Le blog des éditions Libertalia

Imprimer Marx pour 184 euros par mois

jeudi 14 mai 2015 :: Permalien

Tribune parue dans CQFD, mai 2015.

Imprimer Marx
pour 184 euros par mois

Quoi de commun entre David Graeber, Raoul Vaneigem, le collectif Mauvaise Troupe et Norbert Trenkle ? Ce sont de brillants penseurs et activistes. Mais leurs livres sont imprimés dans des pays où la main-d’œuvre est moins onéreuse. Voyage dans les coulisses de l’édition.

De nombreux éditeurs dits « indépendants [1] » ou « engagés » n’hésitent pas à faire imprimer leurs livres dans les pays de l’Est, en Bulgarie, en Pologne, en Lituanie, etc. Rien de bien étonnant à cela, mais la critique du capitalisme se dissout-elle dans les impératifs économiques ? Les pratiques ne sont-elles pas à la base de toute contestation politique ? Faut-il distinguer le contenant du contenu ?

Depuis belle lurette les éditeurs commerciaux se sont tournés vers la Chine, réputée moins chère et plus compétitive pour la fabrication des livres « animés » ou des livres-objets. Qui est encore choqué par cela tant la délocalisation est entrée dans les mœurs ? Les grands éditeurs imprimant à des milliers d’exemplaires, la ristourne est d’autant plus avantageuse. Mais à leur décharge, ces éditeurs « industriels » ne sont pas connus pour être de fieffés défenseurs de l’économie locale ou des détracteurs des ravages du capitalisme mondialisé.

Parallèlement, l’édition française – et en cela elle reste encore une exception – compte myriade de petits éditeurs, dont un courant vivace, regroupé sous les appellations d’« éditeurs engagés », voire « militants » ou « alternatifs », ou plus simplement de « critique sociale ». Par les temps qui courent, où l’édition est trustée par de grands groupes tels Planeta ou Hachette, l’existence de ces maisons d’édition représente un souffle ou une poche de résistance essentielle à la pensée critique.
Bien souvent, les conditions matérielles ne sont pas réunies pour que ces maisons puissent vivre de leurs ventes, avoir des bureaux et rémunérer leurs animateurs et collaborateurs. Les aides du CNL et des collectivités territoriales restent une véritable béquille quant à la production éditoriale, tant pour la fabrication des ouvrages que pour la traduction d’œuvres ambitieuses. Ce segment de l’édition française vit donc plus ou moins sous perfusion. Plutôt plus que moins, d’ailleurs. Mais sa production connaît une vitalité certaine, qui permet de trouver dans les librairies des textes critiques, des textes ardus qui mettront des années à s’écouler mais qui présentent une importance réelle dans l’histoire des idées, des traductions de textes subversifs, des textes qui permettent à des idées minotaires de trouver un écho et un lectorat, des textes que l’économie du livre laissent sur le carreau. Pas rentables, trop chers à traduire, pas formatés pour les médias (les pavés par exemple), auteur inconnu, etc.

Dans ces conditions d’existence difficiles, où la diffusion-distribution reste un casse-tête, l’idée de faire des économies çà ou là fait son chemin. Un des postes les plus coûteux pour l’activité d’un éditeur est bien évidemment celui de l’imprimerie. Alors les convictions politiques sont mises à mal… Imprimer en Pologne un texte de Marx sur la théorie de la valeur ? Pas de problème. Imprimer en Bulgarie un ouvrage sur les luttes politiques de « l’ultragauche » ? Pas de soucis. Pour autant, nos pratiques ne sont-elles pas le fondement de nos engagements politiques ? Pouvons-nous prôner une idéologie anticapitaliste dans nos ouvrages et nous en détourner au premier obstacle économique ? Oui, imprimer en France coûte plus cher. Oui, les petits éditeurs manquent cruellement de moyens. Mais le système capitaliste qui consiste à faire baisser les prix en allant exploiter une main-d’œuvre moins chère dans des pays où le niveau de vie est bien moindre est justement au cœur de l’économie mondialisée que nous rejetons en bloc. C’est elle qui est à l’œuvre quand on propose à un salarié de Good Year qui va être viré un reclassement en Tunisie pour 500 euros par mois. C’est elle encore qui permet à de grands industriels du textile de faire fabriquer des chaussures à des enfants en Asie payés une bouchée de pain pour les revendre en Europe à des prix exorbitants (le quart d’un RSA par exemple). C’est elle aussi qui permet aux entreprises du CAC 40 de reverser des dividendes exponentiels à leurs actionnaires quand les populations triment deux fois plus à cause de « la crise »…

L’argument le plus souvent avancé par ces éditeurs est qu’ils font aussi tourner l’économie des pays de l’Est, que cela peut permettre aux salariés des imprimeries roumaines ou bulgares d’avoir des conditions de travail moins précaires. Bien sûr ! Mais le chemin va encore être très très long ! Voilà où nous en sommes : « D’un rapport de 1 à 14 en 2008, l’éventail des différents Smic brut est passé de 1 à 10 début 2015. […] En queue de peloton, les pays de l’Est : la Bulgarie (184 euros), la Roumanie (218 euros), la Lituanie (300 euros) ou encore la République tchèque (332 euros) [2]. »
L’autre argument est celui de l’Europe. D’ailleurs, il n’est pas rare de trouver dans l’achevé d’imprimer, à la fin du livre, « imprimé en Europe ». Certes, ce n’est pas en Chine ou en Malaisie, mais lorsque l’on trouve cette référence, on se doute que ce n’est pas en France et que l’éditeur a préféré ne dire où… N’assumerait-il pas son choix ?

