Le blog des éditions Libertalia

Sur les traces de Jack London 2/4

mardi 19 juillet 2016 :: Permalien

The Huntington Library

L’endroit est magnifique : verdoyant, ombragé, fleuri. Une des plus belles bibliothèques des États-Unis, à San Marino, dans un quartier huppé de Los Angeles, si près du désert. Le lieu a été créé par Henry Huntington (1850-1927), un magnat du rail. C’est ici, au Munger Research Center, qu’est entreposée la presque totalité des archives de Jack London : ses manuscrits, ses photos, les coupures de presse d’époque. L’accueil est enthousiaste, tout semble fait pour aider les chercheurs et les curieux. J’ai commandé plusieurs manuscrits, sans y croire vraiment. Deux nouvelles rééditées par Libertalia (A piece of steak ; South of the Slot) et surtout The Iron Heel et Martin Eden.
D’emblée je suis stupéfait. Je pensais consulter les microfilms et voici qu’on me livre les manuscrits rédigés par London himself, ainsi que ses notes, brouillons et les versions tapuscrites. Difficile d’y croire mais on consulte effectivement l’incipit de Martin Eden, et le texte intégral de cet exceptionnel récit autobiographique, ce chef-d’œuvre du patrimoine littéraire mondial ! Au hasard des pages, on lit les recommandations de Jack London à sa sœur Eliza, en charge de ses affaires, l’une des rares en qui il avait confiance ; ou ce mot probablement adressé à l’éditeur à propos d’une citation d’Alfred Tennyson : « mate, insert between title page and foreword. »
En quelques heures, je vérifie le manuscrit du Talon de fer, tout est en ordre. Il y a très peu de ratures, le chapitrage correspond à celui que les éditeurs successifs ont repris, dont le premier, MacMillan, en 1908 : « Le bras de Jackson », « La Commune de Chicago », « La grève générale »… Les colossales notes de bas de pages sont bien de la main de l’auteur et font partie intégrante du récit.
Sara S. Hodson, la conservatrice en charge des Jack London Papers depuis trente ans, passe me saluer et m’autorise à reproduire les clichés pris au cours de cette journée. Je lui promets d’envoyer le livre à publication.

Nicolas Norrito

Sur les traces de Jack London 1/4

lundi 18 juillet 2016 :: Permalien

On ne se remet jamais tout à fait de ses lectures d’adolescent et de jeune adulte. Il est ainsi un certain nombre de romanciers qui me hantent depuis vingt ans et que je porte dans mon cœur, que je relis parfois, que j’analyse à l’aune de ma propre vie qui s’efface. Parmi ceux-là, il y a d’abord Camus et Genet, mais également Albert Cohen, Romain Gary, René Char. On pourrait ajouter Breton, Rimbaud, le premier Malraux, Maïakovski, Hemingway. Il s’agit d’hommes dans la quasi-totalité des cas – je le déplore –, à l’exception notable de Marguerite Duras, dont j’ai avalé toute l’œuvre mais que je n’ai jamais relue. Et peut-être de Carson McCullers, qui a subi le même traitement. À cette galerie de poilus, il faut ajouter Jack London. À quel âge ai-je lu ses récits du Grand Nord ? Je ne m’en souviens plus, mais très jeune.
Ces écrivains-ci, j’ai souvent suivi leurs traces. À Lourmarin et à Tipaza (Camus) ; à Larache, au Maroc, sur la tombe de Genet ; dans la vieille ville de Shanghai ou à Banteay Srei (Cambodge) pour retrouver le souffle de La Voie royale, des Conquérants et de La Condition humaine ; à deux pas de La Havane, dans le refuge du vieil ours qui écrivit The Sun also Rises (Le Soleil se lève aussi). Il manque encore le Harrar de Rimbaud et les Samoa pour Stevenson, ce temps viendra.
Jack London est mort il y a cent ans, en novembre 1916, il avait tout juste 40 ans. Mon âge. Relisant le credo qu’on lui attribue si souvent, et bien que sensible à la geste romantique, je ne suis plus aussi certain de le suivre : « J’aimerais mieux être cendres que poussière. J’aimerais mieux que mon étincelle brûle avec une brillante flamme, plutôt qu’elle soit étouffée par la sècheresse de la pourriture. J’aimerais mieux être un météore superbe et que chacun de mes atomes brille dans une magnifique incandescence, plutôt que sous la forme d’une planète endormie. La fonction de l’homme est de vivre et non d’exister. Je ne perdrai pas mes jours à essayer de prolonger ma vie, je veux brûler tout mon temps. » [1] Pour autant, je n’ai jamais cessé, en dépit de ses contradictions patentes, d’aimer cet auteur, aussi ai-je décidé, à l’occasion de la retraduction du Talon de fer par Libertalia, de chausser mes bottes de 2 000 lieues et de partir sur ses traces. Récit décousu, rédigé à chaud, durant le vol retour. Hit the road, Jack !

