Le blog des éditions Libertalia

Handi-Gang sur le blog Albatros

mercredi 23 août 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Chronique de Handi-Gang publiée sur le blog Albatros (24 juin 2017).

L’autre jour une amie me dit qu’elle sort d’une colère noire, car on venait de lui expliquer au téléphone que la Tour Eiffel n’était pas totalement adaptée aux fauteuils roulants, que l’on n’y pouvait pas monter facilement. Je sens sa fureur. Je lui oppose un truc ironique. Comme c’est mon réflexe, comme pour me voiler la face. Pour éviter la colère. Ça sonne faux. Ça tombe à plat. Ça me dérange. Souvent j’arrive à tricher avec ça. Je lui dis que j’ai l’habitude. Que c’est révélateur que le plus grand symbole français ne soit pas totalement accessible. Moi je suis immunisé maintenant, pensais-je. Je tourne autour. Je m’y fais. Je me résigne. Je m’avoue vaincu et je fais pas chier, comme c’est la loi non écrite dans à peu près tout ce qu’on entreprend quand on est assis.
Et là, ce jour-là, je me dis qu’elle est belle sa fureur. Qu’elle est normale. Qu’elle découvre un peu ce que je vois chaque jour, jusqu’à en développer une certaine indifférence, un certain fatalisme, une certaine lâcheté aussi, que je suis assez malin pour faire passer pour de la sagesse. Mais en l’occurrence c’est de la triche. En réalité, j’ai la rage. Un truc rentré. Bouclé à double tour au fond du ventre, comme un démon qui me dévore en silence.
La vérité c’est que j’ai mal au bide.
Parce qu’à coups de litotes, on a atténué les choses. À coups de « mobilité réduite », d’initiales, de précautions, de démarches kafkaïennes et de circonvolutions diverses et improbables on atténue le scandale et l’injustice fondamentale.
La colère qu’on traîne de naissance.
Les simples mortels découvrent ce que ça fait d’être traités comme un problème, un symptôme, un numéro dans la stupeur de leur grand âge ou dans la maladie qui les fauche dans des hôpitaux déshumanisés. Moi j’ai su ce que c’était au premier souffle. Et depuis je me bats contre ça, à toujours demander, à avoir besoin d’aide, à remercier. À faire bonne figure. À démontrer que je suis charmant, intelligent, pour faire oublier l’éléphant dans la pièce. Pour qu’on se dise à quel point je suis extraordinaire malgré tout. Un exemple. Ce genre de foutaise.
On n’en parle pas. Ça ferait du mal. C’est pas joli.
La vérité nue, c’est que j’en ai marre. Que je n’en peux plus d’être en sursis, au bord du réel, juste toléré, à échafauder des plans de bataille pour aller juste à une soirée dont j’ai envie. À me ruiner en taxis parce que les trottoirs et les transports en commun sont encore impraticables. À me demander si je pourrais aller aux toilettes.
Alors plutôt que de développer cette indifférence ignoble, cette sagesse de pacotille, cette attitude qui ne dérange rien, j’admets que dans la belle colère de mon amie, j’ai vu le reflet de la mienne.
Parce que j’en ai ma claque, certains jours, de ne vivre qu’à moitié. En liberté conditionnelle.