Finalement, imprimer dans les pays de l’Est n’est pas vraiment le problème, au fond. Loin de moi l’idée d’une préférence nationale ! Mais cela révèle, en revanche, un vrai souci quant au développement des idées anticapitalistes que d’aucuns classent sans suite sous l’appellation « utopie ». Est-ce effectivement une utopie de croire que la faillite du capitalisme peut résider dans nos comportements, au quotidien, au boulot, face aux patrons, avec les armes qui sont les nôtres (grève, boycott, pratiques raisonnées, entraide, solidarité, prix libres, échanges, DIY, etc.) ? Est-ce que, pour reprendre une expression de John Holloway, « la révolution ne consiste pas à détruire le capitalisme, mais à refuser de le fabriquer » ?

Charlotte Dugrand

[1« Indépendant » peut porter à confusion, Gallimard étant, par exemple, un éditeur indépendant…

[2Luc Peillon, « Les écarts de Smic se réduisent en Europe », Libération, 27 février 2015. http://www.liberation.fr/economie/2015/02/27/les-ecarts-de-smic-se-reduisent-en-europe_1210871

À propos de trois collections d’intervention

jeudi 14 mai 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Article publié dans La Révolution prolétarienne (n° 788, mars 2015, p. 28-29).

À propos de trois collections d’intervention

Depuis une petite dizaine d’années, le paysage éditorial s’est profondément transformé avec, d’une part, une logique financière et managériale de plus en plus accentuée de la part des grands groupes éditoriaux intégrés ou non à des multinationales, de l’autre une floraison de petites structures indépendantes qui conjuguent engagement social et créativité tous azimuts. Il serait trop long d’en dresser un panorama, même partiel, mais, à titre d’exemple, examinons ici trois collections de trois éditeurs différents qui embrassent un large spectre des préoccupations et des problématiques des principales composantes de la gauche radicale actuelle, du trotskisme classique aux milieux de la décroissance en passant par le mouvement libertaire.
Pour le premier, l’organisation trotskiste l’Union communiste, plus connue sous le nom de son hebdomadaire Lutte ouvrière, est à l’initiative des éditions Les bons caractères, fondées en 2004. L’objectif général est le suivant : « Nous voulons faire découvrir ou redécouvrir des documents, des romans historiques et sociaux, des témoignages et des ouvrages théoriques qui contribuent à la défense des idées progressistes, laïques, sociales, antiracistes et antixénophobes. » Le catalogue comprend cinq collections. Il y a d’abord « Classiques » (avec des auteurs comme Karl Kautsky, Paul Lafargue, David Riazanov, Alfred Rosmer et Trotski) et « Histoire » qui comprend cinq titres parmi lesquels on retiendra tout particulièrement De l’Oncle Tom aux Panthères noires de Daniel Guérin et le classique de Jacques Danos et Marcel Gibelin, Juin 36. Il y a ensuite « Roman » où figurent entre autres Les Damnés de la Terre de Henry Poulaille, La Paix d’Ernst Glaeser et la monumentale trilogie du Finlandais Väinö Linna, Ici sous l’Étoile polaire, sur l’histoire de son pays de la fin du xixe siècle aux années 1950, à travers une famille de la région de Tampere. La collection « Témoignages » présente les indispensables Moscou sous Lénine d’Alfred Rosmer avec la belle préface que lui consacra Albert Camus et Autobiographie de la syndicaliste et socialiste américaine Maman Jones. C’est à la dernière, sans doute la plus originale, que nous allons nous intéresser ici. Dénommée « Éclairage », cette collection a démarré en juin 2010 avec l’« ambition de contribuer à la compréhension de la marche de l’histoire et d’apporter son éclairage sur les éléments du passé, lointain ou proche, dont l’influence se propage dans l’actualité politique ou sociale ». D’un format de 115/162 pour environ 150 pages et 8,20 euros, elle compte douze volumes à ce jour et on ne connaît pas encore les prochains titres. Ceux-ci sont essentiellement historiques et concernent majoritairement l’histoire contemporaine. On y trouvera donc La Première Guerre mondiale, particulièrement utile après une année de commémorations consensuelles pour avoir un point de vue dissident sur les causes d’un conflit pour le repartage du monde entre puissances impérialistes, Proche-Orient 1914-2010 sur les origines et les évolutions du conflit israélo-palestinien, Italie 1919-1920. Les deux années rouges, sur la péninsule entre fascisme et révolution au sortir du premier conflit mondial, sur La Russie avant 1917, ou encore sur La question coloniale dans le mouvement ouvrier français. Les deux derniers titres parus abordent, en deux parties chronologiques, L’Opposition communiste en URSS à propos de la lutte des trotskistes contre le stalinisme à partir de 1923. Sur le long terme, deux ouvrages présentent une Histoire de la mondialisation capitaliste, de 1492 à nos jours. Deux titres remontent plus loin dans le temps : l’un traite de l’essor et des apports de La Civilisation arabe du VIIIe au XIIIe siècle ; l’autre aborde Les philosophes des Lumières. Enfin, dans un domaine différent, le neurobiologiste Marc Peschanski examine les rapports entre Le Cerveau et la pensée. D’un tirage moyen de 2 000 exemplaires, le tome I de Histoire de la mondialisation capitaliste en est à sa troisième édition, tandis que ceux sur La Première Guerre mondiale, L’Opposition communiste en URSS ou Proche-Orient 1914-2010 dépassent les 2 000 exemplaires vendus. Cette jeune maison d’édition militante aspire à créer une sorte de Que-sais-je ? d’extrême gauche avec une collection de poche présentant des synthèses claires et abordables sur des grands sujets historiques et politiques, voire scientifiques, qui conditionnent notre présent.

