Le blog des éditions Libertalia

Le Roi Arthur dans Entrée libre sur France 5

jeudi 18 mai 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

À l’occasion de la sortie au cinéma du Roi Arthur de Guy Ritchie, l’émission Entrée libre du 17 mai 2017 sur France 5 rencontrait William Blanc.

Goualantes de la Villette et d’ailleurs

lundi 15 mai 2017 :: Permalien

Nous donnons ici à lire, en accord avec les éditions L’Insomniaque, l’avant-propos de Goualantes de La Villette et d’ailleurs (2017). Ne manquez pas d’écouter deux des 17 titres du CD qui accompagne ce livre : À la Roquette (Bruant), enregistré par le regretté Schultz et Le Sébasto (anonyme), repris par les Moonshiners avec l’ami Thierry – Cochran – Pelletier au chant. Et si vous le pouvez, filez quelques ronds à L’Insomniaque, rétif éditeur aux poches crevées.

  • À la Roquette - Schultz Télécharger

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  • Le Sébasto - Les Moonshiners Télécharger

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Goualantes de la Villette et d’ailleurs

Avant-propos

C’est en 1929 qu’Émile Chautard, ouvrier typographe qui, dit-on, passait plus de temps au zinc qu’au marbre [1], publia ces Goualantes de La Villette et d’ailleurs, jamais rééditées depuis. Fruit d’années de déambulations curieuses dans les quartiers populaires, c’est une plongée en chansons dans le Paris de la dèche et de la débrouille, entre la guerre de 1870 et celle de 1914-1918. L’auteur y donne à entendre la voix des pauvres dans les vastes zones d’ombre de la Ville Lumière, loin des cénacles fin-de-siècle.

Les goualantes recueillies par Chautard n’ont pour la plupart pas été mises en partition ni enregistrées sur phonogramme [2], même s’il est certain qu’elles ont été goualées dans des lieux mal famés de la capitale. Elles furent écrites comme elles furent chantées, non par des artistes en vogue mais par des anonymes, souvent très jeunes : pâles voyous et filles de joie, libres moineaux des rues ou rossignols tôt encagés. Elles sont pour la plupart en argot – non sa forme « littéraire », à la mode d’un Bruant ou d’un Pouget [3], mais le parler plus ou moins hermétique qu’affectionnait la frange irrégulière du bas peuple dans les faubourgs et surtout dans les bagnes et prisons, où l’argot était en quelque sorte la langue vernaculaire.

Ces goualantes reflètent la mentalité générale du prolétariat d’alors, indocile certes, mais souvent bornée – notamment très patriarcale –, autant qu’elles témoignent de sa relative liberté de mœurs et d’amours, comparée à l’hypocrisie bourgeoise en matière de plaisirs charnels, attestée par le roman, le théâtre ou la chronique judiciaire très parlante de l’époque.

La grande richesse des pauvres d’alors, c’est la jactance : l’amour de la conversation, une verve propice aux inclinations rebelles, une langue libre, franche, imagée et émaillée de jurons colorés, copieusement assaisonnée de sel et d’épices, et empruntant d’abondance à l’argot – lequel s’est affiné au fil des siècles dans la boue des bagnes et la bile des antagonismes sociaux. Comme l’a si justement dit Louis-Ferdinand Céline : « C’est la haine qui fait l’argot. »

Louis Chevalier a mis en lumière, dans sa sociologie des « classes dangereuses » parisiennes, les liens nombreux entre pègre et prolétariat. Chaque famille pauvre, ou peu s’en faut, compte, au temps des pérégrinations bistrotières de Chautard, au moins un gars ou une garce « qu’a mal tourné ». Pour les bourgeois de la Belle Époque et leurs sbires, aucun doute : partageux et marlous, pétroleuses et gigolettes sont de même engeance, car nés des mêmes ventres. Les uns et les autres sont enclins aux transgressions, poussés par la faim mais aussi, pour les plus intrépides, par une dangereuse fringale de prestige, de plaisirs, d’absolu. Céline, encore : « Presque tous les désirs des pauvres sont punis de prison [4]. »

Tandis que les anarchistes illégalistes qui se donnent le titre vindicatif d’expropriateurs veulent faire rendre gorge à la bourgeoisie, les rôdeurs des faubourgs ne cherchent qu’à se faire justice par leurs rapines – du moins ceux qui ne sont pas les prédateurs de leurs frères (et surtout de leurs sœurs) de classe, proies plus faciles que les rupins. La peur que la criminalité galopante, consubstantielle de l’urbanisation exponentielle, inspire aux possédants les pousse à se protéger – ce dont ils ont seuls les moyens. Car tout obéit à leurs frayeurs : des sergents de ville, plus frustes encore que leur gibier, aux juges, si féroces déjà envers les pauvres. Et la presse à grand tirage, propagatrice des hystéries collectives, dramatise le moindre fait divers : les apaches succèdent aux poseurs de bombe anarchistes dans le sempiternel feuilleton des grandes frousses théâtralisées de la bourgeoisie [5].

