler que ce n’était pas ce « grand éditeur » qui permit aux lecteurs francophones de découvrir l’œuvre de George Orwell mais, durant les années 1980 et 1990, les éditions Ivrea (ex-Champ libre) qui traduisirent ses autres livres et entreprirent, en collaboration avec les éditions de l’Encyclopédie des nuisances, la traduction des quatre volumes essentiels des Essais – Articles – Lettres. Et, au cours des années 2000, c’est un autre « petit éditeur », Agone, qui proposa la traduction intégrale des chroniques d’Orwell dans Tribune, ses Écrits politiques (des articles qui n’avaient pas été retenus par sa veuve dans les Essais), un choix de sa correspondance, Une vie en lettres, et deux essais, l’un de John Newsinger, La Politique selon Orwell (2006), l’autre de James Conant, Orwell ou le pouvoir de la vérité (2012).
Ce rappel relativise la contribution de Gallimard à la diffusion de l’œuvre de George Orwell, réduite à la seule politique du prestige sur papier-bible et de l’occupation médiatique, pour ne pas dire plus trivialement du tiroir-caisse. Et au moins mentionner les éditeurs qui s’en sont véritablement préoccupés et ont fait en amont l’essentiel du travail.
Si ses trois chefs-d’œuvre sont bien Hommage à la Catalogne, La Ferme des animaux et Mille neuf cent quatre-vingt-quatre, tout un chacun gagnera donc à se reporter aux éditions et aux traductions que proposent respectivement Ivrea, Libertalia et Agone – d’autant que le premier ne figure chez Gallimard que dans la Pléiade et que les deux suivants, outre une traduction souvent jugée meilleure, offrent des éditions augmentées avec préface et appareil critique qui ne figurent pas dans la collection Folio-Gallimard. Quant à La Ferme des animaux – cette fable sur la révolution russe et sa trahison – qui est son livre le plus accessible pour toute personne voulant commencer à lire Orwell, il faut rappeler que c’est « certainement son œuvre la plus parfaite – la seule aussi dont il fût lui-même vraiment satisfait » et que ladite édition Libertalia reproduit en annexe la préface à l’édition ukrainienne de 1947 et le projet non retenu de préface à l’édition anglaise de 1945 qui définissent les objectifs de ce livre. Dans la première, il écrit que « rien n’a davantage contribué à la corruption de l’idée originelle du socialisme que la croyance selon laquelle la Russie est un pays socialiste et que tous les agissements de ses dirigeants doivent être excusés et justifiés, voire imités ». Cela dit bien en quoi « la lutte antitotalitaire d’Orwell ne fut que le corollaire de sa conviction socialiste », comme le souligne Simon Leys. Et dans le second texte, il s’en prenait à la falsification et à la malhonnêteté en tant que telles des intellectuels en soulignant : « Troquer une orthodoxie pour une autre n’est pas forcément un progrès. L’esprit qui fonctionne comme un gramophone, voilà l’ennemi – qu’on soit d’accord ou non avec la chanson du disque qui tourne dessus à tel ou tel moment. »
Ce n’est pas non plus Gallimard qui a enfin proposé une traduction du livre de l’anarchiste canadien George Woodcock (1912-1995) mais, là aussi, un « petit éditeur » (Lux), qui permet aux francophones de lire enfin ce bel essai plus de cinq décennies après sa parution en anglais. Woodcock rapportait ses souvenirs sur l’ami, connu entre 1942 et 1949, l’imaginant sous les traits de Don Quichotte. Il se penchait ensuite longuement sur ses écrits d’une manière précise et équilibrée, sans jamais tomber dans l’hagiographie. Qualifiant sa prose de « cristalline » et Orwell lui-même d’homme « bon et indigné », il considérait que celui-ci avait toujours été « en quête de la vérité parce qu’il savait qu’elle seule pourrait assurer la survie de la liberté et de la justice ». Il est toutefois regrettable que le titre original The Crystal Spirit n’ait pas été conservé ou transposé en français car il synthétise parfaitement le propos de Woodcock…
Parmi les rares commentateurs francophones d’Orwell, Jean-Claude Michéa occupe une place à part. Auteur en 1995 d’un essai remarqué, régulièrement réédité, il est aujourd’hui repris avec un inédit (Orwell anarchiste tory). Il pose une question essentielle : l’intelligentsia de gauche contemporaine a-t-elle « rompu d’une façon ou d’une autre avec les schémas classiques de la double pensée et de l’esprit de gramophone » ? En l’occurrence, poser la question, c’est y répondre et il n’y a nul besoin de partager toutes les analyses de Michéa pour insister sur la nécessité de lire et de relire Orwell dans cette perspective, à une époque où les « petites orthodoxies malodorantes » se doublent d’un irrationalisme et d’une inversion des valeurs manifestes. Il faut donc redire, après Simone Leys, qu’« aujourd’hui, je ne vois pas qu’il existe un seul écrivain dont l’œuvre pourrait nous être d’un usage pratique plus urgent et plus immédiat ».