Dans un tout autre style, les éditions Le passager clandestin ont été créées en 2007 sur une problématique liée à l’écologie et à la critique sociale contemporaine : « Tandis que le réel nous glisse entre les doigts, affirme cet éditeur, nous voulons arracher à l’histoire quelques fragments de vérité, interroger sans complaisance l’ordre présent des choses… et rappeler à toutes fins utiles que cet ordre-là ne s’impose pas à nous comme une évidence. » Connues d’abord pour sa collection de rééditions de textes classiques du mouvement social (d’Auguste Blanqui à Élisée Reclus en passant par Jaurès, Lafargue, Thoreau, Tolstoï, Zo d’Axa et bien d’autres) commentées par des auteurs contemporains engagés, et par la collection « Désobéir » du mouvement des désobéissants (on retiendra tout particulièrement les titres sur le nucléaire, la publicité ou la voiture), ces éditions s’imposent depuis le début de 2013 avec une nouvelle collection, « Les précurseurs de la décroissance », dirigée par Serge Latouche. Un petit texte, qui figure au début de chaque titre, résume les intentions de la collection : « Le concept de décroissance est relativement nouveau. Le terme même de “décroissance”, réactualisé en 2001 pour dénoncer l’imposture du développement durable, est volontiers provocateur. Il s’agit de mettre l’accent sur l’urgence d’un constat : une croissance infinie de la production et de la consommation matérielles ne saurait être tenable dans un monde fini. Mais derrière cette idée de décroissance, il y a plus qu’une provocation. Une réflexion et une pensée sont en effet en cours d’élaboration. Dans un travail de recherche collectif, portant tout autant sur l’économie que sur la philosophie, l’histoire ou la sociologie, des intellectuels et des universitaires un peu partout dans le monde entreprennent de mettre au jour les principes et les contours de la société d’abondance frugale qu’ils appellent de leurs vœux. La collection […] a pour ambition de donner une visibilité à cette réflexion en cours. À travers la présentation de certaines figures de la pensée humaine et de leurs écrits, elle prétend, en quelque sorte, faire émerger une nouvelle histoire des idées susceptibles d’étayer et d’enrichir la pensée de la décroissance. Elle fournira ainsi à un large public aussi bien qu’au lecteur averti un état des lieux du travail en cours, en même temps qu’un répertoire commun de références parfois vieilles comme l’humanité, mais exposées ici sous un nouveau jour. Une collection qui veut montrer que la notion de décroissance est très éloignée de sa caricature – un tissu d’élucubrations de quelques arriérés sectaires désireux d’en “revenir à la bougie”. Une collection qui souhaite surtout contribuer au développement de l’un des rares courants de pensée capable de faire pièce à l’idéologie productiviste qui structure, aujourd’hui, nos sociétés. »
Chaque volume est au format 110/170 ; il comporte une centaine de pages pour 8 euros. Il comprend, sur le même modèle et dans les mêmes proportions, une introduction d’un chercheur contemporain, suivie d’extraits de textes de l’auteur, traité sous l’angle de son apport à la décroissance. La collection comprend à ce jour douze titres. Les six premiers auteurs abordés (Jacques Ellul, Épicure, Charles Fourier, Lanza del Vasto, Léon Tolstoï et Jean Giono) ont fait ici même l’objet d’une recension en lien avec la remise des grands projets inutiles qui, depuis le drame de Sivens et la contestation du projet de Center Parcs de Roybon, dans l’Isère, font depuis des mois la une de l’actualité, parallèlement à la contestation du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Les derniers titres sont consacrés à l’écologiste libertaire américain Murray Bookchin et au philosophe grec Diogène. Les deux prochains à paraître reviendront sur Lewis Mumford (par Thierry Paquot) et Theodore Roszak (par Mohammed Taleb). Parmi ceux à venir, sont prévus Georges Bernanos, Élisée Reclus, John Stuart Mill, Françoise d’Eaubonne…
Les auteurs les plus attendus sur la décroissance (Ellul, Castoriadis, André Gorz) n’ont pas eu de peine à trouver leur public avec des ventes comprises entre 1 500 et 2 000 exemplaires, en particulier quand Serge Latouche en a été le présentateur (Ellul, Castoriadis). Parmi les classiques, Lao-tseu et Épicure tirent leur épingle du jeu, un peu en dessous des premiers (environ 1 000). Les auteurs les plus éloignés a priori de l’idée de décroissance (Tolstoï, Fourier, Giono) ont plus de mal à percer, malgré l’intérêt de leur relecture à cette aune…
La force de la collection réside dans son adéquation avec les attentes du public en matière de pistes de réflexion sur des courants de pensée ignorés ou méconnus pour penser la critique du capitalisme dans un format concis et accessible.