Et puis il y a Paris… La Babylone étincelante, bien sûr, où s’amassent en un rien de temps des fortunes, souvent vite dilapidées par des courtisanes ou volatilisées dans des faillites. Mais c’est aussi le Paname de Jehan Rictus ou de Casque d’Or, grouillant de mistoufle. Ici s’exacerbent les inégalités les plus criantes, ici se frottent, comme à Londres ou à New York, le monde du clinquant et le peuple de l’abîme. La Courtille, Whitechapel, le Bowery : même combat pour la survie des gueux propulsés de leurs vertes collines dans la gueule du Moloch industriel. Ici, comme là-bas, nombre de beaux messieurs et quelques belles dames viennent échapper à l’ennui conjugal dans les guinguettes ou les hôtels borgnes des bas-fonds. Ici comme là-bas, le dégoût de l’usine incite les filles d’ouvriers à se vendre à meilleur prix, sinon à moindre dégoût, sur les trottoirs ou dans les arrière-salles. Ici comme là-bas, le crime exerce une trouble fascination sur la société tout entière et donne lieu à toutes sortes de transpositions et de fantasmagories littéraires – d’où émerge l’improbable mais rassurante figure du policier salvateur : naguère universellement méprisé, ce personnage est en passe de devenir fétichique dans une société de plus en plus soumise à la force de l’État. Car, ici comme là-bas, les aléas de l’expansion économique et l’exode rural ont grossi les rangs de l’armée du crime, et partout l’on recrute des argousins, partout l’on bâtit des prisons [6].

Mais, à Paris comme nulle part ailleurs, non seulement l’histoire a ajouté toujours plus de faubourgs aux faubourgs, mais elle les a dotés d’une culture commune qui tend à l’insubordination et qu’on peut nommer l’esprit populaire parisien. Il a sa langue, mais aussi ses règles : ainsi celles, essentielles, de la haine des fliques et de l’ostracisme envers les balances. L’afflux des provinciaux puis des étrangers a peuplé ces villages happés par la ville et les a bigarrés, mêlant toutes les ambitions, brassant toutes les habiletés, dissolvant les anciens liens communautaires pour créer de nouvelles allégeances professionnelles, spatiales, affinitaires et éthiques : le turbin (légal ou non), le quartier, la bande, la bonne camaraderie entre bons zigues. Avec, sous-jacente, la mémoire des vaincus de la « ville des révolutions » : la sans-culotterie, les « géants de Quarante-Huit » et surtout la Commune, dont les survivants, encore nombreux au tournant du siècle, entretiennent la flamme dans les faubourgs [7].

Et c’est à cette histoire tumultueuse d’une ville-univers volontiers rebelle que s’adapte le vieil argot parisien que jaspinait déjà François Villon, le parler des amis, censément inintelligible à l’ennemi [8]… Il va peu à peu sortir de la sphère de la pure pègre, se métissant avec d’autres dialectes urbains, comme le verlan des taulards, le jargon des bouchers (largonji des louchébems) ou l’argot nerveux des typographes (tout naturellement compulsé par Chautard dans un autre de ses ouvrages), et toutes les trouvailles lexicales qui jaillissent du bistrot, inépuisable source d’inventions idiomatiques. Enrichi de locutions exotiques, l’argot se diversifie et se répand, jusqu’à pénétrer par bribes le langage courant, toutes classes sociales confondues, tandis que la littérature, tant populaire que d’avant-garde, s’engoue de ses tournures pittoresques. Le jargon corporatif des pègres irrigue et renouvelle le français formolisé par l’Académie…

Mais cette vulgarisation à rebours de l’argot parigot se traduit peu à peu par la domestication de ce dialecte dissident. Et le voilà qui s’altère et dépérit, jusqu’à sombrer dans une sorte de déréliction, à mesure que son aire linguistique originelle se modernise, se rétrécit et se déplace [9].

Car évidemment, aujourd’hui, le Paname des argotiers a cessé d’exister, sauf en d’ultimes recoins, tous menacés par quelque envahissante gentrification ou pétrifiante muséification. C’est dès l’entre-deux-guerres que la déportation des classes « dangereuses » a commencé – d’abord vers la zone (sur l’emplacement des anciennes fortifs qui enserraient Paris), nettoyée de ses rôdeurs et biffins pour y édifier les premiers logements sociaux, puis toujours plus loin hors les confins de l’agglomération, en banlieue, ce lieu des bannis. C’est aussi sur la zone que l’on tracera plus tard une autoroute circulaire, qui fait obstacle, telle une moderne muraille, entre les communes de banlieue et l’intra-muros. Par suite de cet exode hors des masures du faubourg, le « cadre de vie » d’une grande partie des pauvres a changé du tout au tout – et, certes, la plupart des familles ouvrières relogées n’ont guère regretté les taudis atrocement insalubres où elles s’entassaient auparavant et dépérissaient. Néanmoins, ainsi atomisées par l’urbanisme hygiéniste et rationaliste, elles y ont indéniablement perdu en complicités et en solidarités, en autonomie et en singularités culturelles.