Nicolas Norrito

[1Traduction de Jennifer Lesieur dans la belle biographie qu’elle a consacrée à London, publiée en poche chez Phébus. Texte original : « I would rather be ashes than dust ! I would rather that my spark should burn out in a brilliant blaze than it should be stifled by dry rot. I would rather be a superb meteor, every atom of me in magnificent glow, than a sleepy and permanent planet. The proper function of man is to live, not to exist. I shall not waste my days in trying to prolong them. I shall use my time. »

Jojo le pirate, le film !

jeudi 7 juillet 2016 :: Permalien

Autour de l’album Jojo le pirate partage le butin, un superbe film d’animation réalisé par de fiers moussaillons de moyenne section (4 et 5 ans) de l’école maternelle Colette Magny, Paris 19e.

Véronique Decker, par ATD Quart Monde

jeudi 7 juillet 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Article paru sur le site de ATD Quart Monde, le 6 juillet 2016

Véronique Decker,
directrice d’école dans le 9-3

En fonction depuis 15 ans à Bobigny, elle raconte ses combats pour scolariser les enfants roms ou financer une classe de neige dans un livre personnel et attachant.

À 58 ans, après 31 ans passés essentiellement en Seine-Saint-Denis, Véronique Decker aurait bien aimé finir sa carrière à la campagne. « Je suis fatiguée, je ne tiens plus comme avant », confie-t-elle. Mais sa demande de mutation a été refusée.

Véronique Decker restera donc directrice de l’école élémentaire Marie-Curie de Bobigny. Sans rancune ni frustration. Elle est comme ça : combative, généreuse, portée par des convictions qui la font toujours aller de l’avant. « J’ai une belle vie, dit-elle, je n’ai pas toujours bien fait mais je n’ai jamais trahi mes idées. »

Véronique Decker est une figure du monde enseignant. Adepte de la pédagogie Freinet, c’est une directrice engagée en faveur des plus démunis, qui n’a pas peur de dénoncer haut et fort les manquements de l’école et les injustices qui se creusent. « Souvent on m’a dit : “Attention, ça va t’attirer des ennuis”, mais quand on est clair, on force le respect à la longue », assure cette petite femme au cheveu en bataille.

Modeste

« Je ne voulais pas partir sans rien dire » : alors qu’elle s’imagine quitter le 93 pour le fin fond de la Corrèze, Véronique Decker commence à écrire des billets pour un blog. Elle y raconte des scènes de son quotidien à Bobigny – bataille contre les poux, impuissance devant un enfant hyper agité, ouverture de l’école la nuit pour une famille rom qui, sinon, dormirait dans la rue… Après une dizaine de publications, l’éditeur Libertalia la contacte : il veut en faire un livre.

Aujourd’hui elle est invitée à en parler un peu partout en France – il a même fallu faire un retirage. Modeste, elle n’aurait jamais imaginé un tel succès.