Terminons avec Libertalia fondée en 2007 dans la mouvance libertaire. « À boulets rouges » a été créée l’année suivante comme une collection d’agit-prop. À ce jour, elle compte quinze titres. Les livres sont au format 165/110 (poche), cousus en cahiers de 16 ou de 32 pages sur papier Munken crème. La pagination ne peut excéder 200 pages et le prix de vente est inférieur ou égal à 8 euros. La charte graphique est visuellement agressive. Inaugurée avec les Propos d’un agitateur de l’anarchiste mexicain Ricardo Florès Magon, elle s’est poursuivie avec, entre autres, le Manuel du guérillero urbain de Carlos Marighela, La Terrorisation démocratique de Claude Guillon, Même pas drôle (sur la lamentable dérive de Philippe Val, de Charlie Hebdo à Sarkozy) et Éditocrates sous perfusion de Sébastien Fontenelle, Les Marchands de peur de Mathieu Rigouste sur les promoteurs de l’idéologie sécuritaire autour d’Alain Bauer, ou Les Prédateurs du béton de Nicolas de La Casinière sur la multinationale Vinci. Plusieurs ouvrages ont été portés par des collectifs (La Force du collectif, entretiens avec Charles Piaget ; Feu au centre de rétention ; Manifeste des chômeurs heureux). Dans ce cas, les bénéfices ou les nombreux exemplaires vendus directement ont pour objet de nourrir les luttes, intellectuellement et financièrement. Libertalia publie en moyenne deux titres par an dans cette collection, parfois trois. Les prochains à paraître en 2015 seront Lire la première phrase du Capital (John Holloway) ; Face à la justice, face à la police, un guide juridique écrit par un collectif antirépression qui reprend en une version revue et actualisée le livre paru en 2007 aux éditions de l’Altiplano. Enfin, en septembre 2015, paraîtra une petite enquête de Nicolas de la Casinière sur les PPP (Partenariats public-privé). Les tirages initiaux sont compris entre 1 500 et 3 000 exemplaires. Certains titres, comme Feu au centre de rétention, Les Marchands de peur, Manuel du guérillero urbain ont été réimprimés (trois fois dans le cas de Feu au centre de rétention). D’autres, comme Propos d’un agitateur (Ricardo Flores Magon) ou Les Prédateurs du béton sont en passe de l’être. Cette collection est diffusée dans les circuits classiques (librairies) comme dans des lieux plus militants (manifestations de rue, concerts, squats, infoshops…).

Ces trois collections d’intervention au format poche attestent de la vitalité de l’édition indépendante et de sa capacité à proposer de vrais petits ouvrages pour un large public dans des domaines très différents. Qu’il s’agisse de donner un nouvel éclairage sur de grands événements de l’histoire contemporaine, mettre à jour des idées méconnues ou oubliées rompant avec la logique productiviste du capitalisme ou proposer des petits brûlots sur des questions cruciales d’actualité, elle réussit le pari de s’adresser à un public qui dépasse, semble-t-il, ses réseaux habituels, en espérant qu’elle puisse élargir encore le cercle de ses lecteurs et toucher enfin le plus grand nombre auquel la plupart de ces livres sont destinés.

Louis Sarlin

Dix questions… à Libertalia

mardi 5 mai 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié en avril 2015 sur le Jacoblog.

Dix questions… à Libertalia

Huit ans. Huit ans que le drapeau rouge et noir de la flibuste livresque flotte au vent de l’édition indépendante. Huit ans et quelque soixante-dix bouquins de derrière les fagots de l’alternative culture libertaire, antiautoritaire et anticarcérale. Car publier un livre n’est ni une chose aisée, ni même une entreprise neutre. Il faut souquer, aimer le texte, tirer des bords, corriger le texte, ça gîte sec aussi parfois, souvent niveau finance mais les 40e rugissants en valent le coup, et c’est toujours une aventure de pirates où l’on va à l’abordage du lecteur. Dis-moi ce que tu publies et je te dirai qui tu es… et tu nous diras qui tu es plutôt. Libertalia est une maison d’édition qui nous montre que l’engagement c’est la vie et qui, en huit années d’un dur, laborieux, artisanal mais aussi jouissif labeur a su distiller dans son catalogue un fameux arsenal dialectique de critique sociale. La crique du capitaine mais sans capitaine, ni dieu ni maître. Ils sont trois flibustiers, Nicolas Norrito, Charlotte Dugrand et Bruno Bartkowiak, à faire voguer le navire Libertalia, aidés par une horde de pirates de la plume et du texte. Et nos trois matelots, pas ceux de la chanson bretonnante, ceux de Montreuil et Toulouse, viennent tout juste de sortir l’extraordinaire Des hommes et des bagnes du docteur Léon Collin. C’est un document totalement inédit sur l’enfer carcéral et colonial, une source majeure sur l’histoire des camps à la française découverte récemment par Philippe, le petit-fils de cet honnête toubib qui voyagea de 1907 à 1913 vers la Guyane et la Nouvelle Calédonie et qui eut l’heureuse idée de prendre des notes et des photographies. À travers ces clichés et ce texte, vous allez plonger dans le bas-fond des bas-fonds. Un voyage dont on ne revient pas totalement indemne même si les voyages sont à la mode. Nous avons interviewé Philippe Collin il y a peu. Les livres, l’édition, la prison, le bagne… À son tour, Nicolas pour a bien voulu, pour Libertalia, se soumettre au jeu des dix questions du Jacoblog.