C’est donc dans ces moins libres banlieues ouvrières que le parler des affranchis a dû se réfugier, dans la seconde moitié du XXe siècle, s’accroissant de vocables arabes ou tsiganes mais aussi de mots forgés par le commerce triomphant et véhiculés par l’audiovisuel, tandis que la plupart des anciennes locutions tombaient en désuétude. Coupé de ses racines faubouriennes, l’antique argot parisien s’est étiolé puis a fini par s’éteindre avec ses derniers locuteurs. Il n’en subsiste plus qu’un ersatz aussi morne que ces « cités » uniformes, hérissées d’angoissants monolithes cubiques et dépourvues d’espace public digne de ce nom, où l’hypnotique écran du maître a de longue date supplanté à la fois le bistrot et le bastringue – lieux ludiques où la vie partagée se dégustait dans l’instant et ne s’éloignait pas dans une représentation.

Apache.

Malgré la misère morale et matérielle des anciennes classes populaires, malgré leur alcoolisme endémique et leur lutte souvent sordide pour la subsistance, elles pratiquaient au bistrot un bavardage gouailleur, teinté d’expressions fortes, prolifique en rêves utopiques, en idées critiques ou en sagesse populaire. Cet art du bavardage entre compagnons ou voisins procurait une consolation modeste mais plus substantielle que l’incessante et inepte communication téléphonique ou les vacuités du show-biz, qui englobe et régit désormais à peu près tout ce qu’on nomme par antiphrase « culture », « politique », « sport » et « jeu », trop souvent devenus des instruments d’asservissement au système. Il y a longtemps que le gourdin du sergot ne suffit plus au maintien de l’ordre : il y faut en sus d’autres formes de matraquage.

La nostalgie persistante de l’ancien Paris populaire, parfois idyllique ou fantasmé, est une réaction inévitable à ces transformations urbaines et sociales qui, en assainissant et en poliçant la métropole, l’ont enlaidie et amputée de sa poésie, l’offrant en pâture à la spéculation immobilière et au tourisme de masse – sous la conduite et l’œil omniprésent des autorités. Les anciens quartiers ouvriers s’étant peuplés de cadres, d’artistes subventionnés, de lettrés, cette nostalgie a pris une tournure esthétisante, associée aux dernières traces (mieux documentées que les frasques des apaches) du Paname de la misère poignante : chansons « réalistes » à la Damia, romans à la Francis Carco et ces films de l’entre-deux-guerres dont le Paris plébéien fut le décor (et, souvent, la vraie vedette) – toutes mythifications dont le sombre lyrisme n’explique pas plus Paris que les pagnolades n’expliquent la Provence. À force de romantisme, on oublie aisément l’envers de ce décor et les tribulations de ceux qui s’y trouvaient englués : la pestilence et la promiscuité, le vin très mauvais et l’abrutissement alcoolique, l’esclavage accablant de l’atelier ou de la prison, et toujours cette mouise – jusqu’à la disette parfois – et toutes les bassesses qu’elle fait commettre aux frères humains.

Dans l’actuel simulacre de société, si riche en paradoxes, ce sont souvent les « colonisateurs » des quartiers populaires en voie d’embourgeoisement qui disent regretter le temps où la culture ouvrière y prévalait, alors même que c’est leur présence devenue majoritaire qui a parachevé son extinction, décidée par l’urbanisme d’État et accomplie par l’impitoyable mécanique de la hausse du foncier… Aussi certains d’entre eux cherchent-ils à se racheter en s’occupant d’« animer » ces quartiers, prônant la « mixité sociale », dernier avatar très racorni du fécond cosmopolitisme parisien, et allant même, pour les moins bégueules, jusqu’à frayer avec des pauvres. Car, nécessairement, il y a encore des pauvres à Paris… et même des gueux d’entre les gueux, surexploités et grelottant dans d’infectes masures, voire sans nul toit sur la tête. Mais ces ilotes y ont moins que jamais leur mot à dire, si ce n’est dans des poches de misère monocolores, qui sont autant de petits ghettos étouffants.

Émile Chautard a publié son recueil de goualantes onze ans après la fin de la Première Guerre mondiale. Cette hécatombe avait dépeuplé les faubourgs et sidéré la société, et ses diverses suites ont peu à peu transformé et « normalisé » la classe ouvrière parisienne, sans pour autant qu’il lui soit accordé son dû, le juste prix de ses afflictions et de ses sacrifices. Cette visite en chansons du Paris d’avant la guerre de 1914 n’est donc elle-même pas exempte d’une certaine nostalgie : quand elle parut, la misère elle-même avait changé de visage.