Elle avance plusieurs explications qui la dépeignent bien : « C’est facile à lire. Je ne voulais pas prendre la tête ni donner des leçons. Les agents de service de mon école ont aimé et j’ai aussi été invitée à France Culture. C’est un récit incarné et j’ai ma liberté de ton : je ne répète pas ce que dit mon syndicat. Enfin, ça n’est pas triste à la différence de beaucoup de livres de profs parlant du 9-3. »

Sévère

Sur le fond, Véronique Decker porte un jugement sévère sur l’école aujourd’hui. « En créant des postes, le gouvernement socialiste a arrêté l’hémorragie entamée sous Nicolas Sarkozy, explique-t-elle, mais on est loin de la guérison. »

Dans le 93, alors que l’on supprimait des postes, la natalité a continué de croître. Résultat : il a fallu embaucher des instits contractuelles souvent peu ou pas formées. « La qualité de l’école publique s’est nettement dégradée », déplore Véronique Decker.

En même temps, reconnaît-elle, l’école ne peut pas tout. « Le grand problème en Seine-Saint-Denis, c’est la misère. Et elle a augmenté. Quand je suis arrivée, il n’y avait pas de bidonville, pas de mère dormant dans la rue avec un bébé. Or comment faire progresser des enfants vivant dans la précarité, qui n’ont pas de logement par exemple ? Pour avoir l’audace d’apprendre quelque chose de nouveau, il faut être en sécurité. »

Un jour, elle a vu pleurer une instit qui avait dû apprendre trois fois la même chose à un enfant : après chaque expulsion de son campement, traumatisé, il oubliait tout.

Les dernières réformes ne trouvent guère grâce à ses yeux. « Avec celle de l’éducation prioritaire, assène-t-elle, ce qui a augmenté, ce sont les primes des enseignants. Or c’est pris au détriment des enfants. Mon école, par exemple, n’a jamais retrouvé ses postes de Rased (maîtres spécialisés dans la difficulté scolaire). »

Bagarreuse

Véronique Decker n’a pas peur de dire des choses qui dérangent ni d’affronter l’institution. Pour comprendre, peut-être faut-il remonter à son enfance joyeuse et bagarreuse. Elle a grandi dans une petite ville de Lorraine au sein d’une famille nombreuse. « Avec mes trois frères, on se battait, on s’insultait, on criait. » Le père est plombier et les enfants font visiter la salle de bains aux copains qui souvent n’en ont pas.

De cette enfance, elle a gardé le goût du collectif. À l’école, elle aime l’esprit d’équipe. Avec la pédagogie Freinet, elle vante les valeurs de coopération, d’entraide et de solidarité que l’on transmet aux enfants.

À la rentrée, Véronique Decker reprendra le chemin de l’école Marie-Curie. Loin de la Corrèze mais avec le plaisir de retrouver des enfants. « Ils ont une immense fraîcheur, dit-elle, c’est émouvant d’être au contact de la génération qui vous survivra. » Un métier « rafraîchissant » qu’elle a toujours pratiqué avec passion, au point que ses fils lui reprochaient de ne pas être disponible pour eux le soir.

Ici ou là-bas, même si elle ressent l’usure, Véronique Decker ne renoncera pas : elle se bat pour un monde meilleur.

Véronique Soulé

les Fils de la nuit, dans Le Monde des livres

jeudi 7 juillet 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans les cahiers livres du Monde du 1er juillet 2016.