Charles Jacquier

Rino Della Negra dans Le Mag de la Seine-Saint-Denis

mercredi 4 mai 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Mag de la Seine-Saint-Denis, le 28 avril 2022.

Rino Della Negra,
Une étoile rouge ne meurt jamais

Rino Della Negra, fusillé à 20 ans avec ses camarades du groupe Manouchian, est une figure de la Résistance et du Red Star où il fit un trop court passage. Deux historiens, dans une biographie passionnante, nous replongent dans cette vie si courte et si dense fauchée par les balles nazies.

En ce début de saison 1943-1944, le Red Star Olympique vient d’engager un jeune joueur très prometteur du nom de Rino Della Negra. Le club vit des années fastes et l’engagement de cet ailier droit, rapide comme l’éclair – il court le 100 mètres en 11 secondes – et de surcroît buteur et dribbleur hors-pair, promet de beaux lendemains au club audonien.
En cette année 1943, le club est tenant de la Coupe de France et compte bien grâce à l’arrivée de Rino rajouter une ligne de plus à son palmarès. Dans une nouvelle que lui a consacré Didier Daeninckx, on peut lire ces propos qu’il lui fait tenir : « C’est pourtant simple : [avec le ballon] on danse ensemble. Il faut apprendre la légèreté. Le football c’est aérien. Observe un ballon, ça vole, ça rebondit, ça virevolte… Quand je suis au milieu de la pelouse, c’est comme quand j’invite une fille sur la piste de danse. Je la guide en douceur. J’ai l’impression d’être monté sur roulettes, d’être aussi souple que la môme caoutchouc ! Si tu restes planté sur tes guibolles comme sur des échasses, tu ne feras rien de bon. » Ce matin d’hiver, Rino, pour la première fois, est absent de l’entraînement sur la pelouse du Stade de Paris, à Saint-Ouen, le futur stade Bauer. Caprice de jeune homme ou refus de se plier à la discipline sportive ? Non, Rino Della Negra a refusé de répondre à sa convocation pour partir en Allemagne accomplir le Service du travail obligatoire. Il disparaît et rentre en résistance active contre l’occupant nazi. Le voilà clandestin.
Le 21 février 1944, Rino Della Negra et 21 partisans du groupe Manouchian, FTP-MOI (Main-d’œuvre immigrée) sont fusillés au fort du Mont-Valérien. La 23e membre de ces francs-tireurs et partisans, Olga Bancic, sera décapitée cinq mois plus tard en Allemagne. Ils sont accusés d’être des criminels, d’avoir participé à la résistance armée, organisant des attentats contre des hauts gradés allemands ou des collaborationnistes.
Rino Della Negra est né en 1923 à Vimy, dans le Pas-de-Calais, de parents italiens. Son père, briquetier, fait partie de ces nombreux ouvriers qui ont quitté l’Italie au lendemain de la Première Guerre mondiale pour fuir le chômage et la pauvreté, mais aussi pour aider à reconstruire le pays. Rino et sa famille s’installent en banlieue parisienne à Argenteuil, dans un quartier appelé la « Petite Italie ». Il grandit là, jouant à la pétanque et au foot au sein d’une communauté où l’entraide est toute naturelle. A 14 ans, il quitte l’école et devient ouvrier ajusteur aux usines Chausson où son travail consiste à préparer, monter et ajuster au mieux les radiateurs pour automobiles et camions. Autour de lui, quand la guerre civile éclate en Espagne, il voit certains de ses amis s’engager dans les Brigades internationales. Mais toujours autant passionné par le sport, en particulier le football, il joue dans les clubs locaux et accumule avec ses équipes les victoires, remportant ainsi la Coupe de la Seine « corpo » en 1938.
Dès son passage à la clandestinité, Rino, grâce à ses amis, intègre les réseaux de résistance communiste FTP, puis le 3e détachement, composé uniquement d’Italiens, des MOI, dans le légendaire groupe Manouchian. Il possède des faux papiers au nom de Chatel, mais ce passage à la clandestinité recouvre des formes étonnantes. Rino continue non seulement à voir ses parents, ceux-ci ignorant tout de ses activités de résistant, et en plus ne met pas fin à ses activités de footballeur. Une double vie, qui, aussi surprenant que cela apparaisse, lui évite d’être repéré, alors que le groupe Manouchian est pisté par 200 agents des Brigades spéciales.
Dans les années 2000, la figure de Rino Della Negra devient un véritable mythe pour les supporters du Red Star. Des chants et des banderoles lui sont dédiés et le mettent à l’honneur. Une plaque commémorative, apposée à l’entrée du stade Bauer de Saint-Ouen a été inaugurée lors du soixantième anniversaire de sa mort. Une rue de la ville portera bientôt son nom, et quant à la tribune nord abritant le kop que les supporters avaient d’eux-mêmes baptisée du nom de Rino, elle le sera officiellement très prochainement une fois que le futur stade sera rénové.

Claude Bardavid