Libertalia, c’est une maison d’édition anarchiste ? Pourquoi ce nom ?

C’est très clairement une maison d’édition issue du mouvement libertaire, puisqu’on vient de la contre-culture punk/redskin et du militantisme anarcho-syndicaliste et qu’au départ, on a pensé Libertalia comme le prolongement logique de nos autres activités : on faisait de la musique, on organisait des concerts, on animait un fanzine (Barricata), on prenait part à des tas de manifs, il manquait un maillon essentiel : l’objet-livre. Pour autant, Libertalia ne se limite pas à la rhétorique anarchiste, il s’agit d’une maison d’édition de critique sociale. Et du réformisme radical aux confins de l’autonomie, le spectre embrassé est large.
Le nom est emprunté à Daniel Defoe et à L’Histoire générale des plus fameux pirates, dont nous avons réédité les chapitres qui racontent l’aventure de cette mythique république égalitaire sise au large de Madagascar.

Qui fait quoi à Libertalia ? Où peut-on trouver vos livres ?

Nous sommes trois depuis les débuts. Bruno est le « directeur artistique ». Concrètement, c’est lui qui contrôle toute l’image de Libertalia : graphiste, dessinateur et Webmaster, il intervient également dans le choix des textes puisqu’on travaille selon la règle de l’unanimité (à trois, c’est quand même préférable !). Charlotte est correctrice pro pour Flammarion mais dédie une grande partie de ses semaines à corriger et à réécrire nos livres. On trouve des fautes dans nos ouvrages, mais peut-être moins qu’ailleurs puisque nous consacrons un temps considérable à vérifier toutes les informations, donc tous les noms propres, les dates, les références bibliographiques… En cela, on tente de s’inscrire dans la grande tradition militante des correcteurs d’imprimerie, aristocratie ouvrière et bastion des minorités révolutionnaires du siècle xx. Un jour on proposera un livre sur les correcteurs, car de Georges Navel à Benjamin Péret, en passant par Rirette Maîtrejean, May Picqueray, Daniel Guérin et Pierre Monatte, nombreux sont ceux dont on aimerait, fût-ce modestement, poursuivre la quête.
Mais Charlotte, pour revenir à elle, fait bien plus que la correction puisqu’elle intervient aussi au niveau de l’éditorial, de la diffusion, de la présence dans les salons, des relations avec les libraires et la presse, etc.
Quant à moi, je m’occupe principalement d’éditorial et du suivi avec l’imprimerie La Source d’or (Clermont-Ferrand) et le diffuseur Harmonia Mundi (Arles). Donc le plaisir d’éditer, la gratification symbolique, mais aussi la terrible angoisse des factures en retard.
Par ailleurs, on peut compter sur le soutien actif d’une bonne dizaine de copains et copines, qui nous aident en lisant des manuscrits, en suivant des traductions, en faisant une deuxième correction, en rédigeant des préfaces ou postfaces, en tenant les stands… Je ne vais pas les citer, mais sans eux, on ne tiendrait pas.
Où trouver nos livres ? Eh bien dans presque toutes les librairies de France et dans quelques lieux au Québec, en Suisse et en Belgique. Mais également dans beaucoup d’infoshops.

Avec une bonne soixantaine de titres au compteur depuis 2007, Libertalia paraît particulièrement dynamique et productive. Faut-il publier beaucoup pour vivre de l’édition ? Vous comptez vous arrêter quand ?

Plutôt 70 titres en réalité. On fait désormais entre 12 et 14 livres par an, nous n’arrêtons donc jamais. Nous ne vivons pas des ventes de la maison d’édition, même si nous arrivons à payer les traducteurs, auteurs, illustrateurs et parfois à dégager de (petits) compléments de salaires qui compensent ce que nous ne gagnons plus ailleurs. Prof de français en collège à Montreuil, j’opte pour un mi-temps à la prochaine rentrée, l’activité croissante de Libertalia – et ma santé physique comme mentale – l’exige. Mais arriverai-je à compenser la perte de fonds ? Rien n’est moins sûr. Si nous publions beaucoup, ce n’est pas par souci de faire de la trésorerie, mais parce qu’on a des projets plein nos cartons, qu’on nous soumet des manuscrits qui sont meilleurs qu’avant et qu’on a envie de publier tout ce qui est bon et œuvre en faveur de l’émancipation. Par conséquent, tu auras compris que nous n’avons absolument pas l’intention d’arrêter. On en reparle dans trente ans ?