Le texte qui accompagne et éclaire ces goualantes fourmille d’anecdotes savoureuses et de détails intéressants. Il est aussi passablement décousu et ne prétend ni à l’analyse ni à la création littéraire, mais c’est un document très propre à nourrir et l’une et l’autre. Oscillant, à l’égard des goualeurs et gouapeurs, entre moralisme et sentimentalisme, le bonhomme Chautard, membre éminent et débonnaire de l’aristocratie ouvrière, et grand connaisseur des bistrots, n’en offre pas moins un aperçu vivant et diablement instructif de la canaille – ce ramassis d’enfants du malheur –, telle qu’elle se démenait pour survivre il y a quelques générations seulement.

Philippe Mortimer

[1Il est aussi l’auteur d’une excellente Vie étrange de l’argot, qui nous a servi à établir le petit lexique des mots d’argot parisien d’avant la Première Guerre mondiale que l’on trouve en fin de volume.

[2Nous avons tâché, dans le disque qui est joint au présent ouvrage, de combler quelque peu cette lacune (sans pour autant singer l’art musical populaire de cette époque). Il y eut cependant, dans les années 1960, des enregistrements de chansons d’apaches et de prisonniers, parmi lesquelles figuraient deux ou trois de celles transcrites par Chautard (voir la bibliographie en fin de volume).

[3Tout l’art poétique du très peu plébéien Aristide Bruant tenait à son habileté à parsemer d’argot ses chansons populaires, d’ailleurs fort réussies, sans qu’elles en devinssent pour autant incompréhensibles aux oreilles du commun des Parisiens. Quant au fils de notaire et militant anarcho-syndicaliste Émile Pouget, lui aussi contemporain des apaches, il reprit tout simplement dans son Père Peinard le procédé lexical dont usa le bourgeois déclassé Hébert dans Le Père Duchesne de 1793 (en moins ordurier, puritanisme anarchiste oblige) : ce n’était pas pour se faire mieux comprendre des ouvriers que le chantre du sabotage eut recours à ce vocabulaire populacier (aussi artificiel que les jurons graveleux d’Hébert), mais pour séduire les plus résolus d’entre eux en manifestant jusque dans le langage écrit une irrévérence extrême à l’égard de l’ordre des choses (et donc de la sacro-sainte instruction publique, qui occultait et extirpait avec une hargne égale l’argot en ville et les patois à la campagne).

[4Voyage au bout de la nuit. Ce n’est nullement un hasard si l’épigraphe de l’autre grand roman populaire de Céline, Mort à crédit, est extraite d’une chanson de prison qu’il avait dénichée dans Vie étrange de l’argot de Chautard :
Habillez-vous !
Un pantalon
Souvent trop court, parfois trop long.
Puis veste ronde !
Gilet, chemise et lourd béret,
Chaussures qui sur mer feraient
Le tour du Monde !…

[5Alors même que déjà se propageait l’effroi d’un casse-pipe mondial, la retentissante épopée de la bande à Bonnot donna lieu, dans la presse, à une spectaculaire confusion entre banditisme et subversion… À force d’être décriés, les forfaits des « bandits tragiques » acquirent symétriquement une sorte de gloire et engendrèrent un romantisme de l’illégalisme qui a eu une longue postérité.

[6Et l’on fomentait des carnages pour consumer les excédents de capitaux et immoler les excédents de main-d’œuvre : ainsi, pendant la Première Guerre mondiale, on « libéra » de nombreux détenus pour les envoyer en première ligne, et très peu en réchappèrent.

[7Le très intègre Zéphirin Camélinat (« l’orgueil du pays », selon une chanson fameuse), ancien responsable de la Monnaie sous la Commune, fut même en 1924 (à 84 ans, cinquante-trois ans après la Semaine sanglante) le candidat du Parti communiste français à la présidence de la République.

[8L’argot le plus cryptique n’était en fait impénétrable que pour les « caves » et les flics débarqués de leur province, mais il ne l’était bien sûr nullement pour les indicateurs de police et autres sycophantes des bouges, qui pullulaient dans la pègre – ce qui laisse penser que son emploi persistant relevait plus de la sécession linguistique que du moyen de défense.

[9Au début du XXe siècle, Paris comptait plus de cent mille débits de boisson. Il ne reste aujourd’hui guère plus de dix mille cafés, bars et restaurants dans la capitale, et certes ils ne sont plus très nombreux à mériter le qualificatif de « populaires ».