Un anarchiste dans la guerre d’Espagne

Il y a presque quatre-vingts ans, les 17 et 18 juillet 1936, les troupes des généraux Sanjurjo, Mola et Franco prenaient les armes contre la République espagnole. Leur coup de force inaugurait cette répétition générale du second conflit mondial qu’on a l’habitude d’appeler la « guerre d’Espagne » pour saisir la dimension révolutionnaire de la période, aujourd’hui mise en lumière par de singulières parutions.
Avec Les Fils de la nuit, on plonge en effet dans le quotidien du combat et de l’expérimentation libertaire, en Aragon et en Catalogne, aux côtés d’Antoine Gimenez. C’est sous ce nom qu’un anarchiste d’abord appelé Bruno Salvadori, « en marge de la société et du code pénal », Italien venu de France rejoindre la fameuse colonne Durruti aux abords de Saragosse, a mis par écrit dans les années 1970 un témoignage dense et passionné. Son texte intrigue et captive pour plusieurs raisons.
Il y relate son expérience de la guerre, des luttes sociales, mais aussi de la vie ordinaire bousculée par les combats dans les villages des bords de l’Ebre où vont cohabiter, des mois durant, paysans pauvres et volontaires de tous horizons. Rythmé et presque cinématographique dans son écriture, il fait alterner les descriptions saisissantes des embuscades et des coups de main, qui opposent son groupe aux « fascistes », avec des notations politiques ou même intimes et érotiques.
Comme pour conjurer la mort de ses camarades, tant de fois advenue dans ces pages, le narrateur multiplie les conquêtes féminines et les brèves aventures. Ces passages ne sont pas forcément les plus déliés (« Comme un fauve soulevant sa proie, je la soulevai pour l’emporter dans sa chambre ») mais ils ont leur importance, car la révolution, Antoine Gimenez la voulait, aussi, sentimentale et sexuelle, afin d’abattre « toutes les barrières que la morale hypocrite de la société avait dressées ». Il accorde également une large place à la parole et aux discussions : débats enflammés avec ses compagnons sur la société future, débarrassée de l’injustice sociale et du curé, « allié indéfectible du capitalisme » ; efforts de scolarisation pour ces travailleurs de la terre « essayant de bien tenir entre leurs doigts calleux le frêle bâtonnet de la plume que le poids de leur main, habituée à manipuler les lourds outils des champs, écrasait sur le papier ».

D’autres voix libertaires.

Il s’agit, enfin, d’un témoignage précieux sur les désillusions et le délitement qui surviennent lorsque les impératifs de la guerre aboutissent, non sans tensions dans le camp républicain, au ralentissement ou au reniement de l’effort révolutionnaire. Alors les volontaires internationaux doivent se plier à une discipline militaire plus forte. Surtout les rapports sociaux ne sont pas transformés autant qu’on avait pu l’espérer : « L’argent, cette peste, avait recommencé son œuvre. »
Aussi empli de vigueur et de mystère que terriblement imprécis sur les dates et les lieux, ce document avait tout pour fasciner. Mais de cette séduction, un groupe de chercheurs a su faire un travail tout à la fois militant, éditorial et historien. Il en résulte un appareil de notes absolument colossal qui, presque à la manière de Feu pâle, de Nabokov (Gallimard, 1965), accompagne dans un second volume (de plus de 700 pages) le témoignage, l’éclaire et le complète, le contredit parfois.
Et comme si cela ne suffisait pas, sur les traces d’Antoine Gimenez, les « Giménologues » (c’est ainsi qu’ils se nomment, prolongeant par ce pseudonymat le jeu de masques du personnage qu’ils suivent) ont publié un second livre, ¡A Zaragoza o al charco !, issu de la même enquête et donnant à lire d’autres témoignages et documents, apportant ainsi de nouvelles touches à ce tableau labyrinthique. Carnets, récits, photos, cartes et biographies : en menant un travail aussi vivant qu’opiniâtre auprès des acteurs et de leurs descendants, dans les dépôts d’archives et la presse d’époque, ce collectif d’auteurs nous donne les moyens de reconstruire et de comprendre un passé révolu, et, peut-être davantage, l’intensité et l’altérité de ses idéaux. L’un des protagonistes des Fils de la nuit les résume ainsi : « Une vie collective possible, sans dieu ni maître, donc avec les hommes tels qu’ils sont. »

André Loez