Sur Facebook, Philippe Jaenada parlait de ce bouquin, de cette lecture où je n’irais pas, à l’autre bout de Paris. De cette fille qui parlait de handicapés qui n’en pouvaient plus et passaient à l’action directe. Peu de choses m’ont rendu violent. Il me dit que ma révolte à moi est d’une autre nature, par la culture et par les livres. Je lui réponds de se détromper, que j’ai depuis longtemps ce rêve de voir enfin ces handicapés angéliques s’énerver et tout exploser. Et parler de ce livre, c’est parler de cette envie de révolution. De ce qu’il réveille en sursaut. Et du soulèvement de ses personnages qui ressemble si fort à ce que je retiens. Et je n’ai pu résister au jeune Sam et sa bande, cette envie de réveiller les consciences, par leur activisme, j’ai connu une sorte de soulagement cathartique. Ou de défouloir.
Au fond, il n’y a que comme ça, par le choc, qu’on peut mettre fin à toutes les ségrégations. Sinon il y aurait encore des plantations de coton dans le sud des États-Unis, ou des descentes de flics dans les bars gays de San Francisco. On emprisonnerait encore Oscar Wilde. On tuerait encore Malcolm X ou Martin Luther King. Au bout d’un moment il faut forcer le monde à voir son hypocrisie en face. Et ce n’est pas en changeant un logo et en lui donnant une allure moins « victimaire » ou « stigmatisante » que les choses vont bouger. Il s’agit de se faire menaçants. Si un commerçant refuse d’adapter sa boutique, il s’agit de lui briser. Pas de lui coller une amende. Ces jeunes lycéens en font une démonstration assez éloquente.
Être une communauté et une minorité qu’on respecte et qu’on craint et pas pour laquelle on a de la pitié ou qu’on tente d’absorber, d’assimiler dans un négationnisme bienpensant. Si elle avait conscience d’elle-même et de son influence, elle serait de loin la plus forte du pays. L’intégration est d’ailleurs une escroquerie, une pensée de valide. Un handicapé demeure une anomalie à rectifier. Un grain de sable dans la matrice et dans les étiquettes. Je sais ce que ça coûte de tenter d’atteindre la norme d’un monde qui vous rejette. Ça exige bien davantage que des allocations, des places réservées (alors que beaucoup ne peuvent pas conduire) ou des plans inclinés. C’est adopter un autre point de vue et d’autres références. Ne pas comprendre l’autre avec nos codes, mais se mettre à sa place. Avec ses contraintes, ses douleurs, et sa fatigue. Et ne pas vouloir le changer. C’est incroyablement dur. Et ça n’a rien d’une empathie douce. Telle est ma colère. Que l’on soit encore considérés comme si gentils, si plaintifs, si inoffensifs. Ceux qu’on expose au Téléthon.
C’est tout ce qui s’est éveillé quand j’ai reçu Handi Gang de Cara Zina aux éditions Libertalia. Et j’ai su que je ne pourrais pas en parler comme d’un autre livre. Parce qu’il mettait des visages sur ma fureur, et que j’en perdais le sommeil, la nuit dernière à ourdir cette chronique. La colère montait. Comme un raz de marée. Une digue qui cédait, d’une manière violente et désordonnée. Exactement comme les actions du petit groupe qui, assez vite, dépassent son instigateur. Et deviennent presque terroristes. Et ça se comprend un peu. Il y avait toutes mes frustrations là- dedans. Et toutes les dérives incontrôlables d’une colère qui éclate et échappe à tout contrôle, parce qu’elle a trop longtemps été contenue. Cette révolte qui dépasse celui qui la provoque, comme un incendie qui découvre sa capacité de nuisance. Et cette mère magnifique, Djenna, écartelée entre la compréhension profonde de son fils et son envie (d’abord assez peu assumée), d’avoir une vie normale, épanouie, émancipée de ces problèmes. Prise entre la légitimité de sa résistance et la crainte des dérives violentes dont ce justicier est l’origine. Car au fond, c’est un récit de vengeance.
Évidemment, il y a des choses qu’on ne sait pas. Que vous ne pouvez connaître si vous ne les vivez pas, ces places près des sorties de secours au fin fond des théâtres « pour notre sécurité », les galères pour passer d’une classe à l’autre au collège, ces procès staliniens aux maisons du handicap pour vérifier que vous ne fraudez pas, ces financements qui trainent des années pour un nouveau fauteuil roulant, ces centres adaptés aux 400 diables où l’on veut vous parquer, avec des gens comme vous, parce que c’est plus facile et que vous y serez autonomes (avec une équipe de soignants pour vous superviser, je n’ai jamais pu y penser sans rire), ces ascenseurs en panne ou trop petits, ces chemins détournés, ces associations dépassées, ces organismes censés vous faciliter la vie et qui font tout le contraire en vous foutant inlassablement des bâtons dans les roues, le personnage de cette mère qui s’inquiète, se bat en permanence et tente de retrouver sa vie de femme et qui fait penser à ces proches qui sacrifient une partie de leur liberté à tout ça, à ces choses qui ne devraient pas prendre tant de place, à cette inquiétude de « que se passera-t-il à nos vieux jours ? », à ces allocations imprévisibles qui interdisent toute indépendance puisqu’elles sont même indexées aux revenus des conjoints…
La vérité c’est que rien ne marche. Et qu’on le fait croire. Parce que c’est mieux de détourner le regard et de dire qu’on s’occupe de ça. Qu’il faut être patient. Qu’on va encore repousser les échéances. La vérité, c’est que cette étrange forme de ségrégation se maintient dans une indifférence quasi générale.
Cette mise sous tutelle, sous-entendue et permanente, qui donne à vos moindres envies, à vos moindres gestes même les plus anodins l’allure d’un combat contre des moulins à vent. Cette cécité aussi d’une société mal informée qui n’a jamais vraiment bien compris, jamais vraiment bien réfléchi à la façon dont on devrait traiter la différence, la reconnaître en tant que telle dans toute son intégrité, et non la corriger ou l’ostraciser.
La vérité, c’est que j’ai bientôt 40 ans. Et que je serai mort avant que tout change. Parce que tout est d’une effroyable lenteur. Et qu’on ignore même toute cette réalité. D’être toujours considéré comme un enfant ou une charge, un caillou dans la chaussure de la société qui a intérêt à se faire discret. Un indésirable et un intouchable.
J’ai l’air cruel ? J’ai l’air ingrat ? J’ai l’air de mauvaise foi ? J’ai l’air d’exagérer ? On sent que vous n’attendez pas votre heure depuis 38 ans bien sonnés, à faire tout ce que vous pouvez pour enfoncer la porte et que votre destin commence. Alors ouais. Parfois. Comme il est dit sur le quatrième de couverture, comme on le voit tout au long du roman, on pourrait bien tout faire péter.
Certes le problème est délicat. Il est rare de le voir évoqué sous tous ces aspects, comme ici, et d’en voir soulignés la violence et surtout l’absurdité, d’une plume qui ne manque pas d’humour. Car bien souvent et avec un peu de distance ou de philosophie, votre vie ressemble à une farce dadaïste ou à un sketch des Monty Pythons. Je rêvais d’un Fight Club du handicap depuis des années. Cara Zina l’a écrit. Avec à l’intérieur tout ce dont je viens de parler ou presque. Et ça fait du bien. Ce ne sont pas des anges, ce sont des garnements qui revendiquent leur droit à l’être. Des ados dont les élans débordent. Et qui se débarrassent de ce fardeau dont les préjugés projetés sur eux les accablent.
Dans ce bouquin, les humiliés, les offensés, les dépendants revendiquent leur indépendance.
Et ça m’a fait du bien de savoir que je n’étais pas seul à avoir mal au bide. Ça me fait plaisir de voir ce sujet devenir de plus en plus un motif littéraire, bien loin des idées préconçues.
À éprouver en lisant cette envie violente et désordonnée de commencer à vivre.
Sur la dédicace, Cara Zina m’a écrit « salutations révolutionnaires »
Cette chronique sera ma manière de lui rendre son salut.
Et de lâcher les chiens.
Aux premières pages j’ai su qu’il ne pouvait en être autrement.
Il a changé un truc en moi ce livre, brisé un silence et une résignation dont je commençais à croire qu’elle était légitime.
Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux, coucou.

