Le blog des éditions Libertalia

Refuzniks dans Alternative libertaire

jeudi 8 février 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dans Alternative libertaire n° 280, février 2018.

Quarante-sept portraits de citoyens israéliens qui ont refusé de servir dans l’armée de leur pays sont photographiés, servis d’un texte percutant.
Des refuzniks comme on les appelle depuis que ce mouvement a essaimé avec la guerre du Liban. « Schministin, pacifistes, rescapés d’une tentative de suicide, réformés, réservistes », il faut du courage pour s’insoumettre dans un pays en état de guerre permanente où il est un devoir de protéger les frontières. Le photographe Martin Barzilai a commencé ce reportage en 2008 dans le village de Ni’ilin où des manifestations contre le mur avaient lieu. La préface d’Eyal Sivan est éclairante sur la situation des insoumis : « Le numéro d’identifiant militaire est appelé tout simplement numéro personnel… » Le professeur Leibovitz ajoute : « Ici, l’insoumission relève de l’héroïsme. » Taïr Kaminer, emprisonnée cent cinquante jours pour refus de servir une armée d’occupation raconte : « Cela fait partie de la problématique générale de ce pays, tout est relié à la peur. »
Que dire d’Omer Goldman, figure d’Antigone et fille d’un général membre du Mossad qui a passé deux mois en prison et dont le père promettait de venir lui jeter des cacahouètes en détention où il n’est finalement jamais venu la voir.

C. G.

Refuzniks dans Union pacifiste

mardi 6 février 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans le mensuel Union pacifiste, février 2018.

Témoignages de refuzniks

Beau livre émouvant de vérité disparate, document argumentaire donnant à voir des trajectoires individuelles aux motivations multiples et singulières. Pour ne rien gâter, la présentation typographique est agréable avec des photographies en couleur pleine page ; l’auteur, Martin Barzilai, d’ailleurs photographe, a choisi de dresser le portrait de près d’une cinquantaine de jeunes gens, et de moins jeunes, qui risquent la prison, et qui y vont, parce qu’ils et elles refusent de faire leur service militaire ou de combattre dans les territoires occupés par Israël. On estime à plusieurs milliers ces réfractaires qui, depuis la création de l’État d’Israël, ont refusé de servir à un moment ou un autre. Pour ne pas monter ces faits en épingle, la hiérarchie militaire préfère quelquefois en réformer les acteurs et les actrices.
Il faut savoir que sont dégagés de l’obligation militaire les Palestiniens citoyens d’Israël et les juifs religieux ultraorthodoxes.
Eldar Brantman pense que, « si Israël n’avait pas son armée, ce pays ne pourrait pas exister. La situation est compliquée car aucun pays limitrophe ne veut de nous. Je ne sais pas si une solution est possible. Nous sommes arrivés ici et les Palestiniens étaient déjà là. Nous sommes ici à cause de la Seconde Guerre mondiale, de l’Holocauste… Nous avions besoin de trouver une terre. Ce qui arrive aux Palestiniens n’est pas juste. Je comprends les deux côtés ».
« C’était important de défendre mon pays », déclare Avner Wishnitzer. Puis : « Je me suis rendu dans les territoires occupés avec des militants. Là, j’ai vu la façon dont vivaient les Palestiniens et comment se comportait l’armée. Aujourd’hui, l’armée ne protège plus Israël, mais défend le projet de colonisation. »
Pour Meir Amor, les Juifs, parce qu’il leur fallait un endroit pour vivre, ont pris leurs terres aux Palestiniens, mais que « le courage était aussi de trouver une solution pour la paix ». Pour lui, la société israélienne est une société de classes fondée sur une première spoliation des « Arabes » et sur une fracture entre Ashkénazes (venus d’Europe) et Mizrahim (venus du Maghreb ou du Moyen-Orient).
« On ne parle jamais de la violence employée contre eux [les Palestiniens]. D’un côté, nous colonisons leurs terres et nous les poussons dehors pour créer des colonies. Et, d’un autre, quand ils y sont hostiles ou violents, le discours est de dire que nous colonisons pour sécuriser Israël », rapporte David Zonsheine.
Il y a cependant un consensus pour dire que « chaque pays a le droit de se défendre, mais pas d’attaquer les civils ».
Le refus d’Alona peut paraître des plus prosaïques : « Je ne voulais pas être là », à l’armée ; « il n’y avait donc pas de raison pour que je le porte », l’uniforme. Pour Omri, une autre femme : « Tout a commencé par une prise de conscience autour d’une chose simple : la valeur de la vie. Je suis contre le fait de prendre une vie. Que ce soit celle d’un animal ou celle d’un être humain. Je suis vegan aujourd’hui et végétarienne depuis mon plus jeune âge. »
Tamar Katz est pacifiste : « J’ai toujours détesté toute forme de violence. »
Yasso, elle, déclare avoir « toujours été sensible à ce que vivaient les Palestiniens ».
Haggai Matar avait participé à un convoi pour la paix en Cisjordanie afin d’aider à reconstruire les maisons des Palestiniens qui avaient été détruites par l’armée. « Plus je me rendais dans les territoires, plus je comprenais que les soldats n’étaient pas les seuls responsables des violences, mais qu’il s’agissait de tout un système qui poussait à la brutalité. »
« La décision que j’ai prise à 17 ans, déclare Gadi Elgazi, était qu’il fallait refuser de servir de façon collective en le revendiquant, et non de se racheter une conscience individuelle dans son coin. »
En 1982, alors que l’armée israélienne envahissait le Liban, un vieil homme, dans une cinémathèque de Jérusalem, apostrophait l’assistance : « Je vous appelle à organiser l’insoumission collective. Je vous incite à la révolte. » C’était Yeshayahu Leibowitz, rare intellectuel à soutenir le refus.
La situation semble donc inextricable parce que la société israélienne dans son ensemble ne veut pas d’une paix qui « signifierait une transformation structurelle majeure : il faudrait traiter les Palestiniens d’Israël comme des citoyens à part entière, partager les terres et surtout changer la politique économique de la guerre en une politique économique de la paix ».
« Si on lit les déclarations des généraux israéliens, déclare encore Gadi Elgazi, on comprend que leur idée n’est pas de gagner contre les Palestiniens. Ils veulent “tondre la pelouse” : l’herbe pousse, et il faut régulièrement la couper, tous les deux, trois ou quatre ans. Et il faut habituer les Israéliens à un état de guerre permanent. »
En ce mois de décembre 2017, Donald Trump, président des États-Unis, a jeté de l’huile sur le feu en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël. Son initiative ne vise pourtant qu’à satisfaire sa base électorale en prévision de la campagne présidentielle de 2020. Le Monde, en sous-titre de son édition du 8 décembre 2017, écrit : « La reconnaissance de Jérusalem est très populaire dans la partie spécifique de l’électorat, celle des chrétiens évangéliques. » Quatre-vingt pour cent d’entre eux sont « convaincus d’un don divin d’Israël au peuple juif ».
Par ailleurs, la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) poursuit sa route sans doute trop discrètement.
L’espoir vient de ces refuzniks qui, bien que très minoritaires, posent des actes car « refuser, c’est simplement défendre la dignité humaine et signaler à nos amis palestiniens qu’il y a un futur à bâtir, ensemble, au-delà de la domination ».