Y a-t-il une ligne directrice dans le choix des publications ?

C’est une question difficile… On a une ligne éditoriale assez « musclée », mais elle continue à se construire – peut-être à s’affiner – au gré des publications, des rencontres et des envies. Nous avons en tête trois projets de nouvelles collections : théâtre en lutte, histoire de l’édition critique, jeunesse. D’une façon générale, la ligne de Libertalia est le reflet de ce que nous avons dans les tripes, de ce que nous ressentons, éprouvons, aimons ou rejetons. Je suis hanté par l’histoire du mouvement ouvrier, et des minorités révolutionnaires en particulier, cela se ressent nécessairement au niveau des publications ; préoccupé également par les résurgences xénophobes et autoritaires, par conséquent la lutte antifasciste traverse tout notre catalogue. Enfin, je suis sensible à l’esthétique de la marge et tends à magnifier tout ce qui vient d’en bas, des « émotions populaires » du xviiie siècle aux contre-cultures de notre temps.

Certains titres ont-ils été plus marquants que d’autres ? Quels sont les projets qui tiennent Libertalia à cœur ?

Je n’ai pas envie de revisiter toute l’histoire de Libertalia, ce serait long et puis on l’a raconté ailleurs (voir en particulier l’interview publiée par le site Article 11). La collection dont je suis le plus fier en ce moment, c’est la collection d’histoire intitulée « Ceux d’en bas », quatre livres au compteur, d’une très grande exigence (l’index du livre sur Charles Martel, mythe identitaire, comporte 600 noms !) et des tas d’autres en préparation plus ambitieux les uns que les autres. Je suis également content de ce que deviennent les collections « N’Autre École » (dédiée aux pédagogies) et « À boulets rouges » (textes d’actualité, agit-prop).
Si tu veux un coup de cœur, en voici un : Ma guerre d’Espagne à moi, très grand livre lyrique et passionné de Mika Etchebéhère, une femme capitaine d’une milice du POUM en 1936-1937, que nous venons de rééditer en collaboration avec Lola Montalant, des éditions Milena. Nous avons ajouté une préface et un glossaire (signés par Charles Jacquier, ancien animateur de la collection « Mémoires sociales » chez Agone), la correspondance de Mika et des Rosmer, des photos, et même un DVD correspondant à un reportage de 110 minutes où l’on marche sur les traces d’Hippo et de Mika, de l’Argentine à Paris en passant par Madrid.

On trouve dans le catalogue de Libertalia un grand nombre de rééditions. Pourquoi ressortir de vieux titres oubliés ? Une question de droits d’auteur ?

Quand je regarde le catalogue, je n’ai pas l’impression qu’il compte tant de rééditions que cela, peut-être 20 % des titres. Et souvent ce sont des ouvrages pour lesquels on verse encore une rente aux ayants droit. Je pense par exemple au maître-ouvrage de Christopher Hill, Le Monde à l’envers, publié chez Payot en 1976 par Miguel Abensour (à paraître chez nous en 2016) et dont les gros éditeurs exclusivement soucieux de leur gras portefeuille ne veulent plus. Il est vrai qu’en littérature, on publie beaucoup de petits textes patrimoniaux (Vallès, London, Lafargue, Defoe), mais on les fait illustrer et parfois retraduire, ce qui a un coût.

Les livres d’humour ne sont pas vraiment légion. Ne rigole-t-on pas à Libertalia ? De la même manière, on ne trouve guère de romans, noirs en particulier, et de polars. Est-ce un choix délibéré ou bien cela vient-il d’un désintérêt vis-à-vis de ces genres de littérature qui peuvent tout aussi bien que les autres véhiculer un message politique ?

Tu as raison. Si on regarde attentivement le catalogue, il donne le sentiment qu’on ne rit pas beaucoup au sein de Libertalia. Pourtant, à l’instar de Maïakovski, on défend l’idée qu’il faut « arracher la joie aux jours qui filent » et on aime la vie, la lumière, le vent et la beauté.
Pour te répondre quant au roman noir ou aux récits sociaux, à l’exception des deux livres de Thierry Pelletier (La Petite Maison dans la zermi et Les Rois du rock), je n’arrive pas à me satisfaire de ce que nous avons publié en littérature contemporaine et de ce que nous recevons comme manuscrits. Cela manque de souffle. Je crois surtout qu’on tient en trop haute estime la littérature et qu’on a considérablement élevé notre niveau d’exigence. Pour autant, je vais te citer quelques livres et auteurs qu’on aurait aimé éditer : d’abord deux vieilleries mais des chefs-d’œuvre : Le Bateau-Usine de Takiji Kobayashi (1929 ; repris par Allia en 2015) et La Bombe de Frank Harris (1908 ; première traduction en français par La dernière goutte, 2015) et ensuite deux auteurs français publiés chez Verticales : Maylis de Kerangal, en particulier pour Naissance d’un pont (2010) et Corniche Kennedy (2008), mais aussi Frédéric Ciriez, auteur de Des néons sous la mer (2013) et de Mélo (2008). Il se trouve que c’est le camarade Yves Pagès qui édite ces ouvrages. Il a naguère édité de bons bouquins d’histoire ou de puissants témoignages (La Révolution inconnue de Voline, Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag par Marinus Van der Lubbe) mais n’en fait plus et se consacre exclusivement (et fort bien) à la littérature. Est-ce à dire qu’on ne pourrait être à la fois éditeur d’histoire, de socio, de rock’n’roll, de textes de combat et de littérature ? C’est l’équation que Libertalia devra résoudre au cours des prochaines années.