Interview de Léo Voline, 1995

jeudi 11 mai 2017 :: Permalien

Troisième fils de Voline, Léo Eichenbaum (plus connu sous le nom de Léo Voline, 1917-2002) a très tôt partagé les idéaux de son père. Au début de l’année 1937, il gagnait l’Espagne pour être incorporé dans la Columna confederal de la CNT.
L’entretien ici reproduit a été initialement publié dans le numéro 13 de l’excellente revue Itinéraire (1995).

Léo Voline.

Itinéraire : comment ton père a-t-il vécu la Révolution russe ?

Léo Voline : Il s’est donné totalement, à fond, comme toujours, tout au long de sa vie, que ce soit dans le domaine familial ou vis-à-vis de toute personne en difficulté. Il ne s’autorisait aucune excuse, aucune faiblesse, même si sa vie en dépendait. Condamné à mort par les bolcheviks, il a refusé de renier ses idées au prix de sa grâce, s’il se ralliait à eux. Il n’a jamais voulu jouer au leader et rester à Moscou avec les « anarchistes en chambre ». « Heureusement, disait-il, ce ne sont pas eux qui feront la révolution. » Et c’est ainsi qu’il est parti rejoindre le mouvement insurrectionnel makhnoviste en Ukraine, dès qu’il en a eu connaissance. Mon père s’est toujours tenu en retrait, proclamant face aux masses : « Moi, je ne suis rien, c’est à vous d’agir, de décider, de vous organiser. C’est vous qui connaissez le mieux vos problèmes. Je peux simplement vous conseiller. » Son respect pour tout individu était total. Pour lui, tout le monde était bien et, dans le cas contraire, la société en était responsable. À mon avis, même s’il y a une part de vrai, il était bien souvent trop indulgent. Il n’imposait jamais son point de vue à quiconque. Un jour, je devais avoir environ 14 ans, je lui ai demandé : « Quelles sont tes idées ? » Il m’a répondu : «  Ne t’occupe pas de mes opinions, cherche ta vérité toi-même. »

[…] Je n’ai connu mon père que vers l’âge de 5 ans, lorsque emprisonné dans la prison Boutirki de Moscou et condamné à mort, il fut libéré sous condition de quitter le pays grâce à l’action déclenchée par une délégation de syndicalistes révolutionnaires européens, avec à leur tête le Français Gaston Leval qui fit un véritable scandale… Je ne peux donc me souvenir de rien, en ce qui concerne mon père, avant cet âge. Il ne me reste en mémoire que ce qui concerne notre vie de tous les jours, avec en toile de fond un village : Bobrów, au nord de l’Ukraine, et… les larmes de ma mère, seule avec trois enfants, sans nouvelle de mon père : était-il mort ou vivant… Et la faim… La nourriture constituait le problème majeur, on ne parlait que de cela. Je me souviens d’une vieille paysanne qui vivait avec nous et qui aidait ma mère. Un jour, notre chat qui ne mangeait que des souris – il y en avait beaucoup – surgit avec un gros morceau de viande dans la gueule, chapardé on ne sait où. La « babouchka » a bien mangé ce jour-là.

Makhnovchtchina.

Comment ton père, issu d’une famille bourgeoise, a-t-il été amené à devenir un révolutionnaire ?

Il m’a raconté comment, vers l’âge de 14 ans, scandalisé en général par le sort des gens du peuple et en particulier par celui de leur propre bonne, Anita, une fille de 16 ans, toujours première levée et dernière couchée, n’ayant droit qu’à deux ou trois heures de sortie le dimanche, il demanda à sa mère comment elle pourrait construire sa vie, rencontrer un garçon… Sa mère lui répondit : « Ne t’occupe pas de cela ou tu finiras en Sibérie ! » C’est exactement ce qui s’est produit neuf ans plus tard, lors de la révolution de 1905. Il fut déporté à vie, à 23 ans.

Comment avez-vous vécu l’exil ?

Nous avons quitté la Russie, marqués par les privations, amaigris, avec pour toute fortune deux valises. Il faut avoir connu cela pour savoir ce qu’est la famine, avoir vu les cadavres dans les rues, morts de faim… La misère nous a accompagnés en Allemagne. Nous étions cinq enfants, les deux aînés étant de la première femme de mon père. Nous nous sommes installés dans deux pièces louées aux environs de Berlin. On voyait très peu mon père car il travaillait dans la capitale comme comptable, me semble-t-il. Pour compléter ses revenus, il donnait des leçons de langue (russe, français et allemand). C’était une période difficile, mais nous étions heureux. Mon père paraissait vivre son rêve de société meilleure, toujours de bonne humeur, optimiste… L’harmonie régnait dans la famille, jamais une dispute… Puis, au bout de trois ans, nous avons emménagé à Berlin. Mon père faisait des démarches afin de quitter l’Allemagne pour la France. On commençait à voir défiler les Jeunesses hitlériennes, des meetings, des bagarres. Mon père partait souvent pour donner des conférences. Ma mère tremblait pour lui, ne vivait plus. Nous n’allions plus à l’école, prêts au départ. Nous étions toute la journée dehors vu que pour toute la famille – sauf les deux frères aînés qui vivaient chez des amis – nous n’avions qu’une mansarde sous les toits pour la nuit. Avec ma sœur Natacha, nous passions une grande partie de notre temps sur les courts de tennis qui jouxtaient notre immeuble. De riches Berlinois y venaient et nous courions toute la journée pour ramasser leurs balles, ce qui nous faisait faire du sport et nous permettait de ramener un peu d’argent à la maison. Notre père tenait nos comptes. Plus tard, en France, en 1929, cela m’a payé mon premier vélo. C’est en 1925 que nous avons enfin obtenu l’autorisation de venir en France, d’où mon père avait été expulsé…