Nicolas Houguet

Yann Levy dans l’émission Dans quel monde on vit

mercredi 23 août 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Yann Levy (États d’urgence) était l’invité de l’émission Dans quel monde on vit du 20 juillet 2017, France Inter :
www.franceinter.fr/emissions/dans-quel-monde-on-vit/dans-quel-monde-on-vit-20-juillet-2017

Mirage gay à Tel Aviv dans Le Monde

mardi 18 juillet 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde, 14 juillet 2017.

Tel-Aviv, derrière l’eldorado gay

La chanteuse Dana International, le cinéaste Eytan Fox ou l’ex-mannequin Eliad Cohen, reconverti dans le tourisme gay, ont contribué à faire des « hommes d’Israël » (Men of Israel est le titre d’un porno à succès de Michael Lucas) des alternatives sexy aux fantasmes orientalisants des gays américains ou européens.
Le journaliste Jean Stern y voit l’effet d’une vaste stratégie de pinkwashing, quelques années de marketing ciblé ayant suffi à faire de Tel-Aviv un eldorado face à un monde arabe de plus en plus répressif. Doit-on soupçonner Israël d’employer les droits des LGBT pour redorer son image et faire ainsi passer au second plan l’occupation des territoires palestiniens ? Stern dénonce l’émergence d’un « homonationalisme » qui aligne le sort de cette communauté sur les politiques conservatrices et sécuritaires ou sur les intérêts du commerce, assignant par contraste les Arabes à un état moyenâgeux.
La charge est violente mais oblige à réfléchir : Stern rappelle que Tel-Aviv n’est pas une « bulle » et que les touristes gays viennent s’y amuser sans penser qu’à quelques kilomètres de là se trouvent des Palestiniens doublement victimes, soumis à la fois aux préjugés de leur communauté et au bouclage des terres.