Roussenq, Dieudonné, le docteur Collin, Gaston Leroux et son Chéri-Bibi… Pourquoi cet intérêt pour le bagne et l’histoire carcérale ? La prison, « vieille barbarie » pour reprendre l’expression d’Alexandre Jacob, est-elle un reflet de nos sociétés libérales ?

La Vie des forçats, le témoignage d’Eugène Dieudonné, a été notre quatrième livre (2007). Il est préfacé par Jean-Marc Rouillan, qui était alors embastillé à la prison de Lannemezan et qui a fort heureusement repris goût à la liberté. Nous avons poursuivi avec Feu au centre de rétention, autre poignant témoignage de sans-papiers enfermés à Vincennes. Puis avec L’Enfer du bagne, de Paul Roussenq, dont tu as signé la préface. Et avec le très beau livre du Dr Collin, que tu nous as proposé et sur lequel tu as largement œuvré en tant qu’historien et éditeur. On poursuivra avec Un médecin au bagne (1930), du Dr Rousseau, que tu nous as proposé il y a longtemps et qu’on a récupéré grâce au père de Charlotte, libraire d’ancien, spécialiste en littérature populaire et en crimino. Anecdote : c’est lui qui avait donné les textes d’Alexandre Jacob à Olivier (L’Insomniaque/L’Envolée) en le chargeant d’en assurer une première réédition. Puis tu as poursuivi la tâche.
La condition carcérale traverse toute l’histoire de Libertalia. Je hais l’enfermement et considère que la prison est le reflet paroxystique de nos sociétés. J’étais ravi d’assister à l’incendie du centre de rétention de Vincennes. Beau comme une prison qui brûle de l’ami Julius Van Daal est un de mes livres culte. Idem pour toute l’œuvre de Genet dont je chéris Le Condamné à mort et Journal du voleur. Je pourrais me lancer dans le couplet connu : « En 1936, Durruti libérait les prisonniers et brûlait toutes les prisons, la prochaine révolution refera le même chemin. » Mais ce serait un peu court, n’est-ce pas ? Je suis attentif à tout ce qui se fait en matière pénale et punitive dans les sociétés alternatives : au traitement des déviances dans la société zapatiste, par exemple.
Il y a vingt-cinq ans, les éditions ACL ont proposé une petite brochure très importante (téléchargeable ici) sur la prison en milieu libertaire. Concrètement, comment devra-t-on procéder pour mettre fin à la société d’enfermement tout en sachant que même en privilégiant largement l’éducation plutôt que la punition, il restera toujours un nombre substantiel de cas problématiques ? Je renvoie également à la longue interview de Jacques Lesage de la Haye et de Nicole Fontan que j’avais réalisée (avec Géraldine, la chanteuse de Cartouche) pour le fanzine Barricata en 2004. Elle ouvre le champ des possibles.

N’avez-vous jamais pensé à travailler sur l’histoire de l’illégalisme en général et sur celle de l’honnête cambrioleur Jacob en particulier ?

Le livre Au pied du mur. 765 raisons d’en finir avec la prison (L’Insomniaque, 2000) hélas épuisé, reste définitivement la somme à actualiser et à renouveler. Sur l’illégalisme et Alexandre Jacob, il semble que les éditions Nada proposeront sous peu deux textes. Pourquoi chercher à faire ce que d’autres font déjà ? On a bien un petit projet de livre sur le jeune Victor Serge, période Le Rétif, mais il risque de traîner dans nos cartons pendant encore un petit moment.

Des hommes et des bagnes du docteur Léon Collin qui vient tout juste de sortir propose une incroyable galerie de portraits d’hommes punis. Y a-t-il quelques figures qui peuvent retenir l’attention ? Finalement que retient-on après avoir lu ces souvenirs et vu ces photographies ?

Nous sommes très fiers d’avoir publié ce livre. C’est un incroyable témoignage de première main doublé d’un stupéfiant reportage photographique, qui pose quasiment un regard anthropologique (avec les préjugés de son temps) sur les bagnards et les surveillants de Guyane et de Nouvelle-Calédonie entre 1906 et 1914. Les carnets du docteur Collin proposent des clichés absolument inédits sur le transport à bord du bateau-cage La Loire, sur l’arrivée à Alger, sur le débarquement en Guyane. Grâce à ce bouquin, on peut mettre un visage sur des matricules, et cela rend vie à ces « hommes punis ». La photo de Jacob Law est saisissante, mais également celles de Manda, de Josepho, celle du père Macé, le tambour aveugle… Ce livre n’aurait été possible sans l’investissement de Philippe, le petit-fils de Léon Collin ni sans le tien, Jean-Marc. On doit aussi beaucoup au CNL et à la Ville de Saint-Laurent-du-Maroni pour le salutaire coup de main financier, car sans eux, nous aurions eu le plus grand mal à boucler le budget de cet ouvrage qui a coûté presque 20 000 euros en fabrication. Puisse ce livre trouver le lectorat qu’il mérite…

Le Constructivisme Punk de Bruno Bartkowiak

mardi 5 mai 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Interview publiée sur le blog Booketing le 8 janvier 2015.