En 1916, je crois…

Oui, apprenant qu’il devait être arrêté et interné, suite à une dénonciation, pour avoir rédigé un tract contre la guerre, il s’est enfui, a rejoint Bordeaux et s’est embarqué comme soutier sur le La Fayette sous le nom de François-Joseph Rouby. Au cours du voyage, épuisé, les mains en sang, il pensa se rendre au capitaine mais, aidé par les autres soutiers, il tint jusqu’à l’arrivée aux États-Unis et y resta jusqu’au déclenchement de la Révolution russe. Il a fait savoir à ma mère, toujours à Paris, qu’il regagnait la Russie en passant par le Japon et la Chine, et il lui demandait de le rejoindre. C’est ainsi que nous embarquâmes à Brest sur le Dvinsk, paquebot russe faisant partie d’un convoi, le 5 août 1917. Le convoi fit un large détour, descendant d’abord dans la direction de l’équateur, puis dans une large boucle s’orienta vers le nord, pour finir par passer au nord de l’Angleterre, car les mers et l’océan étaient infestés de sous-marins allemands. Un paquebot fut même coulé en cours de route et nous arrivâmes à Arkhangelsk le 20 août 1917.

Et, en France, comment cela s’est-il passé ?

Lors de notre retour en France en 1925, nous avons d’abord été hébergés par de vieux amis de mon père, les Fuchs, rue Lamarck à Paris, le temps de trouver un logement. Mon père n’a jamais voulu loger dans les grandes villes, « pour la santé des enfants ». Grâce à Henri Sellier, sénateur-maire de Suresnes, nous avons obtenu un logement dans la cité-jardin de Gennevilliers qui venait d’être bâtie. Nos conditions de vie restaient très difficiles. Je me souviens qu’un jour mon père se mit à rire : « Il nous manque cinq centimes pour acheter un pain ! » Mais il tenait à ce que nous fassions des études malgré tout, d’autant plus que certains camarades lui avaient reproché, vu sa vie de militant, d’avoir eu des enfants. Les deux aînés, n’aimant pas l’école – il est vrai qu’arrivés à 13 et 15 ans dans un pays dont ils ne connaissaient pas la langue –, préférèrent apprendre un métier dans une école de mécanique. Natacha choisit la danse : son professeur fut la célèbre étoile des ballets russes, devenue princesse Ksichinskaya, maîtresse du tsar Nicolas II. Mon père l’a rencontrée et, après une longue conversation, l’a jugée très bien, mais lui a dit : « Cela n’a rien à voir avec mes idées, ma fille veut faire de la danse… » Moi, j’étais très bricoleur et démontais tout, même la machine à coudre de ma mère, pour voir comment cela marchait. On m’orienta donc vers le technique où je réussis très bien. Mon père travaillait comme comptable ; il y ajouta un travail complémentaire de maroquinerie à domicile. C’est souvent, avec ma mère, qu’ils ne dormaient pas de la nuit afin d’achever une commande. Aussi, ayant rapidement appris, je les aidais souvent le soir, jusqu’au jour où j’ai décidé d’arrêter mes études pour travailler. J’ai fait plusieurs entreprises, comme radiotechnicien, avant le déclenchement de la guerre d’Espagne.

La Colonne Durruti.

Tu y as participé, comment cela s’est-il passé ?

Pour moi le problème était simple : du moment que je militais pour une société de forme libertaire, il était logique de rejoindre ceux qui luttaient pour une telle société. Des responsables espagnols venaient à la maison, j’assistais aux rencontres avec mon père. Il s’agissait souvent d’achats d’armes, mais auparavant il fallait trouver de l’argent en vendant des titres et autres valeurs récupérés dans des banques espagnoles. Il m’est arrivé de rouler dans Paris, accompagnant les porteurs de valeurs, un pistolet dans ma poche. Ça faisait très « cinéma ». En novembre 1936, voyant que cette guerre n’était pas qu’un feu de paille, je décidais de partir. Mon père m’a dit : « Réfléchis bien car c’est toute ta vie qui en sera bouleversée. » Le temps de tout régler et je suis parti le 14 janvier 1937. Je venais d’avoir 20 ans. En fait, c’est presque tout le petit groupe libertaire du 15e arrondissement de Paris qui est parti : cinq garçons et une fille. C’est la CGT-SR qui a organisé le départ. Un prétendu contrôle d’identité a eu lieu à la frontière, mais les policiers français avaient reçu des ordres pour laisser filer tous ces indésirables.