J.-L. J.

Mirage gay à Tel Aviv dans Têtu

mardi 18 juillet 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Têtu (été 2017).

Menée par l’emblématique Jean Stern, cofondateur du magazine GaiPied puis journaliste à Libération, c’est très certainement l’enquête qui vous fera réfléchir à vos vacances. Tombent les masques… La réputation gay-friendly entretenue par l’État d’Israël – via son armée, ses chars de tourisme, ses images de sexualité décomplexée – est un outil de propagande massif. Stern s’attache à démonter point par point ce pinkwashing savamment orchestré, mirage rose d’ailleurs dénoncé par les LGBTQI palestiniens, mais également israéliens, juifs comme arabes. Édifiant.

Mirage gay à Tel Aviv sur Lundi.am

mardi 18 juillet 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur le site Lundi.am, « fiche de lecture », 12 juillet 2017.
[Voir aussi l’entretien avec Jean Stern]

En Tchétchénie, on persécute les homosexuels. Voici peu de jours, la radio rapportait que le gouvernement turc faisait tirer à balles en caoutchouc sur la Gay Pride place Taksim. Ces horreurs ne se produiraient certes pas en Israël. En effet, le pays est devenu « gay friendly ». C’est ce que nous rapporte Jean Stern dans ce Mirage gay qui est une enquête rondement menée sur l’entreprise de pinkwashing lancée par l’État israélien afin de séduire et d’attirer les homosexuels du monde entier. L’énoncé peut paraître caricatural, mais il ne l’est pas du tout. Nous avons bien affaire ici à une hénaurme opération de com’, comme aurait dit le père Ubu et qui, ce qui ne gâte rien, alimente aussi la pompe à phynances… « Lancée en 2009, la conquête publicitaire des gays aura pour cadre une opération plus globale, Brand Israel, “Vendre [la marque] Israël”. Principe de base : faire oublier l’occupation de la Palestine, voire son existence. » Le concepteur de l’opération est un diplomate, Ido Aharoni, qui a travaillé aux États-Unis avant de revenir au ministère des Affaires étrangères à Jérusalem. Il expose ainsi sa stratégie : « Chasser de l’esprit mondial le mur de séparation, Jérusalem et les hommes en noir, l’aspect guerrier et religieux du pays » et « faire du Web un allié » – en investissant pour cela tout l’argent nécessaire.

Aharoni pourra s’appuyer pour ce faire sur l’étude de l’image du pays offerte en 2005 à Israël par l’agence Wunderman, filiale de Young & Rubicam. Une image « épouvantable dans le monde entier », et qui va alors se dégradant y compris dans des pays considérés comme « amis » (États-Unis, pays scandinaves, Italie, Pays-Bas) : « Les gens n’ont pas envie de se rendre en Israël [qu’ils assimilent] à un pays en guerre dans une région dangereuse. » Wunderman repère tout de même des points forts : « la high-tech, associée à un “monde ouvert”, et le mode de vie à Tel Aviv ». Mais la high-tech, c’est d’abord et avant tout l’industrie militaire et sécuritaire, très en pointe effectivement, au point d’exporter 80 % de son chiffre d’affaires. Lucratif mais pas très glamour, comme le souligne Jean Stern : « Personne ne s’amourache d’un pays pour ses missiles connectés et sa maîtrise de la surveillance de masse […]. »

Tel Aviv, donc. L’idée d’Aharoni est d’en faire une sorte de Rio de Janeiro proche-oriental : « Quand les gens pensent au Brésil, ils ont en tête l’image d’un pays où l’on peut s’amuser et faire la fête, la samba, le carnaval de Rio, les plages. Pourtant, ce pays est un des plus dangereux du monde pour les touristes. » Et de rêver Israël associé, grâce à la vitrine de Tel Aviv, « aux cafés, aux plages et aux jolies femmes ». On voit que notre diplomate, hétéro et père de famille, n’a pas d’emblée pensé au public gay. C’est un de ses collègues qui a aussi été en poste aux États-Unis qui en aura l’idée. Il dira même qu’il vaut mieux vendre « la vie gay plutôt que la vie de Jésus aux libéraux gays américains ». La cible est identifiée : une clientèle riche en devises mais aussi en capital social.