Rappelons que, en 2016, Les Éditions libertaires ont publié Les Anarchistes contre le mur avec une présentation d’Uri Gordon et d’Ohal Grietzer (138 p).

André Bernard

Entretien avec Dominique Vidal dans L’Humanité

vendredi 26 janvier 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien réalisé par Pierre Barbancey, publié dans L’Humanité, 9 janvier 2018.

« Amalgame entre antisionisme et antisémitisme, la faute grave de Macron ».

Journaliste et historien, auteur de nombreux ouvrages consacrés au Proche-Orient, Dominique Vidal s’élève, dans un nouveau livre contre les accusations d’antisémitisme qui frappent tous les critiques d’Israël.

Si l’on en croit Emmanuel Macron, Manuel Valls ou encore Anne Hidalgo, toute critique d’Israël relèverait de l’antisémitisme. Cela ne masque-t-il pas un autre discours ?
Dominique Vidal : Sans ignorer Manuel Valls et Anne Hidalgo, qui font du zèle, ce qui me paraît le plus grave, c’est l’initiative prise le 16 juillet 2017 par le président de la République. Non content d’inviter - pour la première fois - le Premier ministre israélien, incarnation de l’ultranationalisme, à la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv et de lui donner du « cher Bibi », il a repris à son compte - pour la première fois aussi - l’amalgame de la propagande israélienne entre antisionisme et antisémitisme. C’est une faute politique, car on ne saurait transformer une opinion en délit. Les sionistes prétendent interdire l’antisionisme. Les communistes exigent-ils l’interdiction de l’anticommunisme, les gaullistes celle de l’antigaullisme ou les ultralibéraux celle de l’altermondialisme ?
Cette faute politique se double d’une erreur historique. Jusqu’en 1939, l’écrasante majorité des Juifs rejetait le projet sioniste. Et si, ensuite, le génocide nazi a poussé nombreux d’entre eux vers la Palestine, la majorité ne vit toujours pas en Israël. La majorité des Juifs du monde est-elle antisémite ?
Cette manœuvre est cousue de fil blanc : il s’agit pour Benyamin Netanyahou de faire taire les critiques de sa politique. De fait, il n’a jamais été aussi isolé dans l’opinion mondiale.