Je ne croyais pas du tout au succès des forces républicaines. Je songeais sans cesse qu’aucun parti politique, aucun gouvernement, d’aucun pays, ne peut admettre la victoire d’une force à dominante libertaire. J’ai observé plus tard combien j’avais vu juste… Tous ont trahi : depuis le gouvernement républicain qui ne donnait pas les armes au peuple, en passant par les communistes qui faisaient encercler nos unités par les fascistes, en ouvrant la ligne de front. De mon unité de plus de 4 000 hommes, il en est resté 532 pour sortir de l’encerclement le 6 février 1938, après 24 heures de bataille. On n’a pas suffisamment parlé des Américains qui ravitaillaient Franco, pendant que l’Angleterre et la France, d’accord avec la Russie, prêchaient la non-intervention. […]

À notre arrivée à Barcelone, à peine descendu du train, notre petit groupe s’est vu entouré par une bande de communistes : ils nous recevaient à bras ouverts pour nous embrigader dans leurs unités. Heureusement un groupe des Jeunesses libertaires – très puissantes en Catalogne – nous attendait aussi et les a fait déguerpir. J’avais l’idée, vu ma formation de radionavigant, de m’engager dans l’aviation républicaine. Après quelques démarches, on m’a envoyé à Valence pour y être incorporé. M’étant présenté dans le bureau qui en dépendait, je fus reçu par un employé assis derrière son comptoir. Au même moment, trois officiers supérieurs qui venaient d’arriver m’entendirent et, souriants, me mirent la main sur l’épaule en me disant en français : « C’est très bien, on t’emmène de suite ! » Je réagis très vite : « Mais vous m’emmenez où ? » Réponse : « Dans les Brigades internationales !… » J’ai reculé vers la porte, en disant : « Avec les communistes, jamais ! » M’étant renseigné, j’appris qu’une colonne anarchiste allait rapidement monter au front pour relever la Columna de Hierro (Colonne de fer), plus ou moins décimée après six mois de front. Je me suis donc présenté devant un responsable pour m’engager dans une colonne de la CNT, la Columna confederal, sous le nom de Léo Voline. Il était heureusement surpris que je fus un des fils… « de mon père ». C’est ainsi que, fin février 1937, avec des centaines de jeunes gens entassés dans des camions, par des routes impossibles, en chantant des hymnes anarchistes et des chants révolutionnaires, je fonçai vers le front de Teruel.

Et ton père, par rapport à la guerre d’Espagne ?

Mon père s’était entièrement engagé dans l’action aux côtés du mouvement espagnol. Il était en contact permanent avec des responsables, principalement du fait qu’il s’occupait de la rédaction du journal L’Espagne antifasciste, édité à Paris. Il recevait donc tous les jours des informations sur les événements en cours. Et c’est ainsi qu’arriva, le 21 novembre 1936, un télégramme ainsi rédigé : « Durruti assassiné sur le front de Madrid par les communistes. » Une heure plus tard, un deuxième télégramme est arrivé (au moment où mon père partait pour l’imprimerie), disant : « Annuler le premier télégramme, pour sauvegarder l’unité d’action. » C’était le mot d’ordre absolu de l’époque. J’ai rencontré plus tard en prison, à Cerbère, venant d’Espagne et arrêté à la frontière, un garçon, un Corse, qui rentrait comme moi, écœuré des communistes, qui m’a avoué avoir fait partie du commando ayant abattu Durruti. Il était très ému et m’a crié : « Mais je te jure, Léo, que je n’ai pas tiré ! » Il s’appelait André Paris.