Le constructivisme punk de Bruno Bartkowiak

Bruno Bartkowiak est un nom que j’ai longtemps cherché. Dans le sens du crédit graphique. Cela fait un moment que je suis de près le travail des éditions Libertalia et j’ai toujours apprécié les visuels de couverture (en plus du contenu des ouvrages). C’est un peu par hasard que je suis tombé sur le travail de Bruno, et quelle bonne surprise ! Aujourd’hui, je vous propose donc de découvrir son travail à travers la collection À Boulets rouges.

Qu’est-ce qui t’a inspiré pour les visuels de cette collection ?

L’identité graphique avec son logo et les illustrations de couverture de la collection « À Boulets rouges » se nourrissent à la fois du constructivisme russe et du langage signalétique. Ce sont deux de mes grandes influences pour l’ensemble de mon travail. Ici, suivant les couvertures, l’une peut être plus marquée que l’autre mais les deux sont toujours présentes. Un autre élément qui fait unité, c’est le choix arrêté des trois couleurs noir, rouge, et blanc ; trois couleurs caractéristiques, voire cliché mais c’est assumé, des différents courants socialistes et de critique sociale dans lesquels s’inscrit cette collection.
Le principe de trois couleurs se retrouve quasiment dans toutes les couvertures de Libertalia : généralement du noir et blanc avec une autre couleur. L’influence du suprématisme, et en même temps une référence aux illustrés populaires avec leur gamme de couleurs techniquement limitée – dans la même idée, depuis sa création, Libertalia fait appel à diver-se-s illustrateur-trice-s pour le contenu du texte, à l’image des romans populaires.
Ces doubles références, ce dialogue entre culture dite « savante » et culture dite « populaire », sont à la base même de tout mon travail. Pour « À Boulets rouges », comme dit plus tôt, on retrouve de l’avant-garde russe du début du XXe siècle tout autant que des principes du langage signalétique ou de la bande dessinée.
Ce qui fait lien aussi dans ces références et leur relation dialectique, c’est la simplicité apparente et la facilité d’accès au visuel ainsi créé. Il y a dans mon travail un rejet du maniérisme et du pédantisme inutiles, une recherche de l’efficacité mais sans compromis, réduction ou raccourci. Une vision et une praxis qui proviennent directement du mouvement punk, fondateur et directeur pour moi.

Qu’est-ce qui fait que les illustrations que tu as réalisées collent avec le contenu et le ton du bouquin ?

L’urgence et le ton direct du punk se retrouvent dans la collection « À Boulets rouges » dont le nom déjà parle de lui-même. Il s’agit de courts textes d’intervention, dans un format qui rappelle la brochure politique. L’habillage et les illustrations des couvertures jouent avec les codes associés à ce type d’ouvrage ; c’est revoir les relations que chaque élément entretient avec les autres pour réactualiser et étendre le discours produit – le punk est aussi un art du collage, du recyclage de clichés pour leur dépassement.

Comment tu es arrivé à bosser pour Libertalia ?

Encore le punk ! Je fais partie du noyau dur de Libertalia avec Charlotte et Nicolas. Avec ce dernier qui est à l’origine du projet, nous avons un long passé de projets communs ou se croisant dans la scène punk et redskin. Depuis la création de la maison d’édition en 2007, je m’occupe de la direction artistique. L’expérience et le métier sont venus consolider l’envie et la passion un peu inconscientes (punk quoi !) du début, et nous comptons aujourd’hui une soixantaine de titres à notre catalogue.

Des hommes et des bagnes, dans Vosges Matin

lundi 27 avril 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Recension de Des hommes et des bagnes dans Vosges Matin, 16 avril 2015.

Autre texte fort attendu par La Pigne : Des hommes et des bagnes. Un vrai beau livre coédité avec Libertalia. Il s’agit des souvenirs inédits du Docteur Léon Collin, qui a voyagé au début du XXe siècle sur le bâtiment La Loire, notamment en Guyane, où il soignait les forçats en route pour le bagne. Le médecin a visité chaque endroit, pris des tonnes de notes, 150 photos sur le bagne de Guyane et de Nouvelle-Calédonie. « Son petit-fils m’a transmis deux énormes carnets qu’il m’a fallu retravailler, annoter, expliquer. » Un an et demi de travail acharné pour le prof d’histoire, tandis que Philippe Collin se chargeait du volet archives – conséquent également ! « C’est une réflexion sur le bagne, l’enfermement, le crime et le fait divers. C’est une galerie de portraits de criminels, de gens connus incroyables. On sent très fortement la présence de Dreyfus, par exemple… Progressivement, le Docteur Collin va s’insurger contre l’institution bagne avant de la condamner totalement. On sent la mort. Les plaques photos sont terribles. C’est aussi un exposé des bagnes, on y parle d’élimination, on y parle de déchets. C’est un document d’histoire totalement inédit qui prend d’autant plus de force qu’il émane d’un homme de sciences. »

LC