Les États-Unis viennent de reconnaître Jérusalem « capitale d’Israël ». Est-ce un tournant dans la politique états-unienne ? Quelles peuvent en être les conséquences ?
Non seulement cette décision viole les résolutions de l’ONU, mais elle tourne le dos aux positions affichées, de longue date, par leur diplomatie : contre la colonisation, pour deux États ayant chacun leur capitale à Jérusalem. Ce parjure sème le doute sur la parole des États-Unis et les disqualifie comme médiateurs.
Malgré l’isolement de Trump à l’ONU, cette provocation risque d’avoir de graves conséquences. Car elle encourage la radicalisation de la droite et de l’extrême droite au pouvoir à Tel Aviv qui, tout en accélérant la colonisation, veulent désormais annexer le reste de la Palestine. La Knesset a adopté une loi en ce sens le 6 février dernier. Une autre permettra l’annexion des cinq blocs de colonies situés à l’est de Jérusalem, « bétonnant » l’hégémonie juive dans la ville et interdisant la naissance d’une capitale palestinienne. Sans parler de la nouvelle loi « verrouillant » Jérusalem. Même le Likoud, jusqu’ici plus prudent, exige l’annexion de la Cisjordanie.
Au-delà, le président américain pourrait porter un coup mortel à la solution des deux États, au profit d’un seul État où les Palestiniens n’auraient aucun droit - un apartheid à l’israélienne…

La politique française au Proche-Orient a-t-elle changé depuis l’accession à la présidence d’Emmanuel Macron ?
Franchement, la politique proche-orientale du président de la République donne le tournis. Officiellement, il se prononce pour la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël avec Jérusalem-Est pour capitale. Mais il refuse de reconnaître cet État pourtant entré à l’ONU et à la Cour pénale internationale. En revanche, il semble être intervenu, fin 2017, en faveur de la libération de Salah Hamouri - il était temps !
Mais il n’y a pas que la situation en Palestine. La France d’Emmanuel Macron est absente du conflit syrien comme du chaos libyen. Elle se pose en libératrice du Premier ministre libanais, mais se tait devant les crimes perpétrés par l’Arabie saoudite et ses alliés au Yémen… À quand une grande initiative pour faire baisser la tension entre Ryad et Téhéran et empêcher qu’elle ne débouche sur une guerre régionale ?

Revenons sur la campagne menée par Boycott-Désinvestissement-sanction (BDS).
Sous la pression d’Israël et de ses inconditionnels français, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient mis le doigt dans l’engrenage de la criminalisation. Mais sur des milliers d’action, seules quelques-unes avaient été jugées.
Car ce n’est pas si simple. Il n’existe pas de loi réprimant le boycott. Et le jugement de la Cour de cassation de 2015 pourrait être « retoqué » par la Cour européenne des droits de l’Homme. Federico Mogherini, la ministre européenne des Affaires étrangères, a précisé : « L’Union européenne se positionne fermement pour la protection de la liberté d’expression et de la liberté d’association, en cohérence avec sa Charte des droits fondamentaux, qui est applicable au territoire des États membres, y compris en ce qui concerne les actions BDS. »
C’est une question de liberté, mais aussi d’efficacité dans la solidarité. Car il y a le boycott militant, mais aussi institutionnel : quand le Fonds de pension pour l’avenir de Norvège, la Danske Bank, la société de sécurité G4S ou encore Veolia et Orange se retirent des Territoires occupés, voire d’Israël, on comprend l’inquiétude des dirigeants israéliens. En qualifiant BDS de « menace stratégique majeure », Netanyahou nous montre le chemin. La meilleure réponse à la radicalisation de Tel-Aviv et de Washington, c’est BDS !

Blues et féminisme noir dans Politis

vendredi 26 janvier 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Politis du 25 janvier 2018.

Leur voix est libre.