La machine se met véritablement en route en 2007. Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères crée cette année-là une « cellule pour piloter le marketing du pays, la “Israel Brand Management Team” », dirigée par Aharoni. Saatchi & Saatchi, grosse agence de pub internationale, lui offre gracieusement ses services, dont le premier consiste à remplacer le slogan jugé ringard et clivant « The Jewish Heritage » par « Innovation for Life » pour caractériser le pays. La Brand Management Team renforce les moyens des offices de tourisme en Europe et aux États-Unis, lance des campagnes de pub dans le monde entier, finance des sites qui donnent une image lisse, pacifiée, bref attractive du pays (par exemple, en France, coolisrael.fr) et enfin organise en 2010 une conférence « à l’iDC d’Herzliya, la principale université privée du pays, mélange de Sciences Po et de HEC » sur le thème : « Gagner la bataille de la narration. » Il s’agit de présenter Israël comme un pays « fun et créatif », loin de toute idée d’occupation de territoires, de colonisation, bref de guerre et de violence.

Tel Aviv est comme prévu en pointe de l’offensive. La ville adopte d’abord un slogan qui « sonne bien aux oreilles des branchés et des gays, souvent oiseaux de nuit » : « La ville qui ne dort jamais. » Dans la foulée, elle finance la création d’un centre gay et lesbien pour « fédérer et évidemment encadrer le tissu associatif. » Non seulement elle investit 750 000 euros dans le bâtiment, mais elle prend en charge le budget de fonctionnement avec onze salariés. Tel Aviv organise aussi en 2009 le congrès annuel de la International Gay and Lesbian Travel Association : « Plus de quatre cents participants répondent présents et sont traités aux petits oignons. » Enfin, la municipalité et le ministère du Tourisme « décident conjointement d’investir 80 millions d’euros dans une campagne mondiale de marketing à destination des gays et lesbiennes. » La conception est confiée à Outnow, « un cabinet spécialisé dans le marketing gay basé aux Pays-Bas qui travaille pour des marques comme Orange, IBM, Lufthansa, Toyota ou des villes comme Berlin, Vienne et Stockholm. »

Et tout ça fonctionne à merveille. Jean Stern décrit la « Semaine de la fierté » de Tel Aviv, et les réponses évasives des touristes gays à ses questions autour des territoires occupés et des Palestiniens : « Oh, je ne sais pas trop, c’est compliqué… » «  It’s complicated » est la réponse à toute interrogation qui dépasse le cadre de la rencontre homosexuelle. L’un des ingrédients de la réussite de ce pinkwashing est le recyclage d’une certaine tradition « orientaliste gay » : les fantasmes autour de l’homme arabe. Cela peut paraître paradoxal au premier abord, mais cela ne l’est pas vraiment. En fait, il n’y a plus vraiment d’« homme arabe » disponible, voire docile, aujourd’hui – ceux des pays musulmans comme ceux des banlieues métropolitaines apparaissent comme plutôt dangereux aux yeux des bourgeois gays. Il est bien fini, le joli temps des colonies. Enfin, presque, puisqu’il en survit quelques-unes parmi lesquelles Israël occupe une place de choix… Ce n’est pas la moindre perversité de l’opération que d’utiliser – avec ou sans leur consentement – les jeunes gays juifs sépharades et palestiniens comme appâts sexuels pour les « homonationalistes » CSP+ et CSP++ blancs qui débarquent par charters entiers dans ce pays ou l’armée elle-même donne l’exemple en diffusant des photos de soldats qui déambulent en se tenant tendrement par la main…

Jean Stern rappelle aussi qu’à l’inverse, la même armée d’occupation n’hésite pas une seule seconde à se servir des informations qu’elle peut obtenir sur des homosexuels des territoires occupés : ainsi, l’unité 8200, brigade de surveillance électronique de l’armée, a pour objectif, entre autres, de « repérer des homosexuels et des lesbiennes » dont on pourra faire des collaborateurs en menaçant de dévoiler leur homosexualité à leur famille et à leur entourage – ce qui peut leur coûter la vie.

« Innovation for Life », disiez-vous ?