Beaucoup de monde venait vous rendre visite, pour voir ton père…

C’était un défilé permanent, une situation terrible surtout pour ma mère. Avec mon père, la porte était toujours ouverte. Beaucoup de « parasites » venaient essentiellement pour se mettre à table, sans songer aux problèmes que cela nous posait. Certains en avaient pris l’habitude et venaient manger régulièrement. Je n’ai jamais oublié le regard de ma mère lorsqu’elle les voyait arriver. C’était parfois des étrangers évadés, pourchassés pour leurs idées, que des camarades français envoyaient chez Voline. Il y avait plusieurs raisons à cela : mon père parlait plusieurs langues, il possédait aussi des relations dont il n’a jamais usé pour lui-même, bien utiles pour dépanner les autres. Il connaissait Henri Sellier, sénateur-maire de Suresnes ; Léon Blum ; le préfet de Paris Jean Chiappe (à qui l’ami de mon père, Paul Fuchs, avait sauvé la vie et qui lui avait promis son aide chaque fois qu’il le faudrait). Il y avait également l’avocat Henri Torrès…

Certains étaient francs-maçons, comme ton père…

Oui, peut-être… je suis par tempérament quelqu’un de très réservé. Il y a donc des domaines que je n’ai jamais abordés avec mon père, sauf une fois où je lui ai demandé pourquoi il était franc-maçon. Il m’a répondu qu’il avait hésité à cause de certains rites avec lesquels il n’était pas d’accord, mais qu’il pensait que c’était un milieu où l’on pouvait répandre largement ses idées, vu que sa loge était déjà très « à gauche ». Je sais aussi que, par ces relations, il pouvait aider beaucoup de monde. Lorsque des camarades en difficulté arrivaient, mon père en usait pour faire régulariser leur situation, leur procurer des papiers, permis de séjour, logement et travail. C’était souvent très difficile. Parfois des gens ont logé chez nous… en attendant. Il y eut aussi, heureusement, de vrais amis qui ont tout fait pour, discrètement, se charger des enfants, organiser une fête, se transformer en père Noël… Je me rappelle en particulier des Goldenberg, de Senya Flechine et Mollie Steimer, des Doubinsky, Archinov et autres…

Makhno et Archinov venaient-ils aussi ?

Oui, Archinov et sa femme, avec leur garçonnet André, sont venus durant des années jusqu’à leur départ pour la Russie. Mon père lui disait : « Marine… » Je ne sais pourquoi on l’appelait ainsi [Piotr Marine était le véritable patronyme d’Archinov, NDE]. Je me souviens en particulier d’un chant qu’avec Makhno ils entonnaient ensemble, où il était question de « Batko » (Makhno), d’« Oncle Marine » (Archinov) et de Voline. Lorsque Archinov venait à la maison en 1927, à Gennevilliers, et qu’il languissait de son pays – moi, j’étais môme, âgé d’une dizaine d’années –, mon père lui répétait sans cesse : « Marine, il ne faut pas partir. Ils te fusilleront. Ne te fais pas d’illusion, ils ne te pardonneront jamais… » Il est parti quand même, en 1932, et ils l’ont fusillé en 1937… Makhno est venu souvent quand nous habitions notre mansarde à Berlin. Je l’écoutais de toutes mes oreilles car il ne racontait que ses batailles, ses coups d’audace, ses ruses, face à l’ennemi : du vrai western pour moi qui avais entre 7 et 9 ans. Ensuite, en France, nous habitions en lointaine banlieue ; épuisé, malade, handicapé par ses nombreuses blessures, nous le vîmes de moins en moins avant sa mort en 1934.

Tu as revu ton père, en 1940, à Marseille. Quelle activité avait-il ?

En fait, démobilisé en août 1940 (je faisais partie d’une unité de skieurs, dans les Alpes), j’ai rejoint mon père à Marseille le 28 octobre. Entre-temps, attendant d’y voir clair dans la situation générale (Paris était occupé par les Allemands), j’ai participé aux vendanges et eu d’autres activités diverses. Il y avait un million et demi de réfugiés, venant de la zone occupée, dans la région de Marseille. Il était très difficile de trouver du travail. Mon père, encore très abattu par la mort de ma mère et vivant au jour le jour, déployait toujours une certaine activité : réunions, conférences, propagande… Nous en parlions un peu, mais, par réserve de ma part, cela n’allait pas très loin. De fils à père, la communication n’est pas très facile : je me sentais encore trop gamin face à lui. C’est bien plus tard, avec toute l’expérience acquise et une plus grande connaissance des hommes, que j’aurais aimé discuter avec lui. Mais, il n’était plus là… Recueilli par un de ses meilleurs amis, Francisco Botey qui, avec sa compagne Paquita, était réfugié d’Espagne aux environs de Marseille, il fut entouré, soigné, en ces temps si durs, mais épuisé et gravement malade il disparut en septembre 1945.

Voline à l’hôpital de La Conception, Marseille.

Mirage gay à Tel Aviv dans Chroniques rebelles sur Radio Libertaire

jeudi 11 mai 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Jean Stern était l’invité de l’émission Chroniques rebelles du 6 mai 2017 sur Radio Libertaire, pour son livre Mirage gay à Tel Aviv.

Réfugié dans MOE sur TV5Monde

mardi 9 mai 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Réfugié, d’Emmanuel Mbolela, est le « coup de cœur culturel » de La réalisatrice Fatima Sissani, invitée de l’émission MOE du dimanche 7 mai 2017 sur TV5Monde.