La philosophe et militante Angela Davis trouve dans le blues les prémices du féminisme noir.
Free Angela ! On se souvient de ce slogan et de l’image qui l’accompagnait, une femme noire incarcérée pour avoir fréquenté de trop près le Parti communiste américain et les Black Panthers. Angela Davis est une figure incontournable du Black Power et elle connut en France de nombreux soutiens - Jean-Paul Sartre, Jean Genet… -, actifs dans la mobilisation qui participa à sa libération.
On oublie souvent, toutefois, qu’Angela Davis est aussi philosophe, l’une des grandes théoriciennes des women’s studies américaines. Enfin traduit en français, Blues et féminisme noir est une étape importante de sa pensée. Un traité parfois jargonneux mais toujours stimulant, où elle explore les prémices du féminisme afro-américain.
Pour Angela Davis, ces prémices sont à chercher dans le blues, une tradition musicale dont l’étude permet de connaître les réalités des classes laborieuses noires américaines. Analyser le blues, c’est mettre le doigt sur une tradition orale qui, avant les formes écrites du militantisme, se faisait l’écho des maillages entre genre, classe et race. Le livre suit les trajectoires de trois chanteuses : Gertrude " Ma " Rainey, la " mère du blues " ; Bessie Smith, la citadine ; et Billie Holiday, transition vers le jazz. Il s’appuie sur un corpus de chansons nouvellement retranscrites et montre en quoi l’œuvre de ces chanteuses, taillant des " brèches dans le discours patriarcal ", a identifié les thématiques qui, à partir des années 1960, seront investies par les mouvements de libération des femmes.
Chez " Ma " Rainey ou Bessie Smith, on trouve des descriptions de violences conjugales, des récits d’humiliation dans une sphère privée dont on connaît la dimension politique. On note aussi un refus de se voir restreindre aux attributs traditionnels de la féminité : maternité, fidélité, sédentarité. Angela Davis voit dans cette liberté de ton un héritage inattendu de l’esclavage, qui, en supprimant tout droit au peuple noir, eut pour contrepartie d’aplanir les relations de genre.
Conscientes d’elles-mêmes, les femmes du blues ont donc su user de leur relative liberté pour montrer, à défaut de dénoncer. Au cœur de cette posture, des textes, des attitudes, mais surtout l’interprétation. C’est quand elle évoque Billie Holiday qu’Angela Davis est la plus passionnante. Montrant comment la voix de Billie, ses intonations, son oscillation entre intensité tragique et nonchalance provocatrice constituent autant de commentaires sur les textes parfois machistes et masochistes qu’elle interprète, Davis nous pousse à ne rien prendre au pied de la lettre et fait de son livre un grand essai sur les forces complexes du chant.

Pauline Guedj

Blues et féminisme noir dans L’Anticapitaliste

vendredi 26 janvier 2018 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans L’Anticapitaliste (16 janvier 2018).

À travers la vie et l’œuvre de trois femmes noires, chanteuses de blues et de jazz, Angela Davis nous propose de découvrir à la fois l’univers musical dans lequel elles se sont trouvé plongées mais aussi et surtout l’émergence d’un féminisme noir anticipant les grands combats féministes ultérieurs.

Si les discographes traditionnels du blues, généralement masculins, font plutôt la part belle aux hommes, Angela Davis nous fait partager le parcours des deux immenses " idoles " que furent Gertrude " Ma " Rainey et Bessie Smith. Des vies bousculées et bousculantes dans lesquelles les thèmes classiques du blues, la route et la misère sociale, se retrouvent au côté de la lutte politique et surtout de la libération sexuelle.

« Double langage » du blues
Écrits quelques décennies après la fin de l’esclavage, les textes des deux chanteuses finissent de briser les chaînes d’un système où privation de liberté et violence étaient le quotidien des hommes et des femmes. Elles s’acharnent à mettre en cause le statut de femmes au foyer en « prenant la route » et en affichant une liberté sexuelle qui ne manque pas de choquer, y compris dans la petite bourgeoisie noire. Les longs extraits de chansons permettent d’accéder au « double langage » du blues, où l’argot le dispute aux volontaires ambiguïtés des expressions.
L’évocation de la vie et de la carrière de Billie Holiday est l’occasion d’un autre décryptage. Une chanteuse entre blues et jazz dont la presse étalait le plus souvent les difficultés de la vie et dont les textes étaient moins systématiquement « sociaux ». Angela Davis décode un deuxième degré dans l’interprétation de Billie Holiday, qui ouvre plus logiquement sur le célébrissime Strange Fruit.
Au total, trois histoires de femmes qui donnent une belle place au féminisme noir sur la voie de la lutte pour la libération de toutes les femmes.
En prime, un CD de chansons de « Ma » Rainey et Bessie Smith. Si vous êtes en retard d’un cadeau de Noël…

Robert Pelletier